L’éditeur
parisien Berg International vient de rééditer une série
de textes de Frédéric Bastiat sous le titre : Contre
l’économie d’État. Ces textes font partie
d’un recueil de petits pamphlets de Bastiat intitulé : Ce qu’on voit et ce qu’on ne
voit pas, datant de 1850.
Frédéric
Bastiat (1801-1850) est un économiste et homme politique
français, fort méconnu en France, bien que reconnu comme un
auteur de première importance dans de nombreux autres pays. Il fut le
contemporain d’Alexis de Tocqueville, auprès de qui il
siégea à l’Assemblée nationale.
L’étymologie grecque du
mot économie, qui repose sur oikos (la
maison) et sur nomos (la règle)
évoque la « tenue du ménage » autrement dit,
l’art de régler l’activité de la famille de sorte
que ses ressources suffisent à ses besoins. On peut donc
définir l’économie comme la science des actions humaines,
en particulier des choix que l’homme fait pour lutter contre la
rareté.
Qu’est-ce
qu’une économie d’État ? C’est une doctrine économique qui
consiste essentiellement à justifier l’intervention de l’État
dans la production et la distribution des biens.
Or
la grande leçon de Frédéric Bastiat dans cette
série de textes, c’est que l’intervention de
l’État a des effets pervers que l’on ne voit pas. Seul le
bon économiste est capable de les prévoir.
Autrement
dit, toute décision politique constitue un acte économique.
L'économie contemporaine exprime cette idée dans le concept de « coût
d'opportunité », c’est-à-dire la valeur de ce
à quoi on renonce au moment de faire un choix. La différence
nette de résultat entre plusieurs opérations envisageables,
mettant en œuvre les mêmes ressources données s’appelle
un « coût d'opportunité ». Le coût
d’un choix doit donc être comparé au coût d’un
autre choix possible pour savoir s'il y a eu augmentation nette ou diminution
nette de la richesse. Et c’est exactement ce qui correspond à
« ce qu’on ne voit pas ». Car toute action, tout
choix, comporte une partie visible et une partie invisible. La partie visible
c’est le choix réalisé. La partie invisible c’est
l’action à laquelle on a renoncé en faisant un choix. Tout
choix implique un renoncement.
Par
conséquent une « bonne » décision ou une «
bonne » politique est une politique qui coûte moins à la
société que ce qu'une autre allocation des ressources aurait pu
lui coûter. Aussi faut-il juger l’efficacité d’une
politique non seulement sur la base de ce qui arrive, mais aussi sur la base
des alternatives qui auraient pu se produire.
Par
exemple, dans « Droit au travail - Droit au profit »,
Bastiat explique : « Ce qu’on voit, c’est le travail
et le profit permis par la cotisation sociale. Ce qu’on ne voit pas, ce
sont les travaux auxquels donnerait lieu cette même cotisation si on la
laissait aux contribuables. » Pour
faire un bon calcul économique, il faudrait prendre en
considération les emplois et les richesses qui auraient pu être
créés si les contribuables avaient pu dépenser leur
argent comme ils le souhaitaient au lieu de payer des taxes. Le calcul économique doit établir la relation
entre ce qui existe et ce qui aurait pu exister si un autre choix avait
été fait.
Chaque
fois que nous évaluons l’impact d’un programme
gouvernemental sans tenir compte de ce que les contribuables auraient fait
à la place, avec l’argent qu’on leur a enlevé en
impôt, on succombe à l’illusion politique. Et la plupart
des illusions politiques ne survivent pas à la distinction de Bastiat
entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas.
Ainsi, nous dit-il, c’est une illusion de
croire que le gouvernement peut « créer des
emplois » car pour chaque emploi public créé il
détruit un emploi sur le marché. En effet, les emplois publics
sont payés par les impôts. Les emplois publics ne sont pas
créés, ils sont perçus. De plus, en supprimant un emploi
qui répond aux besoins et aux désirs des consommateurs, on le
remplace par un emploi qui sert les objectifs des seuls politiciens.
Tout euro dépensé par
l'État doit nécessairement être obtenu par un euro
d'impôt ou de dette. Si nous envisageons les choses sous cet angle, les
soi-disant miracles des dépenses de l'État nous apparaissent
sous un tout autre jour.
Cette
leçon de base a inspiré le journaliste économique
américain Henry Hazlitt (1894-1993),
auteur d’un petit ouvrage de vulgarisation économique
intitulé : Economics in One Lesson
« Aucune foi au monde n'est plus tenace ni plus
entière que la foi dans les dépenses de
l'État », écrit Hazlitt. « De tous
côtés, on les présente comme une panacée capable
de guérir nos maux économiques. L'industrie privée
est-elle partiellement somnolente ? On peut y remédier par les
dépenses publiques. Y a-t-il du chômage ?
Cela est évidemment dû à l'insuffisance du pouvoir
d'achat. Et le remède est tout aussi évident : le
Gouvernement n'a qu'à engager des dépenses pour suppléer
ce manque à acheter. »
Hazlitt
nous montre que Bastiat a réfuté l’économie
d’État et en particulier l’économie
keynésienne près d’un siècle avant Keynes. Ce dernier pensait que les dépenses publiques
augmentaient la production en raison d'un multiplicateur : si le gouvernement
construit un pont, les ouvrier du pont peuvent
acheter du pain, puis les boulangers peuvent acheter des chaussures, etc.
À
cela, Bastiat a répondu dans Travaux publics : «
L’État ouvre un chemin, bâtit un palais, redresse une rue,
perce un canal; par là, il donne du travail
à certains ouvriers, c’est ce qu’on voit; mais il prive de
travail certains autres, c’est ce qu’on ne voit pas. »
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