Nombreux
sont ceux qui restent convaincus que la dernière crise financière a été
en grande partie due à un manque de règlementation. Cela a permis aux banques
de mener une politique de crédit laxiste sans aucun contrôle étatique. Cette
croyance est pourtant sans fondement et ignore le niveau de
règlementation qui existe sur le marché bancaire. De fait, cette
règlementation a incité les banques à prendre des risques pour respecter les
nouvelles règles qui leur étaient imposées.
Tout
d’abord, le lecteur doit garder à l’esprit que le marché bancaire a la
particularité de s’organiser autour d’un prix de base et une offre de
liquidité totalement déterminés par la banque centrale (BC). En effet, le
taux d’intérêt auquel les banques se financent et les quantités de liquidité
mises à leur disposition sont tous les deux fixés par la BC. Toute déviation
du taux d’intérêt par le marché au-delà de la fourchette annoncée par la BC
entraîne la mise en œuvre d’actions de la part de la BC afin de ramener le
taux d’intérêt dans la fourchette annoncée.
Ceci
dit, les BC ne se limitent pas à déterminer des taux d’intérêt et l’offre de
liquidité pour réguler le marché bancaire. Elles régulent également le risque
auquel s’exposent les banques commerciales. Ceci est vrai depuis la crise de
1929 et la création de la BIS (Bank of International Settlements). Jusqu’à la
faillite de la banque Herstatt AG en 1974, cette réglementation était le fait
de chaque BC nationale. Cet évènement fatidique signe la création du «
Comité de supervision bancaire de Bâle » qui a donné naissance aux fameux
accords de Bâle sur les besoins en capital des banques commerciales.
Les
accords de Bâle – inspirés des procédures déjà en pratique aux États-Unis
depuis le Banking Act de 1933 – établissent aujourd’hui que les banques
commerciales doivent maintenir un ratio de capital de 8% -- bientôt 10% selon
les accords de Bâle III – par rapport au total de leurs actifs pondérés par
leur risque. Pour simplifier, on peut dire que les actifs de la banque
sont catégorisés en quatre grands paniers. Le premier panier inclut les
actifs le plus liquides, tels que le cash et les obligations gouvernementales
AAA détenus par la banque. Ce premier panier se voit allouer un risque
considéré comme nul, à savoir 0%. Il n’est donc pas nécessaire d’accumuler du
capital en contrepartie de la détention de ces actifs. Le second panier
inclut des actifs émis par les entreprises publics. Le risque de ces actifs
est pondéré à 20%. Le troisième panier inclut généralement du crédit
hypothécaire, dont le risque est pondéré à 50%. Finalement, le quatrième
panier inclut le crédit à la consommation et aux entreprises, tous les deux
pondérés à 100%. Le tableau 1 ci-dessous fournit un exemple hypothétique de
calcul de ratio de capital pour une banque X.
Tableau
1: Exemple calcul de ratio de capital Bâle I
ACTIFS
DE LA BANQUE X
|
ACTIFS
|
TOTAL
|
PONDERATION
|
TOTAL
PONDERE
|
Cash
et T-Bonds
|
$300M
|
0%
|
0
|
ABS
|
$800M
|
20%
|
$160M
|
Hypothèques
|
$1000M
|
50%
|
$500M
|
Crédit
à la consommation et aux entreprises
|
$900M
|
100%
|
$900M
|
TOTAL
|
$3000M
|
-
|
$1560M
|
Besoins
règlementaires en capital selon Bâle III : 10% de $1560M = $156M
|
Il
est intéressant de voir que les catégories de la BIS ne prennent absolument pas
en considération les différences de risque qui existent entre les émetteurs
de chaque catégorie d’actifs. Ainsi, les titres de dette d’une entreprise
aussi solide que Siemens sont considérés comme étant de moindre qualité que
les titres de dette grecs. Pire, les titres de dette d’une entreprise moyenne
entrent dans la même catégorie que les titres d’une entreprise comme Siemens
ou Coca-Cola. Autre problème de cette classification est le système
d’incitation qu’elle crée. Plus une banque dispose d’actifs « sûrs », plus
elle disposera de capital de base pour créer de nouveaux crédits par le biais
du mécanisme du multiplicateur bancaire (voir ici). Par conséquent, la banque
aura moins d’incitation à créer du crédit aux entreprises et aux
consommateurs et préférera l’endettement public et les autres types d’actifs
comme les ABS (Asset-backed securities, dérivés du crédit).
Au
delà de ce constat, un problème de taille demeure : la quantité des actifs
les plus sûrs sur le marché est limitée par rapport aux crédits que la
banque peut créer ex nihilo. Or, le multiplicateur bancaire permet à la
banque de gagner beaucoup plus d’argent que si elle n’en faisait pas usage.
Par exemple, si les $300 millions en T-Bonds de la banque X ci-dessus
rapportent 5% à la banque et que celle-ci doit en restituer 2% à ses clients,
elle touche un spread de 3% sur $300 millions, c’est-à-dire, $9 millions
d’euros. Or, si les $900 millions en crédit à la consommation et à la
production rendent 4% à la banque et que celle-ci doit payer 2% à ses
clients, il lui reste un spread de 2% sur $900 millions, autrement dit, $18
millions. Plus la banque peut créer des crédits, plus elle pourra amplifier
ses recettes grâce à ses « économies d’échelle ».
C’est alors que la titrisation fait son
apparition. Les banques ne peuvent pas vendre leurs crédits directement sur
le marché, car les crédits octroyés par une banque ne constituent pas des
titres négociables. Cependant, elle peut titriser ces crédits. Pour ce faire,
la banque crée une entreprise, un véhicule spécial d’investissement qui
recevra les crédits bancaires à titriser. Le véhicule émettra de nouveaux
titres, les fameux ABS (asset-backed securities) dont le rendement est lié à
celui des crédits sous-jacents. L’astuce est de transformer un crédit
bancaire qui représente un certain risque en un titre négociable moins risqué
(credit enhancement). C’est possible en créant des tranches structurées
de telle façon que les tranches supérieures (senior) sont « protégées » par
les tranches inférieures (junior), comme décrit dans le schéma ci-dessous.
Figure 1 : Processus de titrisation
structurée
Ainsi,
si un véhicule spécial regroupe $900 millions de crédit à la consommation
avec un rendement de 10%, il est possible de créer des titres correspondant à
ces $900 millions partitionnés en tranches, disons trois.. Chaque
tranche a un sous-jacent équivalent à des crédits de $300 millions, mais
elles sont vendues à des prix différents.
La
tranche junior sera vendue à $250 millions, ce qui la rend effectivement plus
rentable qu’auparavant puisqu’elle rapporte $30 millions d’intérêts pour un
coût de $250 millions, autrement dit, un rendement de 12% au lieu de 10%. La
tranche mezzanine sera vendue à $350 millions pour un rendement de $30
millions, donc 8,57% de rendement. Finalement, la tranche senior sera vendue
à $400 millions pour un rendement toujours de $30 millions, soit 7,5% de
rendement. S’il est vrai que les tranches supérieures sont plus chères et
moins rentables, elles sont néanmoins plus sûres car tout défaut de paiement
du sous-jacent est d’abord absorbé par la tranche inférieure. La tranche
senior est couverte par la tranche mezzanine qui l’est par la tranche junior
Autrement dit, les détenteurs des tranches mezzanine sont couverts à hauteur
de $300 millions par les détenteurs des tranches junior, tandis que les
détenteurs des tranches senior sont couverts à hauteur de $600 millions par
les deux autres tranches inférieures.
Ce mécanisme de titrisation est
fondamental pour comprendre le phénomène d’arbitrage règlementaire et
l’incitation institutionnelle à la prise de risque que nous verrons dans notre
prochain billet.
|