Nous avons vu
au cours des trois précédents articles (1,
2,
3)
comment le système bancaire a évolué de la fin de la
deuxième guerre mondiale à nos jours. On constate que si les
banques ont cherché des rendements plus élevés
grâce à de nombreuses innovations financières, elles ont toujours su respecter les
règles imposées par les autorités (réserves
obligatoires, ratios de capital, etc.). Or, alors que le risque lié
à ces innovations était supposé être dilué
au sein du système, le constat aujourd’hui est implacable :
quelque chose est venu fausser la dilution du risque si bien qu’il
s’est propagé à tout le système financier
international.
Les
schémas décrits dans le cadre de ces articles, qu’il
s’agisse du LBO (leveraged buy-out),
des dérivés négociés par les SIVs
(structured investment vehicles) et SPVs (special purpose vehicles) ou les schémas de crédit
syndiqué, visaient à réduire le risque potentiel
d’un investissement. Les LBO et les crédits syndiqués diluent
le risque par l’association de plusieurs investisseurs, lesquels
financent l’endettement d’un débiteur. Cette association
cherche à faire partager les frais de l’opération
(surtout les frais du suivi des remboursements) et le risque de défaut
entre plusieurs associés au lieu de faire supporter tout le poids de
l’opération sur un seul acteur.
A leur tour, les
instruments dérivés, créés ou
négociés par les SIVs et les SPVs, diluent eux aussi le risque. Des instruments de
crédit (prêts hypothécaires, crédits à la
consommation, etc.) sont regroupés au sein de ce qu’on appelle un
pool d’obligations. A partir
de ce pool, un SPV va par exemple
distinguer trois types d’obligations et les classer en tranches dites senior, mezzanine, et junior
– les fameux ABS (Asset-Backed
Security).
Les
obligations senior
sont servies en premier quand il s’agit d’obtenir le remboursement
du capital et des intérêts. De même, en cas de
défaut des crédits sous-jacents, elles ne sont touchées
que si les autres tranches ne suffisent pas à encaisser les pertes. Le
risque lié à ces dérivés senior est donc
inférieur au risque qu’il y aurait à détenir
directement les fameux sous-jacents, prêts hypothécaires ou
autre.
Les obligations mezzanine sont quant à elles remboursées
après les senior et avant
les junior, mais elles encaissent
les pertes avant les senior et juste
après les junior. Finalement,
les obligations junior sont
remboursées en dernier et sont les premières à réaliser
des pertes en cas de défaut du sous-jacent.
Évidemment,
le prix des tranches varie en fonction du risque des dérivés.
Les tranches supérieures sont négociées à un prix
supérieur à celui des sous-jacents, tandis que les tranches junior ont un prix inférieur
même à celui des sous-jacents, d’où leur plus
grande rentabilité. Les CDOs (collateralized debt
obligations), un autre instrument dérivé, fonctionne selon
un schéma identique, avec cette fois des ABS comme sous-jacents au
lieu des instruments de crédit classiques.
Ces produits
structurés sont supposés permettre aux investisseurs les plus
averses au risque d’accéder à des rendements plus
élevés que ceux que pourraient générer les actifs
sous-jacents sans pour autant s’exposer
directement au risque de défaut de ces mêmes sous-jacents.
En même
temps, les investisseurs plus agressifs pourront acquérir des
dérivés présentant le même risque que leurs
sous-jacents, mais offrant un rendement plus élevé. En fait, la
qualité des sous-jacents joue un rôle crucial.
Sauf que dans
un système à réserves fractionnaires comme le
nôtre, la dilution du risque prévue par les schémas décrits
ci-dessus va être faussée. En effet, dans la mesure où
les coefficients de réserve et les ratios de capital à
respecter sont très peu contraignants, les banques vont pouvoir créer
des quantités immenses de nouveaux crédits.
Or, il n’existe pas autant de bons emprunteurs
qu’il n’y a de crédits offerts par les banques.
Au fur et à mesure que l’expansion du crédit progresse,
le nombre potentiel de débiteurs de mauvaise qualité augmente. Il
est donc évident que le risque de défaut des
dérivés augmentera avec l’expansion du crédit, car
les banques sont à l’origine des instruments de crédit qui
servent de sous-jacent aux dérivés négociés par
les SIVs et SPVs. Peu
importe alors qu’on ait investi dans les tranches supérieures
d’un ABS ou d’un CDO, le risque réel du
dérivé peut se révéler tout simplement trop
élevé pour que seules les couches inférieures soient
touchées par les pertes.
Doit-on
dès lors considérer que les banques sont coupables de
cupidité, voire même d’irresponsabilité
malveillante lorsqu’elles octroient des crédits ?
Peut-être, mais on remarquera que les règles de liquidité
et de capital sont bel et bien respectées par les banques.
Techniquement parlant, les banques restent dans les limites de la loi et de la régulation des banques
centrales quand elles créent des crédits.
Faut-il alors
considérer que les banques ne sont pas suffisamment
régulées ? Peut-être mais si on augmente
considérablement le niveau des coefficients de réserve et de
capital, on ne pourra au mieux que retarder la propagation du risque. Certes,
les banques ne pourront plus augmenter d’un coup les crédits offerts,
mais la procédure de titrisation leur permettra toujours de se
renflouer en liquidités et ainsi, à un rythme sans doute plus
lent mais certain, procéder à l’octroi de nouveaux
crédits. Faudrait-il alors interdire la titrisation ? Ce n’est
pas sans risque car le financement d’une bonne partie de la production
et de la consommation est justement rendue possible grâce à ce
processus de titrisation.
Il devient
donc facile à ce stade de comprendre que le problème est ailleurs. Il se
trouve dans cette possibilité de créer des crédits
à partir de rien pour financer des projets qui serviront
eux-mêmes de sous-jacent à toutes sortes d’instruments
financiers. Cela introduit un
risque d’illiquidité croissant dans
toute l’économie. Or, ce phénomène n’est
possible que parce que les États maintiennent un système de
réserve fractionnaire opéré par la banque centrale. Le
coupable est ainsi celui qui fait tout en ce moment pour remettre sur pied un
système dont on sait qu’il reproduira les mêmes erreurs et
nous fera courir les mêmes risques.
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