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Chapitre
6 de "The Market for liberty"
(1970, réédité par
Fox and Wilkes en 1993)
[Le texte suivant, extrait d'un des
ouvrages classiques de la pensée anarcho-capitaliste, présente
le modèle d'un monde totalement privatisé. Cette
hypothèse, également utilisée par d'autres auteurs, est
certes utopique mais, comme le souligne Pascal Salin (dans Libéralisme [Odile
Jacob], p. 38), il y a des utopies réalistes et l'utopie
anarcho-capitaliste demeure compatible avec la nature humaine, au contraire
des utopies socialistes qui nient cette dernière.
La propriété, stable et
assurée, permet d'augmenter la richesse par les processus habituels du
marché (échange, division du travail) tout en permettant les
autres possibilités (dons, legs) associées à la pleine
possession de ses droits. Le droit de propriété peut être
vendu, acheté, donné, reçu.
Pour certains auteurs, comme Rothbard
(voir "Justice and property rights" dans le recueil Egalitarianism as a revolt against
nature, notamment son quatrième exemple p. 109, qui porte sur
une erreur découverte au bout de six générations) la
justice est primordiale. Toute rectification d'un droit au profit du
propriétaire légitime et de ses héritiers peut alors
apparaître comme un objectif louable (voir aussi, du même auteur,
"Comment et comment ne pas sortir du socialisme"
sur ce site).
Pour d'autres (de sensibilité
utilitariste, quoique le randien Reisman, dans Capitalism [Jameson Books,
p. 317-319], reprenne lui aussi cette analyse), les bienfaits
récoltés par la stabilité et la sécurité
font de celles-ci des caractères majeurs de la
propriété. A la longue, même en partant d'une
distribution injuste, les plus méritants (ou plutôt ceux qui
apportent le plus, car comme le souligne Thomas Sowell dans Knowledge
and Decisions [Basic Books, p. 75-77], les deux concepts ne sont
pas nécessairement liés) seront récompensés. La
distribution initiale serait alors oubliée (il est à noter que
David Friedman, dans Vers une société sans État [traduction
de The Machinery of Freedom, Les Belles Lettres, p. 3],
évalue à moins de 5% la richesse du revenu national des
États-Unis correspondant à une appropriation originelle).
Ainsi, la sensibilité aux conditions initiales n'est pas un
problème à leurs yeux (ce qui exclue un chaos
déterministe qui, à partir de causes très petites,
créerait des effets gigantesques). Rechercher systématiquement
le propriétaire légitime ferait plus de mal que de bien, en
sapant la propriété : une justice fonctionnant dans 95%
des cas est ce que nous pouvons raisonnablement espérer (Epstein,Simple
rules for a complex world, Harvard University Press, p. 42). Il faut
donc avant tout la simplifier et cesser d'imaginer la vie comme si nous
vivions tous et sans cesse dans des canots de sauvetage (Ayn Rand, La
Vertu d'égoïsme, [Les Belles Lettres, p. 113]). Par
ailleurs, ces auteurs expliquent aussi que le souhait de vouloir un Droit qui
individualise la peine (comme le proposent les Tannehill dans le texte
ci-dessous) ne tient pas compte des coûts d'information nécessaires
et peut conduire au désastre (Thomas Sowell, Knowledge and
Decisions, p. 282 et suivantes).
En plus des points
précédents, il reste une autre grande question (hormis la
résolution des revendications conflictuelles, du vol, des
erreurs...) : celle du premier propriétaire. Si un bien existe
dans la nature, qui peut se l'approprier pour en devenir le premier
propriétaire légitime ?
Morris et Linda Tannehill ne
dérivent pas leur conception de l'appropriation initiale de la
pensée lockéenne que préconise, par exemple, Rothbard.
Pour ce dernier, qui s'appuie sur une théorie du droit naturel,
l'appropriation de biens n'appartenant à personne se fait en y
incorporant son travail : par exemple, en labourant un terrain, en y
construisant une maison, etc., le premier utilisateur devient
propriétaire. (Il reste la question de la clause restrictive de Locke,
demandant qu'il en reste "suffisamment" pour les autres, clause que
rejette Rothbard. A ce sujet, voir, entre autres Le deuxième traité de la
propriété de Locke, L'Éthique de la liberté [Les
Belles lettres] de Rothbard, Anarchie, État et utopie [PUF,
traduction deAnarchy, State and Utopia, p. 220] de Nozick, Morale
et contrat [Mardaga, traduction de Morals by agreement,
pages 241-287], de Gauthier).
Certains autres auteurs ont fait
malicieusement le lien entre cette conception de l'appropriation de la valeur
et celle de la valeur-travail. Ainsi, Anthony de Jasay (L'État , traduction de The
State, [Les Belles Lettres, pp. 88-89]) se demande si cette
idée ne provient pas d'une volonté d'introduire en douce une
notion de mérite (pour justifier moralement le capitalisme, tentative
qui, selon lui, le fait reposer sur des bases que l'État peut facilement
attaquer et qui conduit à des compromis ou à une capitulation).
Richard Epstein, qui va jusqu'à la qualifier de théorie de la
valeur-travail (Principles for a free society, Perseus Books,
p. 26), pose la question suivante : si le travail entre à
99% dans la valeur, peut-on cependant s'approprier 100% de la valeur ?
Et si Epstein accepte finalement la théorie du droit naturel quant au
premier utilisateur, c'est pour des raisons utilitaristes (Imaginerait-on
sérieusement que ce ne soit pas le premier mais le second utilisateur
qui devienne propriétaire ? demande-t-il).
Les Tannehill ajoute à cette
réflexion une remarque judicieuse : s'il faut mêler son
travail à la terre, comment un écologiste pourrait-il
acquérir ce qu'il veut préserver, puisqu'il attache une valeur
à la terre précisément parce qu'elle est sauvage ?
Pascal Salin proposait par exemple (Libéralisme,
p. 260) à ceux qui voulaient sauvegarder les oiseaux
d'acheter les terrains où ils se trouvent : oui, mais à
qui ? Dans une société sans État, il n'y aurait
personne pour vendre un terrain n'appartenant à personne (une
possibilité qu'on pourrait ajouter serait l'acquisition par
consentement unanime, mais, si l'on veut réellement fournir l'occasion
à l'écologiste de devenir propriétaire, elle est peu
réaliste). Dans le modèle lockéen, il reste donc
à l'écologiste la possibilité d'entreprendre des actions
correspondant aux travaux keynésiens qu'évoquent les
Tannehill : creuser un trou et le reboucher, si tant est qu'un
écologiste puisse accepter ce pis-aller.
Plus généralement, on
peut remettre en question le principe même de l'appropriation par le
travail en introduisant, comme de Jasay, la distinction entre liberté
et droit (de propriété). Un droit permet d'interdire à
autrui de faire quelque chose, ou permet de l'obliger à en faire une
autre. Avant appropriation (donc avant la création d'un droit
associé), chacun est libre d'utiliser tout bien , tout terrain, etc.
Or, si la structure des droits doit être non contradictoire, il n'en
est pas de même des libertés qui peuvent être
conflictuelles (deux personnes peuvent être libres de s'asseoir sur le
même banc, mais une seule le pourra au même moment). Ainsi, la
liberté d'appropriation et la liberté de pouvoir passer sur le
terrain sont deux libertés contradictoires : on ne peut pas
trancher. Prévaudra... ce qui prévaudra, conclut de Jasay (Cf.
"Before resorting to politics" in Against politics, [Routledge, p.
178] : "Whichever of these two liberties prevails de facto,
prevails."). NdT]
La plupart des problèmes sociaux
qui rendent les dirigeants nationaux perplexes pourraient être assez
facilement résolus par une augmentation de la quantité et des
types de la propriété possédée. Ceci imposerait
la reconnaissance générale et importante du fait suivant :
la possession est et doit être totale, et non une simple permission
gouvernementale de posséder et/ou de gérer ses biens tant que
certaines lois sont respectées et qu'on paie une "location"
sous forme d'impôts sur la propriété. Quand on exige d'un
homme qu'il "loue" ses propres biens au gouvernement en payant des
taxes sur ceux-ci, il lui est interdit de pleinement exercer son droit de
possession. Bien qu'il possède les biens, on le met de force dans la
situation d'un locataire, avec le gouvernement comme propriétaire. La
preuve en est que, s'il ne paie pas ses impôts, le gouvernement lui
prendra ses biens (même si ce sont les siens et non
ceux du gouvernement), tout comme un propriétaire mettrait dehors un
locataire qui ne paierait pas son loyer. De la même manière, si
un homme doit se conformer aux lois sur l'usage ou l'entretien de ses biens
(ou toute autre loi hormis celle qui oblige à ne pas l'utiliser
à des fins de fraude ou pour entreprendre d'utiliser la force contre
autrui), il lui est interdit d'exercer son plein droit de
propriété. Parce qu'un homme doit utiliser son temps –
qui fait partie de sa vie – pour acquérir, utiliser, et prendre
soin de ses biens, il a le droit de les posséder et de les
contrôler pleinement, tout comme il a le droit de posséder et de
contrôler pleinement sa vie (tant qu'il ne l'utilise pas pour
contraindre autrui). Toute forme d'impôt ou de régulation de la
propriété est une négation du droit de l'individu de
pleinement maîtriser ses propres biens et, par conséquent, sa
propre vie. Pour cette raison, la taxation et la régulation de la
propriété sont toujours mauvaise – la taxation est un vol
et la régulation obtenue par la force est un esclavage.
Dans une société
contrôlée par un gouvernement, la jouissance sans limite de la
propriété des biens n'est pas permise, car le gouvernement a le
pouvoir de taxer, de réguler et parfois même de confisquer (dans
le cas du "domaine éminent" [eminent domain]) tout ce
qu'il lui plait. De plus, une grande partie du potentiel de
propriété ne peut être possédée. Dans une
société de laissez-faire, tout ce qui a une valeur et peut
être rationnellement revendiqué serait possédé, et
la possession serait totale [1].
Un bien est tout ce qui peut être
possédé. La possession est le droit d'avoir, d'utiliser et/ou
de disposer de tout ce sur quoi on peut avoir un droit moral. Un bien peut
être acquis en le produisant, en l'échangeant contre d'autres,
en cadeau ou en revendiquant un bien qui n'est à personne. La
revendication de biens qui n'appartiennent à personne est la
façon dont toute propriété est initialement acquise.
L'appropriation d'un bien ne peut pas
se faire par une simple déclaration verbale (ou écrite) le
revendiquant. Sinon, vous pourriez dire tout de suite : "Je
revendique le fond des océans de la terre entière et toute la
surface de la lune," et pourvu que vous soyez le premier à y
prétendre, ils seraient à vous. A l'évidence, ceci
conduirait à un fatras de revendications contradictoires et
inapplicables.
En plus de l'affirmation verbale, il
faut faire quelque chose pour montrer que la revendication a une base
réelle. Dans le cas d'objets portables, il n'y a pas de
problème. Tous ce qui peut être transporté manuellement
ou avec une machine peut simplement être déplacé par le
propriétaire et mis à l'intérieur des limites d'un autre
de ses biens – sa valise, sa voiture, sa maison ou ses terres. On peut
aussi marquer d'une certaine manière le nouvel article pour
témoigner de la propriété (on utilise souvent le nom du
propriétaire, ses initiales, un numéro de série ou un
symbole).
Ce qui ne peut être
déplacé, comme un arbre déjà grand, un barrage,
un bout de terrain, représentent un type de situation
différent. Tous les biens inamovibles peuvent être
considérés comme des terrains, car même si le bien
lui-même n'est pas de la terre, il ne peut être
séparé de celle sur laquelle il se trouve. Comme on ne peut pas
emporter un bien inamovible, il doit être marqué là
où il se situe comme étant un nouveau bien du
propriétaire. Comme un tel bien occupe toujours une certaine place, le
terrain, lui aussi, doit être marqué.
Tout terrain est contigu à
d'autres terrains (y compris les îles, comme on peut le voir si l'on
prend en compte le fait que les terrains submergé pourraient
être possédés). Ceci signifie que les choses les plus
importantes à marquer sont les frontières. On peut le faire en
mettant des clôtures, en disposant des séries de poteaux
indicateurs à intervalles réguliers, ou de toute autre
façon qui témoigne de manière bien visible de la
possession du terrain lui-même. Il est clair que mieux le marquage est
fait, moins il y aura à craindre que quelqu'un d'autre fasse une
revendication contradictoire.
On pourrait résoudre des
revendications contradictoires en les portant devant des agences d'arbitrage
privées avec jugement exécutoire. Comme aucune des parties en
litige ne serait capable de vendre le terrain, ni n'a beaucoup de chance de
le louer, ni même n'est certaine de sa possession tant que sa
revendication est en discussion, les deux parties seraient poussées
à demander l'arbitrage. Une agence d'arbitrage du marché libre,
si elle veut continuer à vivre, doit rendre des décisions aussi
justes que possible. Les deux parties seraient alors forcées de
respecter la décision du juge, car quelqu'un qui s'est engagé
par contrat à respecter un jugement et qui rompt ensuite ce contrat se
ferait le réputation d'un individu non fiable, et plus personne ne
voudrait prendre le risque de faire des opérations avec lui. [2]
Le fait que des revendications
contradictoires puissent se produire et qu'elles seraient tranchées
par des juges impartiaux fournit la réponse à la question.
"Jusqu'à quel point doit-on faire prendre soin de marquer une
partie de ses biens pour pouvoir établir son titre ?" Il est
clair que si le nouveau propriétaire veut que sa
propriété soit fermement établie, il faut qu'il en
désigne les limites (dans le cas d'un terrain) et qu'il la marque
suffisamment clairement pour fonder sa revendication en face de celles des
autres. Supposons qu'un prospecteur avide revendique un carré de 1
mile [environ 1,6 km] de côté d'une région
vallonnée et très boisée et qu'il le marque en dressant
des poteaux indicateurs de 6 pieds [environ 1,8 m] à chacun de
ses quatre sommets. Six mois plus tard, un étudiant qui désire
l'intimité d'une retraite paisible arrive et clôture un hectare,
dont une partie réside dans celle que revendique le prospecteur. Si le
conflit était découvert et porté devant les tribunaux,
les juges décideraient très vraisemblablement en faveur de
l'étudiant, même si sa revendication a été faite
plus tardivement. On pourrait raisonnablement soutenir que l'étudiant
ne pouvait pas être tenu de connaître l'existence des quatre
poteaux cachés dans la forêt et que, par conséquent, la
création des "limites" de son terrain faites par le
prospecteur était insuffisante pour établir clairement son
titre de propriété. De même, un homme pourrait atterrir
sur une nouvelle planète, clôturer un mile carré et
déclarer que, puisque la planète est une sphère, il
possède tout le territoire situé à l'extérieur de
la clôture (c'est-à-dire toute la planète sauf le mile
carré compris dans sa clôture). Mais il ne trouverait aucune
agence d'arbitrage qui déciderait en faveur de sa revendication
ridicule si elle était contestée par un groupe de colons atterrissant
ultérieurement de l'autre côté de la planète (dont
on peut penser qu'il ne savent rien de cette revendication).
Les différents types de titres
de propriété devront être établis par
différents types et degrés de limites et de marquage, et chaque
revendication serait un cas individuel à trancher d'après ses
propres mérites. Mais le fait que toutes les revendications
contradictoires puissent être soumises à arbitrage et que
l'intégrité des juges serait garantie par la concurrence du
marché libre, garantirait le maximum de justice humainement possible.
Dans une société de
laissez-faire, il n'y aurait aucun gouvernement pour exercer un droit de
préemption dans le domaine des actes notariés. Le monde
des affaires, sur un marché libre, se chargerait de ce rôle, car
c'est un service vendable. Ces compagnies conserveraient la trace des titres
et offriraient probablement en plus un service d'assurance sur la
propriété (service déjà offert aujourd'hui par
des compagnies d'assurances spécialisées). L'assurance sur la
propriété protège l'assuré contre les pertes
résultant d'un défaut du titre de propriété qu'il
achète (comme, par exemple, si la nièce oubliée depuis
longtemps d'un ancien propriétaire décédé se
manifeste et réclame la propriété par héritage).
Cela réduirait considérablement les problèmes de
revendications conflictuelles, puisque les compagnies d'assurances
n'assureraient probablement pas un titre de propriété sans
vérifier d'abord qu'il n'y a pas de conflit. Dans une
société libre, l'assurance sur la propriété
pourrait aussi protéger l'assuré contre la perte de ses biens
consécutive à une agression ou une fraude commise à son
encontre. Dans ce cas, on s'occuperait de l'agresseur de la même manière
que tout autre agresseur (un sujet qui sera étudié dans le
chapitre 9 et 10 [non traduits. NdT]).
Il y aurait probablement plusieurs
compagnies en concurrence dans le domaine des actes notariés et de
l'assurance, de telle sorte qu'elles trouveraient certainement dans leur
intérêt de maintenir une liste informatique centralisée
des titres de propriété de la même manière que
d'autres agences gardent actuellement de grands fichiers concernant la
réputation de solvabilité des consommateurs. De cette
façon, elles auraient les mêmes relations de concurrence coopérative
que de nos jours les compagnies d'assurance.
Parce qu'elles seraient en concurrence,
les compagnies d'assurance des titres de propriété devraient
faire très attention à maintenir une bonne réputation
commerciale. Aucune personne honnête ne compromettrait la valeur de ses
biens en l'enregistrant auprès d'une compagnie ayant mauvaise
réputation à cause de son comportement malhonnête. S'il
utilise les services d'une compagnie louche, les autres individus ou
entreprises auraient des doutes sur la validité de son titre et
seraient peu disposés à acheter ses biens ou à
prêter de l'argent avec son titre en garantie. Dans un marché
totalement libre, les compagnies agiraient habituellement honnêtement
parce que c'est dans leur intérêt de le faire. (La question des
compagnies malhonnêtes sera traitée dans le chapitre 11 [non
traduit. NdT]).
Une théorie ancienne et
respectée dit que, pour qu'un homme acquière la
propriété d'un bien auparavant non possédé, il
est nécessaire qu'il "mêle son travail à la
terre" afin de la rendre sienne. [3] Mais cette
théorie rencontre des difficultés quand on essaie de
définir ce que veut dire "mêler son travail à la
terre." Quelle quantité de travail est-elle nécessaire, et
de quelle sorte ? Si un homme creuse un grand trou dans la terre et le
rebouche par la suite, peut-on dire qu'il a mêlé son travail
à la terre ? Ou est-il nécessaire d'effectuer un
changement ayant un caractère permanent sur la terre ? Si oui,
permanent jusqu'à quand ? Planter des bulbes de tulipes dans une
clairière convient-il ? Peut-être que des séquoias
à vie longue seraient plus acceptable ? Ou est-il
nécessaire d'apporter quelque amélioration à la valeur
économique de la terre ? Si tel est le cas, de combien, et en
combien de temps ? Planter un petit jardin au milieu d'un terrain de 250
hectares suffirait-il, ou faudrait-il labourer toute la superficie
(l'affecter à une autre usage économique) ? Quelqu'un perdrait-il
son titre de propriété s'il doit attendre dix mois pour qu'une
ligne de chemin de fer soit construite avant de pouvoir améliorer son
terrain ? Et que faire du naturaliste qui voudrait garder le terrain
dans un état parfaitement sauvage afin d'étudier son
écosystème ?
Bien entendu, effectuer des
améliorations visibles du terrain aiderait certainement à
établir le droit de propriété de quelqu'un plus
fermement, en donnant plus de preuves de la possession. Il est
également vrai qu'il ne serait guère possible, en
réalité, de tirer grand-chose de la valeur économique
potentielle sans apporter d'améliorations (même une superbe zone
sauvage doit offrir des routes, des zones d'atterrissage pour
hélicoptère ou quelque chose pour la rendre accessible aux
touristes avant qu'on puisse en tirer des profits). Mais mêler son
travail à la terre est un concept trop mal défini et une
exigence trop arbitraire pour servir de critère à
la propriété.
On a objecté que s'il suffit de
simplement marquer les frontières de la nouvelle
propriété revendiquée, cela permettrait à
quelques personnes ambitieuses d'acquérir bien plus de terres qu'elles
ne pourraient utiliser. Il est difficile de comprendre, cependant, ce que
cette situation aurait de répréhensible. Si les premiers
arrivants étaient ambitieux, rapides et suffisamment intelligents pour
acquérir les terrains avant tout autre, pourquoi devrait-on leur
interdire de récolter les fruits de leurs mérites afin de
laisser les terres libres pour quelqu'un d'autre ? Et si un bon bout de
terrain est obtenu par un homme qui est assez stupide ou trop paresseux pour
en faire un usage productif, d'autres hommes, opérant dans le cadre du
marché libre, seront tôt ou tard capable de lui en proposer un
prix et d'en retirer une richesse productive. Tant que les terres sont
propriété privée et que le marché est libre, le
terrain sera affecté à ses usages les plus productifs et les
prix s'établiront au cours du marché.
Les biens incorporels peuvent
également être marqués de diverses façons. Par
exemple, quelqu'un peut revendiquer une certaine fréquence radio en
diffusant sa revendication sur cette fréquence (pourvu, bien
évidemment, que personne d'autre ne l'a fait avant lui). On peut aussi
revendiquer des idées, sous la forme d'inventions, en enregistrant
tous les détails de l'invention dans une base de
données privée. Bien entendu, plus l'inventeur est
précis sur ces détails, sur les raisonnements qu'il a eus en y
travaillant, sur les idées sur lesquelles il s'est appuyé, plus
sa revendication sera fermement établie et moins grande sera
l'éventualité que quelqu'un d'autre la lui prenne
grâce à un titre frauduleux basé sur des données
volées. L'inventeur, qui a enregistré son invention pour
établir un droit de propriété sur son ou ses
idées, pourrait alors acheter une assurance (soit de l'entreprise de
banques de données, soit d'une compagnie d'assurance
indépendante) contre le vol et l'usage commercial non autorisé
de son invention par d'autres personnes. La compagnie d'assurance garantirait
d'arrêter l'usage non autorisé et de dédommager
pleinement l'inventeur pour toutes les pertes qu'il aurait pu subir. De
telles polices d'assurance pourraient être achetées pour couvrir
diverses périodes temporelles, les plus longues étant plus
chères que les plus courtes. Des polices couvrant une durée
infinie ("à partir d'aujourd'hui") ne seraient probablement
pas économiquement viables, mais il pourrait bien y avoir des clauses
permettant à l'inventeur d'assurer à nouveau ses idées
à l'expiration de son contrat.
Une des plus grandes différences
dans une société de libre échange proviendrait du fait
que tout ce qui a un potentiel pour devenir propriété le
deviendrait. Dans la société actuelle, il existe une
très grande partie de la propriété potentielle qui
n'appartient en fait à personne. Un tel potentiel non approprié
se divise en deux catégories – 1 – les choses qui
demeurent non possédées en raison du système
légal qui ne reconnaît pas la possibilité qu'elle deviennent
propriété et – 2 – "la propriété
publique."
Le système légal actuel,
qui a été développé à une époque
pré-scientifique, reconnaît qu'un homme peut posséder un
bout de terrain à côté d'un océan, mais ne
reconnaît pas qu'il puisse tout aussi bien posséder un terrain
sous l'océan. Et pourtant, comme l'ont prouvé des compagnies
effectuant des forages en mer, il n'y a pas de raison pour laquelle une
parcelle de terrain ne pourrait pas être possédé et
utilisée uniquement parce qu'elle est recouverte d'eau. De même,
le fond des lacs et, en réalité, le lac lui-même,
pourraient appartenir à un ou plusieurs individus. Les fleuves et les
rivières représentent également des
propriétés potentielles, comme l'espace aérien
au-dessus et autour de votre maison, et, plus haut, les couloirs
aériens qu'utilisent les avions de lignes lors de leurs vols
réguliers.
Certes, il faudrait trouver de nouveaux
règlements pour gérer les droits, par exemple, du
propriétaire d'une partie d'un cours d'eau vis-à-vis des
propriétaires des autres parties en amont et en aval, mais si
quelqu'un peut posséder quelque chose d'immatériel comme les
droits d'auteur d'une chanson, il peut certainement posséder un
fleuve ! Le problème n'est pas que de telles choses soient par
nature non appropriables mais que le système juridique, enfermé
dans sa propre rigidité archaïque, interdit qu'on les
possède. Dans une société libre, quelqu'un qui pourrait
exploiter une partie du fond d'un océan pourrait la revendiquer et
l'utiliser sans devoir attendre que le corps législatif fasse passer
une loi déclarant qu'elle peut devenir propriété
privée. Ceci éliminerait une barrière gigantesque
s'opposant au progrès et à la production de richesses.
L'autre type de propriété
potentielle non appropriée est ce qu'on appelle habituellement la
"propriété publique." Ce concept vient de
l'époque où le roi ou le noble féodal local
possédait des terres et où tous ceux sous sa juridiction
n'avaient que le droit de posséder des parties "en fief."
Peu à peu, quand le féodalisme et la monarchie ont
laissé place à la démocratie, on en est venu à
penser que de telles propriétés royales appartenaient au public
dans son ensemble et étaient gérées par le gouvernement
pour le public.
La propriété implique
nécessairement pour le propriétaire le droit de l'utiliser et
d'en disposer tel qu'il le veut, sauf contrainte envers autrui. Comme le roi
était un individu, il pouvait effectivement exercer son contrôle
sur les terres royales, les utiliser et en disposer selon ses désirs.
Mais "le public" n'est pas un individu – c'est simplement la
somme de tous les individus qui se trouvent vivre dans une certaine
région à un instant donné. En tant que tel, "le
public" n'a pas d'avis, ni de volonté ni de désirs qui lui
soient propres. Il ne pas prendre de décisions, et ne peut donc pas
décider comment utiliser ou disposer d'une partie de ses terres.
"La propriété publique" est, de fait, une fiction.
Le gouvernement ne peut pas moralement
prétendre posséder la "propriété
publique." Il ne produit rien. Tout ce qu'il a, il l'a obtenu par
l'expropriation. Il est tout aussi incorrect de dire que la richesse
expropriée en possession du gouvernement est sa
propriété que de dire qu'un voleur possède
légitimement le butin qu'il a dérobé. Mais si la
"propriété publique" n'appartient ni au public ni au
gouvernement, elle n'appartient en fait à personne, et rentre dans la
même catégorie que les autres biens non possédés.
Entrent dans cette classification les rues et les autoroutes, les
écoles, les bibliothèques, tous les bâtiments du
gouvernement ainsi que les millions d'hectares de terres que possède
le gouvernement, ce qui comprend la plus grande partie de nombreux
États de l'Ouest. [4]
Dans une société de
laissez-faire, toute propriété "appartenant"
auparavant au gouvernement finirait par appartenir à des individus
privés et commencerait à avoir un usage productif. Le boom
économique qui en résulterait peut être imaginé
à partir de l'image suivante : récemment, plusieurs
compagnies ont cherché à développer des sources
d'énergie bon marché et abondantes en exploitant
l'énergie de réserves d'eau chaude souterraine (la même
chose qui est à l'origine des geysers et des sources chaudes). Il
existe plusieurs sources prometteuses de cette énergie
géothermique, mais la plupart résident sur les terres du
gouvernement et les entrepreneurs ont été arrêtés
parce qu'il n'y avait pas de lois leur permettant de mener
de telles activités sur une "propriété
publique" !
Au fur et à mesure que la
société de laissez-faire arrive à maturité, elle
pourrait éventuellement atteindre un état où toute la
propriété potentielle serait appropriée. Lors du
processus de revendication de la propriété non
possédée et de la "propriété"
gouvernementale, les éléments aujourd'hui pauvres et
expropriés de la population auraient plein d'occasions de
"coloniser" des terres rurales et des bâtiments urbains
autrefois "possédés" par les nombreuses branches du
gouvernement. Cela leur donnerait pour la première fois un
intérêt de propriétaire pour quelque chose et leur
apprendrait, comme nulle autre chose, à respecter les produits de leur
travail et du travail des autres – ce qui veut dire, se
respecter eux-mêmes et respecter les autres.
La situation d'une possession totale
des terres résoudrait beaucoup de problèmes qui hantent
actuellement notre société. Par exemple, les
éléments paresseux de la population, qui n'ont acquis aucune
propriété et qui ne désirent pas travailler afin de
gagner assez d'argent pour louer un domicile seraient littéralement
repoussés aux bords géographiques de la société.
Nul n'a pas le droit de dormir sur les bancs d'un parc si le
propriétaire privé du parc n'accepte pas de clochards sur sa
propriété ; nul n'a le droit de fouiller les poubelles des
ruelles si celles qu'il traverse appartiennent à une
société commerciale ; nul n'a même le droit de
ramasser les objets sur des plages si ces dernières appartiennent
à quelqu'un. Sans propriété publique et sans allocations
publiques, c'est rapidement que de tels indésirables rentreraient dans
le rang ou ficheraient le camp.
Une possession totale des terres
diminuerait aussi le taux de criminalité de la même
manière. Une société commerciale privée qui
possèderait des rues se ferait un devoir de les mettre à l'abri
des ivrognes, des truands et de toutes les autres menaces contrariantes, en
louant des gardes privés si nécessaire. Elle pourrait
même faire de la publicité, "Les rues de la Compagnie
Traverse-la Rue sont garanties sans risque à toute heure du jour et de
la nuit. Les femmes peuvent se promener seules dans nos rues en pleine
confiance." Un criminel, interdit de toutes les rues parce que les
entreprises à qui elles appartiennent connaissent sa mauvaise
réputation, trouverait même difficilement un endroit pour commettre
un crime. D'un autre côté, les compagnies de rues privées
n'auraient aucun intérêt à réglementer la tenue,
"la moralité," les habitudes ou le mode de vie des gens qui
utilisent leurs rues. Par exemple, ils ne voudraient pas faire partir les
clients en arrêtant ou en harcelant les hippies, les filles en
chemisiers transparents, ou en monokini, ou toute autre déviation non
agressive par rapport aux valeurs standard de la majorité. Tout ce
qu'elles demanderaient c'est que chaque consommateur paie sa participation
quotidienne et ne commencer pas à faire usage de la force, à
bloquer le trafic, ou à faire fuir d'autres clients. En dehors de
cela, son mode de vie et son code moral ne les intéresseraient
pas ; ils le traiteraient courtoisement et chercheraient à faire
des affaires avec lui.
Un autre aspect de la possession totale
des terres est qu'elle rendrait les lois de l'immigration inutiles et sans
signification. Si toutes les terres étaient véritablement
possédées, tout "immigrant" devrait avoir assez
d'argent pour subvenir à ses besoins, ou alors un talent
commercialisable qui lui permette de travailler tout de suite, ou encore
quelqu'un prêt à l'aider jusqu'à ce qu'il soit autonome.
Il ne pourrait pas se contenter d'entrer dans la zone libre et d'y aller et
venir – il s'introduirait sans permission. Ceux qui sont
qualifiés et ambitieux viendraient ; ceux qui sont paresseux
n'oseraient pas. Ceci est bien plus juste et efficace que l'actuel
système de "quota nationaux."
Le problème de la pollution
serait aussi sur la voie de la résolution. Si je possède
l'espace aérien autour de ma maison, vous n'avez évidemment pas
le droit de déverser des polluants dans cet espace, pas plus que vous
n'avez le droit de jeter des ordures sur ma pelouse. De même, vous
n'auriez pas le droit d'envoyer vos eaux de vidange dans ma rivière si
vous n'avez pas de contrat spécifiant que vous louez l'usage de mon
cours d'eau pour de tels buts (et ce contrat devrait aussi inclure le
consentement de tous les individus qui possèdent une partie de la
rivière en aval). Comme la pollution est déjà un
problème dans beaucoup d'endroits, il faudrait comprendre que toute
personne achetant un bout de terrain, par cet achat, consentirait à
accepter le niveau de pollution moyen au moment de la vente mais a le droit
d'obtenir que les autres s'abstiennent de toute pollution
supplémentaire. Au début, cela signifierait que les compagnies
établies ne pourraient augmenter le niveau de leur pollution, et que
de nouvelles entreprises ne pourraient pas commencer à polluer. Mais,
au fur et à mesure les méthodes et les appareils de
contrôle de la pollution deviendront courants et relativement bon
marché, les compagnies établies chercheront à diminuer,
voire à éliminer, leur pollution afin d'éviter de perdre
leurs employés au profit de nouvelles industries opérant dans
des zones sans pollution. Les problèmes de pollution ne pourraient pas
continuer à exister dans un environnement concurrentiel, de
laissez-faire et de libre-échange – un environnement que le
gouvernement détruit.
La possession totale des terres,
à l'opposé de l'opinion populaire courante, est la seule
voie possible pour conserver les ressources naturelles. La conservation des
ressources est un sujet malheureusement obscurci par des méprises et
une pensée incertaine. On prétend par exemple souvent que le
marché gaspille des ressources rares, pillant ainsi les futures
générations de leur usage. Mais selon quel critère le
critique décide-t-il entre les emplois possibles des ressources et
ceux qui ne sont que gaspillage ? S'il est mal de consommer des
ressources pour produire certaines choses que le
consommateur apprécie, comment pourrait-il être bien de les
utiliser pour produire la moindre chose ? Et s'il faut
sauver les ressources naturelles pour les générations futures,
comment pourrait-on jamais les utiliser, car chaque génération
a encore et toujours un nombre théoriquement infini de
générations futures qui viendront après elle, et pour
lesquelles les ressources devraient être sauvées ? La seule
réponse à ce problème des ressources rares et de la
laisser aux échanges entre hommes libres dans un marché libre.
Ceci garantira que les ressources seront utilisées de la
manière la plus productrice de valeur possible et qu'elles seront
consommées à la vitesse désirée par les
consommateurs. En dehors de cela, la technique stimulée par un
marché libre utilise continûment des ressources naturelles pour
en découvrir de nouvelles. Ceci veut dire plus qu'une simple
découverte de nouveaux gisements de ressources auparavant
appréciées, comme de nouveaux champs de pétrole Ceci
inclut aussi la découverte de la façon dont on pourrait
utiliser des ressources auparavant sans valeur, souvent pour remplacer une
ressource plus rare, permettant ainsi de la conserver. Un exemple en est les
nouveaux usages du verre et du plastique, qui peuvent remplacer l'acier et
les autres métaux tirés des ressources rares.
Il y a une méprise curieuse qui
voudrait que pour empêcher de gaspillage total des ressources
naturelles il soit nécessaire de les retirer leur contrôle des
mains des "avides capitalistes" pour les remettre entre les celles
des "fonctionnaires du gouvernement assurant la défense du
public." L'erreur ridicule de cette position devient évidente
quand on prend en compte la nature du contrôle exercé par un
fonctionnaire gouvernemental.
Dans la mesure où il a le
contrôle d'une ressource naturelle (ou de toute autre chose), un
fonctionnaire en a la quasi propriété. Mais cette
dernière se termine avec la fin de son emploi. S'il veut tirer un
quelconque avantage de sa position, il doit battre le fer pendant qu'il est
politiquement chaud. Par conséquent, les fonctionnaires
gouvernementaux auront tendance à arracher précipitamment tout
avantage de tout ce qu'il contrôle, en en réduisant la
quantité aussi vite que possible (ou autant qu'on le laissera faire).
Des propriétaires privés, parce qu'ils peuvent garder leurs
biens aussi longtemps qu'ils le veulent ou vendre à tout instant au
prix du marché, font généralement très attention
à conserver à la fois sa valeur actuelle et sa valeur future. A
l'évidence, la meilleure personne possible pour conserver des
ressources rares est leur propriétaire, qui a un intérêt
égoïste à protéger son investissement. Le pire
gardien des ressources rares est le fonctionnaire du gouvernement – il
n'a rien à gagner à les protéger mais grand
intérêt à les piller.
Parmi les ressources qui seraient mieux
conservées sous un système de propriété total des
terres se trouvent les zones touristiques ainsi que les parcs naturels. La demande
du consommateur pour des parcs, des zones de campement, des réserves
naturelles, des terrains de chasses, des paysages naturels, etc. est
évidente lorsqu'on étudie les loisirs. Dans une
société de marché libre, il y aurait autant de terrain
mis de côté dans ce but que la demande des consommateurs le
justifierait.
Un système de possession totale
des terres serait basé sur l'exigence morale de la vie humaine comme
être rationnel, [5] car la survie de l'homme n'est pas
tout à fait humaine dans la mesure où le droit de
propriété (à commencer par le droit de
propriété de soi) n'est pas compris et respecté. (En
fait, la vie elle-même ne serait pas possible sans droit de
propriété de sa propre personne). Un système de
possession totale des terres dans une société libre –
c'est-à-dire une société où le droit de la
propriété de soi est habituellement compris et respecté
– produirait un milieu paisible dans lequel la justice serait la
règle et non l'exception (ce qu'elle est aujourd'hui). Un milieu
où la justice se fonde sur le principe moral de "un bien contre
un bien" - que personne ne peut légitimement s'attendre à
recevoir des biens d'autrui sans en donner en échange ( et ceci
comprend les biens spirituels, comme l'amour et l'admiration, autant que les
biens économiques). Certaines personnes sont choquées, voire
horrifiées, à l'idée de devoir effectuer une sorte de
paiement pour chaque bien reçu. Elles semblent préférer,
par exemple, payer les routes par les impôts (même si on peut
démontrer que cette méthode est plus chère) afin de
pouvoir se prétendre à elles-mêmes quelles
reçoivent gratuitement ce service. Après examen, de telles gens
montrent habituellement qu'elles souffrent d'un manque d'estime de soi
– par défaut d'un sens de l'efficacité et de la valeur
personnelles, elles ressentent un doute dissimulé et non assumé
quant à leur capacité à survivre dans un monde où
on ne fournirait jamais ce qui n'est pas mérité. Il reste qu'il
est un fait que la seule voie morale pour les hommes de traiter avec les
autres est de donner un bien contre un bien, et que celui qui cherche ce
qu'il n'a pas mérité est un parasite. L'homme possédant
une estime de soi le comprend et tire une fierté de sa capacité
à payer pour les biens qu'il reçoit.
D'après l'étude de ces
domaines faite dans ce chapitre et dans le précédent, il est
clair qu'une société non gouvernementale, de marché
libre, favoriserait, par sa nature même, la responsabilité,
l'honnêteté et la productivité des individus qui y
vivent. Ceci entraînerait une amélioration substantielle du
caractère moral de la culture entière et une baisse importante
de la criminalité. Néanmoins, comme les êtres humains
sont des créatures possédant une conscience de son propre
gré et sont donc libres d'agir irrationnellement s'ils le souhaitent,
il ne peut pas y avoir de chose comme l'Utopie. Une société de
marché libre auraient encore besoin de posséder des moyens
de juger les conflits, la protection et la dépense de la vie et de la
propriété, le redressement des injustices. En l'absence de
gouvernement, des institutions fournissant ces services paraîtraient
naturellement sur le marché. Les prochains chapitres [non traduits,
NdT] examineront ces institutions et leur fonctionnement dans un milieu
de marché libre.
Notes
[1] Dans le cas d'une
propriété commune, chaque propriétaire aurait la pleine
possession d'une partie du total, et cette partie serait
spécifiée dans l'accord volontaire avec le ou les autres
propriétaires.
[2] La nature et la fonction des
agences d'arbitrage, tout comme les forces du marché qui pousseraient
les parties en litige à porter leurs revendications pour jugement et
à respecter la décision des juges, sera largement discutée
dans le prochain chapitre. [non traduit, NDT]
[3] Dans cette citation, le terme de
"terre" [land] est utilisé non pas au sens usuel de
propriété foncière mais au sens économique d'un
facteur de production originel quelconque donné par la nature.
[4] Les terres de l'État du Nevada
étaient "possédées" à 86,4% par le
gouvernement fédéral (États-Unis) en juin 1968,
d'après le Statistical Abstract of the United States of 1969.
[5] Dire que l'homme est un être
rationnel signifie qu'il est capable de pensée et de comportement
rationnels ; cela ne veut pas dire qu'il pensera automatiquement et se
comportera rationnellement car, pour ceci, il doit en faire le choix. Comme
la conscience de l'homme dépend de sa volonté, il est libre de
1 – ne pas choisir et 2 – choisir de ne pas penser, tout comme il
est libre de choisir de penser. Pour survivre, l'homme doit penser ;
le choix de le faire doit être fait par chaque personne,
individuellement et indépendamment – par elle seule. Le choix de
penser ou non ne peut être fait que par des individus – la
société n'a pas de cerveau pour penser.
Traduction : Hervé de Quengo
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