La théorie moderne de la
banque libre
La théorie de la
banque libre a été réactivée avec la parution de l’ouvrage The
Denationalization of Money de Friedrich von Hayek, où il défendait la libre concurrence dans
l’émission des monnaies privées par les institutions financières, et où il
soutenait que le marché déciderait, dans un système de libre concurrence
monétaire, de favoriser certaines monnaies privées en fonction de la
stabilité de la valeur monétaire. Pour Hayek, la dévaluation et la
surévaluation monétaire ont des effets néfastes sur les créanciers et les
débiteurs, et le monopole d’émission de la monnaie par les banques centrales
ne permet pas au marché de procéder au choix des monnaies les plus adaptées
aux réalités économiques. Cette défense hayékienne d’une dénationalisation du
système monétaire a inspiré le développement de l’école contemporaine de la
banque libre, notamment avec George A. Selgin et Lawrence H. White, ou encore Kevin Dowd et Steven Horwitz.
Cette école de
pensée s’inscrit dans la filiation intellectuelle de l’école bancaire
(Banking School) en affirmant qu’en l’absence de banque centrale, les forces
catallactiques du marché contrôleraient l’offre de monnaie, notamment la monnaie
fiduciaire comme les billets de banque, et la quantité totale de dépôts et
d’ouverture de comptes courants. Lawrence H. White parle de dépolitisation de
l’offre de monnaie, ce qui signifierait décentraliser les
décisions relatives à l’offre monétaire et à la détermination des taux
d’intérêt auprès des banques commerciales.
La principale
différence avec l’école française de la banque libre est que les théoriciens
actuels considèrent les billets de banque comme une monnaie, alors que
Courcelle-Seneuil les considérait comme de simples promesses de payer en
monnaie effective. Il est intéressant de noter que la figure de
Courcelle-Seneuil a été à l’origine de débats au sein de l’école
autrichienne. Courcelle-Seneuil, qui défendait la liberté totale d’émission
des billets de banque, avait en effet été professeur d’économie politique à
Santiago (Chili). Le Chili avait alors un système de banque libre,
c’est-à-dire sans banque centrale, et le système financier était stable, avec
une monnaie-marchandise à 100% de réserves.
Mais
Courcelle-Seneuil joua un rôle essentiel dans la transformation de la
législation bancaire chilienne en un système à réserves fractionnaires à
partir des années 1860. Cette nouvelle législation a malheureusement accéléré
l’inflation de manière substantielle, ce qui a précipité en moins de cinq ans
l’effondrement du système de banque libre chilien. Les milieux bancaires et
l’élite politique ont alors coopéré étroitement pour mettre en place un
système de banque centrale complet au Chili. Selon Selgin, l’un des plus
éminents partisans du système à réserves fractionnaires, la cause de cet
effondrement était due à l’intervention publique et non aux réserves
fractionnaires.
Toutefois,
cette résurgence de l’école bancaire a relancé le débat, et les successeurs
de l’école monétaire ont vigoureusement critiqué les thèses des partisans de
la banque libre à couverture partielle. Les principaux protagonistes étaient
Jesús Huerta de Soto, Murray N. Rothbard, Guido Hülsmann ou encore Hans-Hermann Hoppe. Murray N. Rothbard a été considéré
comme le successeur de Victor Modeste dans sa critique vigoureuse des
réserves fractionnaires, frauduleuses à ses yeux.
La banque à
100% de réserves est définie par cette école de pensée comme une alternative
au système de réserves fractionnaires pratiqué dans le monde entier
aujourd’hui, où les fonds des comptes de dépôt à vue – notamment les comptes
courants – seraient garantis par des réserves monétaires en espèces,
disponibles à vue pour les clients qui souhaiteraient retirer leur
argent au guichet, ou bien avec une garantie de remboursement ou
d’échange en or dans un régime monétaire d’étalon-or.
Ce système,
défendu vigoureusement par Rothbard, permettrait d’éviter l’inflation et
la dette, protégerait l’épargne, stabiliserait les parités entre les
monnaies, et éviterait des crédits et des investissements trop nombreux qui
créent les conditions du cycle économique.
Conclusion
Comme nous
l’avons constaté, les débats monétaires au sein de l’école autrichienne sont
donc largement inspirés, sinon étrangement similaires à cette fameuse
controverse des économistes français au cours de l’année 1866. Plus encore
que l’école anglaise, l’école française d’économie politique est
annonciatrice des grands débats monétaires au sein de l’école autrichienne et
autour de la banque libre.
La grande
innovation des économistes autrichiens est d’orienter la réflexion autour du
dispositif bancaire des réserves fractionnaires au sein d’une plus vaste
description positive du fonctionnement des cycles économiques, et d’un
ensemble de prescriptions normatives dans l’optique d’une réforme monétaire
qui aurait pour objectif principal de rétablir une véritable stabilité du
système financier.
Il faut
toutefois noter que si les économistes autrichiens diffèrent quant à
l’attribution des causes du cycle économique à certains traits de
fonctionnement du marché bancaire, Murray Rothbard, chef de file de
l’opposition aux réserves fractionnaires, reconnaît que la banque libre
entendue au sens de Selgin et White constituerait un système monétaire
beaucoup plus solide que le système actuel. Les partisans du 100% de réserves et
des réserves fractionnaires se rejoignent donc sur la nécessité de la
suppression du cours légal des moyens fiduciaires, sur la défense de la
concurrence entre les monnaies, sur l’opposition à la banque centrale, et
enfin sur la fin de la garantie publique des dépôts.
Mais ce fait
ne doit pas nous empêcher de souligner la convergence assez troublante entre
les économistes français du XIXe siècle et les économistes
contemporains de la banque libre, à savoir une critique radicale du monopole
de la banque centrale et une division doctrinale importante sur la question
des réserves fractionnaires.
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