Si tout ceci ne se traduisait pas en chômeurs et en
nouveaux pauvres, on pourrait en rire.
Japon: le bon peuple ne réagit pas comme les économistes l’avaient
prévu
Fin Janvier, la banque du Japon annonçait son entrée dans le club des banques
centrales à taux négatif. La mesure était censée relancer le crédit en
incitant les banques à ne pas laisser leurs réserves dormir en banque
centrale, et destinée à réduire le taux d’épargne servie à la population, et
donc à l’inciter à “consommer”, puisque dans l’inconscient keynesien,
consommer est bon, et épargner est mauvais.
Que constate-t-on moins d’un mois après ce mouvement désespéré de la BoJ ?
Les japonais retirent en masse leur liquide des banques et conservent leur
cash. Et
il y a une pénurie de… Coffres forts !
La loi des conséquences inattendues (enfin, inattendues d’un économiste
mainstream…) a encore frappé. Pourtant, il était assez facile de prévoir quel
serait la réponse comportementale des japonais à l’arrivée des taux négatifs.
Panorama des effets non anticipés des taux zéro ou négatifs
Tout d’abord, conserver du cash est d’autant plus rentable que le taux de
rémunération descend. Mais plus encore, les japonais anticipent évidemment un
risque de transmission des taux négatifs à leur compte en banque, et
préfèrent prendre leurs précautions. En gros, ils se couvrent contre un
risque de dépréciation bancaire…
Si c’étaient là les seuls effets pervers de taux de rémunération proches de
zéro voire inférieurs, ce ne serait encore pas si grave. Mais poursuivons
l’exploration du monde merveilleux des taux négatifs.
La Suisse vient d’expérimenter quelque chose de curieux au premier abord: les
taux de prêts longs aux particuliers ont augmenté. Cela s’explique
simplement. Quelques banques Suisses ont voulu répercuter les taux négatifs
sur les dépôts bancaires, et ont dû très vite faire face à de gros retraits.
Elles ont donc fortement limité cette répercussion, mais, pour trouver de la
marge, elles ont… augmenté leurs taux sur les prêts longs, à l’immobilier
principalement (source),
à niveau supérieur fin 2015 à ce qu’il était en début d’année.
Ensuite, d’une façon générale, dans de nombreux pays, les épargnants savent
que, pour leur retraite, ils ne pourront compter que sur leur épargne, les
régimes publics à prestation définies étant structurellement dirigés vers une
faillite. Par conséquent, quand les taux baissent trop, ceux qui le peuvent
vont avoir tendance à épargner plus, pour espérer des retours corrects quand
ils ne pourront plus travailler.
Bref, les taux négatifs ne créent aucune réelle incitation à dépenser plutôt
qu’à épargner. “Et Alors ?”
L’épargne, cette consommation productive...
Au reste, ce n’est pas un problème, d’un point de vue “non conformiste”. Il y
a deux sortes d’épargne: le placement productif, et le coffre fort plein de
cash (ou d’or).
Le placement productif n’est qu’une consommation différée. L’argent sera
prêté ou placé dans une entreprise qui l’investira en nouveaux produits ou
outils de production, et donc versera des salaires, paiera des fournisseurs,
etc… Tôt ou tard, l’épargne placée revient dans le circuit de consommation.
Comptablement, l’effet d’une dépense d’investissement ou de consommation est
identique, mais la première contribue à créer du capital fixe, productif,
facteur de vraie croissance future et non de simple “croissance comptable”
par accroissement de la dette globale. Placée dans ces conditions, l’épargne
est de la “consommation productive” et ne devrait pas être montrée du doigt
par les économistes.
(Lire
cet ancien article pour savoir ce que j’entends par “bonne croissance”,
ou “croissance mieux”, “structurelle”, “schumpeterienne”, par rapport à la
croissance “plus”, purement comptable, financée par la dette et factice)
Quant à l’épargne sous le matelas, certes, elle retire de la masse monétaire
du circuit, et donc réduit le montant total des transactions possibles. Mais
si les banques centrales n’y mettaient pas leurs sales pattes, ce retrait
provoquerait une baisse des prix qui créerait de nouvelles opportunités
d’entreprendre…
(Lire aussi cet
ancien éloge non conformiste de la déflation).
Bref, l’épargne n’est pas l’ennemie de la croissance, ni celle de la consommation…
Sauf l’épargne dans les obligations des états mal gérés, mais c’est un autre
débat, pour un autre article, une autre fois !
L’incitation au mal-investissement, et ses dangers à moyen terme
Continuons notre tour du musée des horreurs des taux négatifs.
Les banques centrales, en augmentant leurs bilans, en rachetant des créances
bancaires de moins en moins bien notées, ont inondé les établissements
financiers de liquidités. Mais celles ci sont en recherche désespérée de
rendement. Nous entrons donc dans une zone dangereuse, celle du “mal
investissement”, c’est à dire de l’investissement dont le rendement nominal
ne rémunère pas correctement le risque d’échec. Autrement dit, des projets
qui n’auraient jamais trouvé preneur dans une économie de taux proches de
leur normale historique, trouvent du cash prêt à s’y investir “faute de
mieux”. Mais la rémunération servie est insuffisante pour couvrir la
probabilité d’échec de ces investissements.
Ajoutons que les banques sont amenées à prêter à long terme à des taux plus
faibles que leur moyenne historique, mais que le risque de remontée de ces
taux autour de ces moyennes est loin d’être nul. Leurs créances longues
perdront donc beaucoup de valeur si les taux remontent vers ces moyennes
historiques pour quelque raison que ce soit, et nous pourrions alors assister
dans les mois ou années à venir au déclenchement d’une crise bancaire
comparable à la crise des caisses d’épargnes américaines dans les années 80,
squeezées par une remontée rapide des taux de la FED alors qu’elles avaient
en portefeuille des créances longues à taux fixe plus faible, et donc ne
pouvaient pas rémunérer leurs déposants à hauteur des bons d’état…
Une autre façon de rechercher du rendement est de se lancer dans des
opérations à caractère spéculatif, à horizon temporel incertain: parier sur
une hausse de l’immobilier, de l’or, du pétrole, etc… à long terme, et tant
que le pari ne se matérialise pas, tenir sa position jusqu’à toucher le
jackpot. Cette attitude n’est guère censée en période de taux normaux: le
coût de la couverture du risque spéculatif (hedging) est trop élevé. Mais en
régime de taux très faibles, voire quasi nuls, couvrir une positions
spéculative est tenable.
Vous l’avez compris: un environnement de taux trop faibles dégrade la qualité
de l’investissement global, et les taux négatifs favorisent une sur-épargne
sans rendement, dont l’effet déflationniste (qui
serait positif, répétons le inlassablement) est hélas compensé par la
création monétaire désespérément orchestrée par des banques centrales en mode
“navigation à vue”.
Et qui dit investissement de faible qualité dit croissance structurelle
faible, incapable de générer les rendements nécessaires pour rémunérer
correctement le risque de malinvestissement. Nous entrons donc dans une zone
où le risque est élevé de voir les bilans bancaires à nouveaux plombés de
mauvaises créances. Reste à savoir si les mécanismes de résolution de
faillites bancaires récemment instaurés permettront de limiter l’impact de
cette crise par rapport à celle de 2008. Je l’espère, mais je ne suis pas
madame soleil…
Conclusion: les taux zéro ou négatifs, une ineptie qui nous coûtera
cher
Le simplisme et l’ineptie des raisonnements qui président aux politiques de
“relance par injection monétaire”, dont la politique de taux zéro ou négatifs
est le point d’orgue, sont confondants. Les résultats déjà observables au
Japon ou en Suisse montrent que les agents économiques réels, des individus
de chair et d’os, ne réagissent pas comme des modèles mathématiques
d’économistes incapables de raisonner au delà du premier degré. Et les
conséquences de moyen et long terme de la folie des taux zéro nous promettent
un nouvel épisode de crise financière dont on ne peut prédire l’ampleur.
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Lire également:
Charles Gave: la
folie des taux négatifs.