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J’ai rendu compte ici du dernier livre
de Philippe Nemo, Esthétique de la liberté* . Un des chapitres de
l’ouvrage mérite qu’on s’y attarde un peu plus longuement.
Dans sa deuxième partie, intitulée «
Laideur de la servitude », Nemo n’a pas de mal à montrer l’horreur des
totalitarismes, à la suite de penseurs tels qu’Orwell, Arendt ou Hayek. Puis,
et c’est là que je veux en venir, l’auteur poursuit son propos sur la «
laideur des socialismes ». Il ne s’agit pas du socialisme au pouvoir à La
Havane ou La Paz, mais de celui qui sévit tous les jours, chez nous, en
France.
Il exagère, pensera immédiatement le
commun des mortels. Certes le totalitarisme est une horreur, mais mettre le
socialisme modéré, la social-démocratie dans le même sac, c’est osé, pour ne
pas dire indécent.
Détrompez-vous, braves gens. Philippe
Nemo a parfaitement saisi que ces politiques présentées « comme humanistes
peuvent être analysées, au contraire, comme des agressions caractérisées
contre la nature humaine et donc comme des facteurs d’enlaidissement de
l’être humain ».
Philippe Nemo aborde la question sous
l’angle de la fiscalité. Cela peut sembler, de prime abord, étrange. Mais la
fiscalité ne touche-t-elle pas directement à la propriété et à la liberté des
individus ?
Pour commencer, l’auteur rappelle que «
l’impôt est la contribution des citoyens aux dépenses publiques », et que son
recouvrement est « opéré par les moyens de coercition confiés à l’État ».
Dans une société de droit, « la coercition publique ne peut être exercée qu’au
service de l’intérêt général ». Or, il y diverses conceptions de l’intérêt
général, et celles-ci ne sont pas toutes légitimes.
Selon Nemo, « il est d’intérêt général
d’assurer l’ordre public qui permet une vie sociale normale et une
coopération économique pacifique et efficiente entre les citoyens ». Par là,
il vise essentiellement les fonction régaliennes de police, justice, défense,
diplomatie et l’appareil administratif central.
Il est toujours d’intérêt général de «
financer les biens et services collectifs qui sont utiles à tous, mais ne
peuvent être fournis adéquatement par le marché ». Nemo pense ici aux
infrastructures de communication et de transport, à la conservation du
patrimoine, à la recherche scientifique fondamentale, à l’éducation générale
de base, à certains services de santé, etc. Il reconnaît que l’on « peut
discuter du périmètre souhaitable de ces biens et services pris en charge par
la collectivité ». Surtout, il admet que le contour de ces biens et services
doit varier dans le temps, en particulier avec l’évolution des techniques.
Par exemple, « quand la publicité, ou les technologies de câblage ou de cryptage,
permettent à des télévisions ou à des radios de fonctionner avec l’argent de
leurs clients, l’intervention de l’État ne se justifie plus, moins encore son
monopole ».
Pour financer ces biens et services,
dont chacun use différemment, il est juste, dit Nemo, que les impôts soient
proportionnels. Car « celui qui consomme plus de services collectifs ou de
biens marchands a une dette plus élevée à l’égard des collectivités
publiques, et il est juste qu’il paie proportionnellement plus d’impôts. Tel
est le principe des impôts indirects comme la TVA, qui sont proportionnels
par définition, ou de l’impôt proportionnel sur le revenu (« flat tax
») ».
Mais, il existe une troisième
conception de l’intérêt général qui entraîne d’autres impôts. C’est ainsi
qu’il serait d’intérêt général de réduire les inégalités sociales par la
redistribution des richesses. « Les tenants de cette conception, précise
Philippe Nemo, demandent donc à l’État de prélever des impôts sur certains
contribuables, non en échange d’une prestation quelconque qu’il leur
fournirait, mais pour le seul motif qu’étant plus riches que d’autres, ils
doivent être appauvris, cependant que d’autres citoyens doivent être enrichis
par l’argent prélevé. Les impôts destinés à assurer cette ‘redistribution’ prennent,
techniquement, la forme des impôts progressifs, ou des impôts sur le capital,
sur le patrimoine ou sur les héritages ». Il est clair que de tels impôts
sont contraires « aux règles de la justice ordinaire qui veut, précisément,
que rien ne soit pris, ou donné, à quelqu’un, sans qu’il lui soit donné, ou
demandé, quelque chose en échange ».
Derrière cette conception erronée de
l’intérêt général et de l’impôt progressif, on retrouve l’idée, fausse elle
aussi, « que l’argent des riches a été pris aux pauvres, comme si l’économie
était un jeu à somme nulle ».
Ensuite, Philippe Nemo indique combien
la spoliation des riches est une erreur économique, mais surtout une faute
morale. En effet, dans toutes les langues et dans toutes les traditions
morales, prendre de l’argent aux contribuables sans contrepartie, c’est du
vol. Par ailleurs, « donner quelque chose à quelqu’un sans contrepartie à
titre habituel revient à lui déclarer qu’il est définitivement incapable
de gagner lui-même sa vie ; qu’il n’a donc en lui qu’une partie des
potentialités de la nature humaine et qu’il est, par nature, un être
inférieur. Les socialistes, de fait, parlent sans cesse des ‘pauvres’ comme
s’il s’agissait d’une catégorie à part, d’hommes incapables, par essence, de
vivre de leur libre travail. On ne voit pas très bien la différence de fond
qu’il y a entre cette conception et le racisme ou l’esclavagisme ».
Je me permettrai d’ajouter que les
diatribes continuelles des socialistes français à l’encontre des riches relèvent aussi,
à mon sens, du « racisme ». Le « je n’aime pas les riches, j’en conviens »,
prononcé par François Hollande le 8 juin 2006, est inacceptable. Remplacez «
riches » par n’importe quel autre mot (pauvres, femmes, homosexuels, vieux,
gros, ouvriers, noirs, handicapés, jardiniers…) et vous rendrez compte du
caractère éminemment raciste de cette phrase, qui pourtant fût applaudie.
« Agression contre les riches d’un
côté, enfermement des pauvres dans un statut d’êtres humains inférieurs,
voilà donc ce qu’accomplit potentiellement toute fiscalité d’inspiration
socialiste », écrit Phillipe Nemo.
À suivre
* Philippe
Nemo, Esthétique de la liberté, PUF, 2014, 200 pages
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