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Chapitre 11
de "The Counter-Revolution of Science," Liberty Fund, 1952
Le texte suivant est tiré de la deuxième partie de The Counter-Revolution of Science - Studies of
the Abuse of Reason, qui fut tout d'abord publiée dans le journal
Economica (dans les années 40). La première partie de cet
ouvrage a été traduite par Raymond Barre et publiée sous
le titre Scientisme et
sciences sociales dans la
collection AGORA (Press Pocket).
Outre son analyse du scientisme (conduisant au socialisme
planificateur), on rappellera que F.A. Hayek distingue deux
libéralismes : le bon libéralisme britannique et le mauvais
libéralisme français, de tradition rationaliste et constructiviste
(issue en partie d'un "culte de Newton" au sein des sciences
sociales). Voir notamment la note [6] du
texte. Il va jusqu'à dire qu'il y a absence totale d'une tradition
libérale véritable en France (in La Constitution de la liberté) !
Cette
appréciation a été combattue par Murray Rothbard (dont
le second prénom est Newton !) et d'autres penseurs autrichiens
rationalistes :
- Sur les auteurs cités par
Hayek, notons que Rothbard qualifie Condorcet d'"individualiste et
libertarien" (Economic
Thought Before Adam Smith, Edward Elgar, 1995, p. 483.) et a écrit
un chapitre entier sur "L'éclat de Turgot" (ibid, pp.
385-413, repris également dans 15
Great Austrian Economists, édité par R.G. Holcombe, Ludwig
von Mises Institute, 1999, pp. 29-44, traduit par François Guillaumat
et disponible, entre autres, sur le site Le
site libertarien et non-conformiste.
- Pour une critique de la distinction
et de la typologie hayekienne, voir l'excellent article de Ralph Raico
"Le rôle central des libéraux français au XIXe
siècle" dans Aux Source du modèle
libéral français, ouvrage collectif sous la direction
d'Alain Madelin, 1997, Perrin, pp.103-137.
NB : Hayek donne
presque systématiquement les traductions anglaises des citations qu'il
fait. Ne disposant pas des références originales (et n'ayant
pas le temps ni le courage d'aller les consulter à la BN...), les
parties citées suivie d'une marque * correspondent à un texte
qui est une retraduction de l'anglais et non au texte en français de
l'auteur. NdT]
I.
Jamais l'homme ne
s'enfonce plus profondément dans l'erreur que lorsqu'il poursuit un
chemin qui l'a auparavant conduit au succès. Et il n'a jamais
été plus justifié d'être fier des réussites
des sciences de la nature ou d'avoir confiance dans l'omnipotence de leurs
méthodes qu'au tournant entre le dix-huitième et le
dix-neuvième siècle. Et jamais nulle part plus qu'à Paris,
où presque tous les grands scientifiques de l'époque se
retrouvaient. S'il est vrai, par conséquent, que la nouvelle attitude
de l'homme vis-à-vis des affaires sociales au dix-neuvième
siècle est due aux nouvelles habitudes mentales acquises lors de la
conquête intellectuelle et matérielle de la nature, nous devons
nous attendre à ce qu'elle apparaisse là où la science
moderne a remporté ses plus grands triomphes. En ceci, nous n'allons
pas être déçus. Les deux grandes forces intellectuelles
qui, au cours du dix-neuvième siècle, ont transformé la
pensée sociale - à savoir le socialisme moderne et
l'espèce de positivisme moderne, que nous préférons
appeler scientisme - sont sorties directement de ce groupe
d'ingénieurs et de scientifiques professionnels qui s'est
développé à Paris, et plus particulièrement de
cette nouvelle institution qui incarne comme nulle autre l'esprit nouveau :
l'École polytechnique.
On sait bien que les
Lumières françaises se sont caractérisées par un
enthousiasme général pour les sciences de la nature, comme on
n'en avait jamais connu auparavant. Voltaire est le père de ce culte
de Newton qui devait être porté plus tard à des hauteurs
grotesques par Saint-Simon. Et a nouvelle passion a vite donné des
fruits remarquables. Au début, l'intérêt s'est
concentré sur les sujets liés au grand nom de Newton. Ce
dernier trouva rapidement des successeurs de qualité en Clairault et
d'Alembert, avec Euler, les plus grands mathématiciens de l'époque,
qui furent eux-mêmes suivis par Lagrange et Laplace, d'aussi grands
géants. Puis avec Lavoisier, non seulement le fondateur de la chimie
moderne mais aussi un grand physiologiste, et, à un moindre
degré, Buffon en biologie, la France prit la tête de tous les
champs importants de la connaissance de la nature.
La grande Encyclopédie fut une tentative gigantesque
d'unifier et de populariser les réussites de la nouvelle science et le
"Discours préliminaire" (1954) écrit par d'Alembert
pour cet ouvrage, dans lequel il essaie de retracer la montée, les progrès
et les affinités des diverses sciences, peut être
considéré non seulement comme l'introduction de l'Encyclopédie mais comme celle de toute une
époque. Ce grand mathématicien et physicien a beaucoup fait
pour préparer la voie à la révolution de la mécanique,
que son élève Lagrange libéra finalement à la fin
du siècle de tout concept métaphysique, en reformulant tout le
sujet sans référence à des cause finales ni à des
forces cachées, en décrivant simplement les lois qui reliaient
les effets [1]. Aucune autre
étape dans un autre domaine scientifique n'illustre plus clairement la
tendance du mouvement scientifique de l'époque, ni n'a eu de plus
grande influence ou importance symbolique. [2]
Pourtant, alors que cette
étape se préparait encore petit à petit dans le domaine
où elle allait prendre sa forme la plus voyante, la tendance
générale qu'elle exprimait était déjà
reconnue par un contemporain de d'Alembert : Turgot. Dans les discours
étonnants et magistraux qu'il délivra à vingt-trois ans
pour l'ouverture et la clôture de la session de la Sorbonne, en 1750,
et dans l'ébauche d'un Discours
sur l'Histoire universelle, de la même époque, il souligna
la façon dont la montée de notre connaissance de la nature
était accompagnée au même moment d'une
émancipation graduelle des concepts anthropomorphiques qui avait conduit
l'homme à interpréter les phénomènes naturels
selon sa propre image, à savoir possédant comme lui un esprit.
Cette idée, qui devait plus tard devenir un thème majeur du
positivisme et être finalement appliquée à tort à
la science de l'homme lui-même, fut peu après popularisée
par le président C. de Brosses sous le nom de fétichisme, [3] qui devait persister jusqu'à
ce que les termes d'anthropomorphisme et d'animisme ne le remplace. Mais
Turgot alla même plus loin et, anticipant totalement Comte sur ce
point, montra comment le processus d'émancipation passait par trois
stades où, après avoir supposé que les
phénomènes naturels étaient produits par des êtres
intelligents, invisibles mais nous ressemblant, on commença à
les expliquer à l'aide d'expressions abstraites comme les essences ou
les facultés, avant qu'enfin, "en observant l'action
mécanique réciproque des corps, on forme des hypothèses
qui puissent être développées par les
mathématiques et vérifiées par l'expérience
*" [4].
On a souvent
souligné [5] que la plupart des idées du
positivisme français avaient déjà été formulées
par d'Alembert et Turgot, ainsi que par leurs amis et élèves
Lagrange et Condorcet. Pour ce qui existe d'exact et de valable dans cette
doctrine, c'est indiscutablement vrai, bien que leur positivisme
diffère de celui de Hume en raison d'une forte dose de rationalisme
français. Et, comme nous n'aurons pas l'occasion d'étudier ce
sujet plus à fond, il faut peut-être particulièrement
souligner à ce stade que cet élément rationaliste,
probablement hérité de l'influence de Descartes, a
continuellement joué un rôle important, tout au long du
développement du positivisme français. [6]
Il faut cependant
souligner que ces grands penseurs français du dix-huitième
siècle montraient encore à peine la moindre trace de cette
extension illégitime des méthodes scientifiques aux
phénomènes de société, qui allait devenir plus
tard une caractéristique de cette école - à l'exception
peut-être de certaines idées de Turgot sur la philosophie de
l'Histoire et de certaines des dernières suggestions de Condorcet.
Aucun d'eux n'émettait de doute sur la légitimité de la
méthode abstraite et théorique pour l'étude des
phénomènes sociaux, et tous étaient de fermes
individualistes. Il est particulièrement intéressant d'observer
que Turgot, et ceci est également vrai de David Hume, était
à la fois l'un des fondateurs du positivisme et de la théorie
économique abstraite, contre laquelle on employa plus tard le
positivisme. Toutefois, à certains égards, la plupart de ces
hommes ont involontairement initié des modes de pensée qui
allaient produire des idées très différentes des leurs
dans les domaines sociaux.
Ceci est
particulièrement le cas de Condorcet. Mathématicien comme
d'Alembert et Lagrange, il se tourna définitivement vers la
théorie et la pratique politique. Et bien qu'il comprit jusqu'au
dernier souffle que "la méditation seule peut nous conduire
à des vérités générales en ce qui concerne
les sciences de l'homme *", [7] il n'était pas seulement
pressé de la suppléer par une observation approfondie mais il
s'exprima lui-même à l'occasion comme si la méthode des
sciences de la nature étaient la seule légitime pour traiter
des problèmes de la société. C'était
particulièrement son désir d'appliquer ses chères mathématiques,
spécialement le récent calcul des probabilités, à
son second pôle d'intérêt qui l'a conduit à
insister de plus en plus sur les phénomènes sociaux qui
pouvaient être observés et mesurés objectivement. [8] Dès 1783, dans son discours
de réception à l'Académie, il énonça ce
qui allait devenir une des idées favorites de la sociologie
positiviste, celui d'un observateur pour lequel les phénomènes
physiques et sociaux apparaîtraient sous le même
éclairage, parce que, "en tant qu'étranger à notre
espèce, il étudierait la société humaine comme
nous étudions les castors et les abeilles *". [9] Et bien qu'il admette qu'il s'agisse
d'un idéal inatteignable parce que "l'observateur fait partie
lui-même de la société *", il exhorte plusieurs fois
les savants à "introduire dans les sciences morales la
philosophie et la méthode des sciences de la nature *". [10]
La plus féconde de
ses suggestions, cependant, apparaît dans son Esquisse d'un tableau historique
des progrès de l'esprit humain, le fameux testament du
dix-huitième siècle comme on l'a appelée, dans laquelle
l'optimisme sans borne de son époque trouva sa dernière et sa
plus grande expression. En exposant le progrès humain au travers de
l'Histoire, il conçoit l'idée d'une science qui puisse
prévoir les futurs progrès de l'espèce humaine,
l'accélérer et la diriger. [11] Mais pour établir les lois
qui nous permettront de prédire l'avenir, l'Histoire doit cesser
d'être une histoire des individus pour devenir une Histoire des masses.
Elle doit en même temps cesser d'être un enregistrement des faits
individuels mais doit se baser sur l'observation systématique. [12]Pourquoi devrait-on
considérer comme chimérique la tentative de dessiner une image
de sa destinée future en se basant sur les résultats de
l'Histoire de l'espèce humaine ? Pour Condorcet, "le seul
fondement de la connaissance des sciences de la nature est l'idée que
les lois générales, connues ou non et qui régulent les
phénomènes de l'Univers, sont nécessaires et constantes
; et pourquoi ce principe serait-il moins vrai pour les facultés
intellectuelles et morales de l'homme que pour les autres actions de la
nature ? *" [13]
L’idée de lois naturelles du développement historique et
la vision collectiviste de l'Histoire étaient nées, pas
uniquement comme des suggestions hardies, mais pour demeurer avec nous
jusqu'à aujourd'hui via une tradition continue. [14]
II.
Condorcet devint
lui-même une victime de la Révolution française. Mais son
œuvre guida en grande partie cette même Révolution,
particulièrement pour ses réformes de l'éducation. Et ce
ne fut qu'en raison de celles-ci que la grande organisation
centralisée de la science survint vers le début du nouveau
siècle, organisation qui créa l'une des plus glorieuses
périodes de progrès scientifique, qui non seulement devint le
berceau du scientisme qui nous intéresse, mais qui fut en grande
partie responsable du relatif déclin de la science française au
cours du dix-neuvième siècle, partant d'une indubitable
première place mondiale pour se retrouver derrière l'Allemagne
ainsi que derrière d'autres nations. Comme cela se produit souvent
avec des mouvements similaires, ce n'est qu'avec la deuxième ou la
troisième génération que les sottises sont commises par
les élèves des grands hommes, qui exagèrent les
idées de leurs maîtres et les appliquent de travers
au-delà de leurs limites.
Les conséquences
directes de la Révolution nous intéressent à trois
égards. En premier lieu, l'effondrement même des institutions
existantes appelait l'application immédiate de toute la connaissance
apparaissant comme une manifestation concrète de cette raison qui
était la déesse de la Révolution. Comme l'a dit l'un de
ces nouveaux journaux scientifiques qui surgissaient à la fin de la
Terreur : "La Révolution a tout rasé. Gouvernement,
morale, habitudes, tout doit être reconstruit. Quel site magnifique
pour les architectes ! Quelle grande occasion de faire usage de toutes les
belles et excellentes idées qui sont restée à
l'état de spéculation, d'employer tant de matériaux
nouveaux qui ne pouvaient pas être utilisés auparavant, de
rejeter tant d'autres qui ont été des obstacles pendant des
siècles et que nous avons été forcés d'utiliser.
*" [15]
La deuxième
conséquence de la Révolution que nous devons brièvement
prendre en compte est la destruction complète de l'ancien
système d'éducation, remplacé par un nouveau qui a eu
des effets profonds sur la conception et les idées
générales de toute la génération suivante. La
troisième est plus particulièrement la création de
l'École polytechnique.
La Révolution a
balayé l'ancien système de collèges et
d'universités, largement basé sur l'éducation classique.
Puis, après quelques expériences
éphémères, elle les a remplacés en 1795 par les
nouvelles écoles
centrales, qui devinrent les seuls centres d'éducation
secondaires. [16] En conformité avec l'esprit
au pouvoir et par réaction violente contre les anciennes
écoles, l'enseignement de ces nouvelles institutions resta pendant
quelques années confiné presque exclusivement aux domaines
scientifiques. Non seulement les langues anciennes étaient
réduites au minimum et en pratique presque totalement
abandonnées, mais même l'enseignement de la littérature,
de la grammaire et de l'Histoire étaient très
inférieurs. L'enseignement religieux et moral était
évidemment totalement absent. [17] Bien que, quelques années
plus tard, une nouvelle réforme s'efforça de pallier les plus
graves déficiences, [18] l'arrêt de l'enseignement dans
ces domaines, et ce pendant plusieurs années, fut suffisant pour
changer toute l'atmosphère intellectuelle. Saint-Simon a décrit
ce changement en 1812 ou 1813 : "Une telle différence entre la
situation [...] d'il y a trente ans et celle d'aujourd'hui est telle qu'alors
qu'à cette époque encore peu éloignée, si l'on
voulait savoir si une personne avait reçu une éducation
distinguée, on demandait : ‘Connaît-il bien ses auteurs
grecs et latins ?', on demande de nos jours : ‘Est-il bon en
mathématiques ? Est-il familier des réalisations de la
physique, de la chimie ou de l'histoire naturelle, bref, des sciences
positives et de celles de l'observation ? *" [19]
Ainsi grandit une
génération complète pour qui le grandiose magasin de la
sagesse sociale, la seule forme en fait par laquelle on puisse transmettre
une compréhension des progrès sociaux obtenus par les grands
esprits, la grande littérature de tous les temps, restait un livre
fermé. Pour la première fois de l'Histoire, un nouveau type
apparut qui, comme produit de la Realschule allemande et d'institutions
analogues, allait devenir tellement important et influent au cours des
dix-neuvième et vingtième siècles : le
spécialiste technique, considéré comme instruit parce
qu'il est passé par des écoles difficiles, mais qui n'a que peu
de connaissances, voire aucune, en ce qui concerne la société,
sa vie, sa croissance, ses problèmes et ses valeurs, que seul peut
donner l'étude de l'Histoire, de la littérature et des langues.
III.
Ce n'est pas seulement
pour l'éducation secondaire mais bien plus encore pour
l'éducation supérieure que la Convention révolutionnaire
créa un nouveau type d'institution, qui allait rester de
manière permanente et devenir un modèle imité par le
monde entier : l'École polytechnique.
Les guerres de la Révolution et l'aide que certains scientifiques
avaient pu apporter pour la production de biens essentiels [20] avait conduit à une nouvelle
appréciation du besoin d'ingénieurs qualifiés, en
premier lieu pour des buts militaires. Mais le développement
industriel avait aussi créé un nouvel intérêt pour
les machines. Les progrès scientifiques et techniques engendrèrent
un fort enthousiasme pour les études techniques, qui s'exprima par la
création de sociétés comme l'Association
philotechnique et la Société
polytechnique. [21] L'éducation technique
supérieure avait jusqu'alors été confinée
à des écoles spécialisées comme l'École des Ponts et
Chaussées et
diverses écoles militaires. C'est dans l'une de ces dernières
qu'enseignait G. Monge, fondateur de la géométrie descriptive,
ministre de la marine durant la Révolution et plus tard ami de
Napoléon. Il soutint l'idée d'une grande école unique
dans laquelle toutes les classes d'ingénieurs devraient apprendre les
sujets qu'ils avaient en commun.[22] Il
communiqua son idée à son ancien élève Lazare
Carnot, "l'organisateur de la victoire," lui-même grand
physicien et ingénieur. [23] Ces deux hommes imprimèrent
leur marque à la nouvelle institution, qui fut créée en
1794. La nouvelle École
polytechnique était
(contre le conseil de Laplace) [24] consacrée principalement aux
sciences appliquées - au contraire de l'École normale,
créée au même moment et consacrée à la
théorie - et le resta pendant les dix ou vingt premières
années de son existence. L'enseignement était centré,
à un degré bien plus important que dans d'autres institutions
analogues, autour du domaine de Monge, la géométrie
descriptive, ou l'art de dessiner des plans, comme nous pourrions l'appeler
pour montrer son importance spécifique pour les ingénieurs. [25] L'école fut tout d'abord
organisée selon des traits purement civils, puis Napoléon lui
donna ultérieurement une organisation purement militaire.
Napoléon résista à toute tentative de libéraliser
son curriculum et ne concéda qu'à regret un cours aussi
inoffensif que celui de littérature. [26]
Pourtant, en dépit
de ces limitations sur les sujets enseignés, et des limitations encore
plus grandes de l'éducation préalable des étudiants dans
ses premières années, l'École eut dès son tout
début une équipe de professeurs plus prestigieuse que toute
autre institution européenne n'avait eu auparavant ou depuis. Lagrange
fut parmi ses premiers professeurs, et bien que Laplace n'y enseignait pas
régulièrement, il resta lié à l'École de
nombreuses années, ceci incluant un poste de président de son
conseil. Monge, Fourier, Prony et Poinsot figurèrent parmi la
première génération d'enseignants pour les mathématiques
et la physique. Berthollet, qui continua le travail de Lavoisier, ainsi que
de nombreux autres tout aussi prestigieux, [27] enseignaient la chimie. La
deuxième génération, qui commença à
prendre place au nouveau siècle, compta en son sein les noms de
Poisson, Ampère, Gay-Lussac, Thénard, Arago, Cauchy, Fresnel,
Malus, pour ne mentionner que les plus connus - et, au passage, presque tous
anciens de l'École. L'institution n'existait que depuis quelques
années quand elle devint fameuse dans toute l'Europe, et au cours de
la première période de paix en 1801-1802, Volta, le comte
Rumford et Alexander von Humboldt [28] vinrent en pèlerinage vers le
nouveau temple de la science.
IV.
Ce n'est pas ici le lieu
pour parler longuement des conquêtes sur la nature associées
à ces grands noms. Nous ne nous occupons que de l'esprit
général d'exubérance qu'ils ont engendré, ainsi
que du sentiment qu'ils ont créé selon lequel il n'y aurait de
limites ni au pouvoir du cerveau humain, ni à l'étendue sur
laquelle l'homme peut espérer exploiter et contrôler toutes les
forces qui le menaçaient et l'intimidaient auparavant. Rien n'exprime
peut-être plus clairement ceci que l'idée audacieuse de Laplace
d'une formule du monde, qu'il décrivit dans un passage
célèbre de son Essai
philosophique sur les probabilités : "Une intelligence qui pour in
instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est
animée et la position respective de tous les êtres qui la
composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre toutes
ces données à l'analyse, embrasserait dans la même
formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus
léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le
passé serait présent à ses yeux. [29] Cette idée, qui a
exercé une fascination si profonde [30] sur des générations de
personnes à l'esprit scientiste, est, comme il apparaît
désormais, non seulement une conception qui décrit un
idéal inatteignable, mais en fait une déduction assez
illégitime des principes qui nous permettent d'établir les lois
des événements de la physique des particules. Elle est
maintenant considérée par les positivistes modernes comme une
"fiction métaphysique." [31]
On a bien décrit
comment tout l'enseignement de l'École polytechnique fut pénétré de
l'esprit positiviste de Lagrange et comment tous les cours et manuels
utilisés étaient construits sur son exemple. [32] Peut-être encore plus
important, toutefois, pour la formation des polytechniciens fut le penchant
pratique de tous les cours, le fait que toutes les sciences étaient
enseignées pour leurs applications pratiques et que tous les
élèves cherchaient à appliquer leur savoir comme
ingénieurs civils ou militaires. Le type même de
l'ingénieur avec sa conception, ses ambitions et ses limitations
caractéristiques était créé. Cet esprit de
synthèse qui ne verrait aucun sens dans quelque chose qu'il n'aurait
pas délibérément construit, cet amour de l'organisation
qui émerge des sources jumelles des pratiques militaires et des
pratiques d'ingénierie, [33] la préférence
esthétique pour tout ce qui a été consciemment construit
sur tout ce qui s'est contenté de "pousser," fut un nouvel
élément fort qui s'ajouta - et au cours du temps
commença même à remplacer - l'ardeur
révolutionnaire des jeunes polytechniciens. On constata rapidement les
caractéristiques étranges de ce nouveau type qui, comme nous
l'avons dit, "tiraient orgueil d'avoir des solutions plus
précises et plus satisfaisantes que tout autre pour toutes les
questions politiques, religieuses et sociales *," [34] et qui "se risquaient à
créer une religion comme on apprend à créer un pont ou
une route à l'École. *" [35] Leur propension à devenir
socialiste a souvent été soulignée. [36] Nous devons ici nous restreindre
à montrer que c'est dans cette atmosphère que Saint-Simon a
conçu certains de ses premiers et plus extraordinaires plans pour
organiser la société. Et que c'est à cette École polytechnique que, durant les vingt
premières années de son existence, Auguste Comte,
Prospère Enfantin, Victor Considérant et plusieurs centaines de
futurs Saint-Simoniens et Fouriéristes, reçurent leur
formation, suivis par une succession de réformateurs sociaux au cours
du siècle, jusqu'à Georges Sorel. [37]
Mais, quelles que soient
les tendances parmi les élèves de l'institution, il faut
à nouveau souligner que les grands scientifiques qui ont fait la
réputation de l'École polytechnique n'étaient pas responsables de
l'utilisation illégitime de leur technique et de leurs habitudes de
pensée à des champs qui n'étaient pas les leurs. Ils ne
s'intéressaient que peu aux problèmes de l'homme et de la
société. [38] C'était le domaine de compétence
d'un autre groupe d'hommes, exerçant une aussi grande influence et
tout autant admirés à leur époque, mais dont les efforts
pour continuer les traditions du dix-huitième siècle dans les
sciences sociales furent à la fin noyés sous la vague du scientisme
et réduit au silence par la persécution politique. La malchance
des idéologues, comme ils avaient choisi de s'appeler, veut que leur
nom même ait été perverti en une expression
décrivant le contraire exact de ce pourquoi ils luttaient et que leurs
idées soient tombées dans les mains des jeunes
ingénieurs qui les modifièrent au point de ne plus pouvoir les
reconnaître.
V.
Il est curieux de
constater que les savants français de l'époque dont nous
parlons se soient divisés en "deux sociétés qui
n'avaient qu'un trait en commun, la célébrité de leur
nom." [39] Le premier était
constitué par les professeurs et examinateurs de l'Écolepolytechnique,
que nous connaissons déjà et par ceux du Collège de France. Le
second réunissait un groupe de physiologistes, de biologistes et de
psychologues, en liaison pour la plupart avec l'École de médecine, et
connus sous le nom d'idéologues.
Tous les grands
biologistes que comptaient alors la France n'appartenaient pas à ce
second groupe. Au Collège
de France, Cuvier, le fondateur de l'anatomie comparative et probablement
le plus célèbre, restait proche des scientifiques purs. Les
progrès de la biologie tels qu'il les exposa ont peut-être
contribué plus que tout autre chose à créer la croyance
en l'omnipotence des méthodes de la science pure. De plus en plus de
problèmes qui semblaient échappé aux pouvoirs de la
méthode exacte se révélaient comme pouvant être
conquis par ces méthodes. [40] Les deux autres biologistes dont les
noms sont de nos jours encore plus connus que le sien, Lamarck et Geoffrey
St. Hilaire, restèrent à la périphérie du groupe
des idéologues et ne s'occupèrent pas de l'étude de
l'homme comme être pensant. Mais Cabanis et Maine de Biran, avec leurs
amis Destutt de Tracy et De Gérando, firent de ce dernier
problème le centre de leurs travaux.
L'idéologie, [41] au sens que lui donnait ce groupe,
signifiait simplement l'analyse des idées humaines et de l'action
humaine, y compris les liens entre les constitutions physique et mentale de
l'homme. [42] L'inspiration du groupe venait
principalement de Condillac et le champ de leurs études a
été défini par Cabanis, l'un des fondateurs de la
psychologie physiologique, dans ses Rapports
du physique et du moral de l'homme (1802).
Et bien qu'il y ait eu de nombreuses discussions parmi eux sur l'application
des méthodes des sciences de la nature à l'homme, ceci ne
voulait rien dire de plus que le fait qu'ils se proposaient d'étudier
l'homme sans préjugés et sans spéculations
nébuleuses sur la finalité et le destin. Mais ceci
n'empêchait ni Cabanis ni ses amis de consacrer une large part de leur
travaux à l'analyse des idées humaines qui a donné son
nom à l'idéologie. Il ne leur venait pas non plus à
l'esprit de douter de la légitimité de l'introspection. Si le
deuxième chef du groupe, Destutt de Tracy, a proposé de
considérer toute l'idéologie comme faisant partie de la
zoologie, [43] cela ne l'a pas empêché
de se confiner totalement à ce qu'il appelait l'idéologie
rationnelle, opposée à l'idéologie physiologique,
et qui consistait en la logique, la grammaire et l'économie. [44]
On ne peut pas nier que
dans tout ceci, en raison de leur enthousiasme pour les sciences pures, ils
utilisaient des expressions trompeuses qui étaient mal comprises par
Saint-Simon et Comte. Cabanis, en particulier, répétait que la
physique devait être la base des sciences morales. [45] Mais, pour lui aussi, cela ne
voulait rien dire de plus que le fait qu'il faille prendre en compte les
bases physiologiques des activités mentales. Et il acceptait toujours
la division en trois parties séparées des "sciences de
l'homme" : la physiologie, l'analyse des idées et la morale. [46] Mais, pour autant que l'on parle des
problèmes de société, alors que les travaux de Cabanis
restaient principalement de caractère programmatique, Destutt de Tracy
fit de très importantes contributions. Nous n'avons qu'a en signaler
une : son analyse de la valeur et son lien avec l'utilité, où,
en partant des fondations posées par Condillac, il réussit
à obtenir ce qui manquait à l'économie politique
anglaise classique, et ce qui aurait pu la sauver de l'impasse dans laquelle
elle allait - une théorie correcte de la valeur. On peut dire que
Destutt de Tracy (et Louis Say, qui continua ses travaux) avait
anticipé de plus d'un demi-siècle ce qui allait devenir l'une
des avancées les plus importantes en théorie sociale, la
théorie subjectiviste (ou de l'utilité marginale) de la valeur. [47]
Il est vrai que d'autres,
en dehors de ce cercle, sont allés bien plus loin dans l'application
des techniques des sciences de la nature aux phénomènes sociaux,
en particulier la Société
des observateurs de l'homme, qui, largement influencée par Cuvier,
confina en quelque sorte l'étude sociale à un simple
enregistrement d'observations, qui rappelle des organisations similaires de
notre propre époque. [48] Mais au total, il n'y a pas de doute
que les idéologues ont préservé la meilleure tradition
des philosophes du dix-huitième
siècle. Et alors que leurs collègues de l'École polytechnique devinrent des admirateurs et des
amis de Napoléon et reçurent de lui tous les soutiens
possibles, les idéologues restèrent des défenseurs
acharnés de la liberté individuelle et subirent par
conséquent la colère du despote.
VI.
Ce fut Napoléon qui
donna au terme d'idéologue son
nouveau sens en l'utilisant comme expression favorite pour dénoncer
tous ceux qui s'aventuraient à défendre la liberté
contre lui. [49] Et il ne se contentait pas
d'insultes. L'homme qui avait compris mieux que tous ses imitateurs que
"à long terme le sabre est toujours battu par les idées
*" n'hésitait pas à mettre en pratique "sa
répugnance pour toute discussion et enseignement des choses
politiques" [50].
L'économiste J.B. Say, membre du groupe des idéologues et pour
quelques années directeur de son journal, la Décade philosophique,
fut l'un des premiers à sentir sa poigne. Quand il refusa de modifier
un chapitre de son Traité
d'économie politique pour
se conformer aux souhaits du dictateur, la seconde édition fut
interdite et l'auteur démis du tribunat. [51] En 1806, Destutt de Tracy en appela
au président Jefferson pour assurer au moins la publication d'une
traduction anglaise de son Commentaire
sur l'Esprit des lois qu'il
n'avait pas le droit de publier dans son propre pays. [52] Un peu plus tard (en 1803), c'est
l'ensemble de la deuxième académie de l'Institut, celle
des sciences morales et politiques, qui fut supprimée. [53] En conséquence, ces sujets
furent exclus du grand Tableau
de l'état et des progrès des sciences et des arts depuis 1789 qui avait été
commandé pour 1802 aux trois académies de l'Institut. Ce
fut un symbole de la position générale sur ces sujets sous
l'Empire. Leur enseignement fut empêché et toute la jeune
génération grandit dans l'ignorance des réussites du
passé. La porte était dès lors ouverte pour un nouveau
départ, non encombré par l'accumulation des résultats
des études préalables. Les problèmes sociaux
étaient étudiés sous un nouvel angle. Les
méthodes, qui avaient été utilisées depuis
d'Alembert avec succès en physique, dont le caractère était
désormais explicite et qui avaient été appliqués
avec autant de succès à la chimie et à la biologie,
étaient appliquées à la science de l'homme. Avec les
résultats que nous allons voir petit à petit.
[Suite dans les
chapitres suivants du livre... NdT]
Notes
[1]. D'Alembert était parfaitement
conscient de l'importance de la tendance qu'il soutenait et avait
anticipé le positivisme ultérieur au point de condamner
expressément tout ce qui ne visait pas au développement de vérités positives. Il alla même
jusqu'à suggérer que "toutes les occupations portant sur
des sujets purement spéculatifs devraient être exclus d'un
état sain, car étant des recherches sans profit *".
Pourtant, il n'y incluait pas les sciences morales et les considérait
même, comme son maître Locke, comme des sciences a priori, comparables aux
mathématiques et d'une certitude égale. A ce sujet, voir G.
Misch, "Zur Entstehung des französischen Positivismus," Archiv für Philosophie,
vol. 14 (1901), particulièrement pp. 7, 31 et 158 ; M. Schinz,Geschichte
der französischen Philosophie seit der Revolution, Bd. 1, Die Anfänge des
französischen Positivismus (Strasbourg,
1914), pp. 58, 67-69, 71, 96 et 149 ; et H. Gouhier, La jeunesse d'Auguste Comte et la
formation du positivisme (Paris,
1936), vol. 2, introduction.
[2]. Cf. E. Mach, Die Mechanik in ihrer Entwicklung,
3ème édition (1897), p. 449.
[3]. Dans son fameux ouvrage, Du culte des dieux
fétiches (1760).
[4]. Oeuvres
de Turgot, ed. Daire (Paris, 1844), volume 2, p. 656. Comparer aussi avec
la page 601.
[5]. Voir plus particulièrement
l'analyse détaillée de Misch et les livres de Schinz et de
Gouhier cité en note 1, ainsi que M. Uta, La théorie du savoir dans
la philosophie d'Auguste Comte (Paris,
Alcan, 1928).
[6]. Afin d'éviter de laisser une fausse
impression, il faut peut-être aussi souligner que le libéralisme
de la Révolution française était bien entendu
basé non pas sur la compréhension du mécanisme de
marché fourni par Adam Smith et les utilitaristes, mais sur la loi
naturelle et l'interprétation rationaliste-pragmatique des
phénomènes sociaux qui est essentiellement
pré-smithienne et dont le contrat social de Rousseau est le prototype.
On pourrait en fait faire remonter une grande partie de l'opposition, qui avec
Saint-Simon et Comte devint une opposition ouverte avec l'économie
classique, aux différences qui ont existé entre, par exemple,
Montesquieu et Hume, Quesnay et Smith, ou Condorcet et Bentham. Les
économistes français qui, comme Condillac et J.-B. Say, ont
suivi Smith n'ont jamais eu une influence sur la pensée politique
française qui soit comparable à celle de Smith en Angleterre.
Le résultat de ceci fut que la transition de l'ancienne vision
rationaliste de la société, considérée comme une
création consciente de l'homme, vers la nouvelle vision, qui voulait
la recréer selon des principes scientifiques, se déroula en
France sans passer par une étape au cours de laquelle le travail des
forces spontanées de la société soit généralement
compris. Le culte révolutionnaire de la déesse Raison est
symptomatique de l'acceptation générale de la conception
pragmatique des institutions sociales - le parfait opposé de la vision
de Smith. Et il serait en un sens tout aussi exact de dire que c'est la
même vénération pour la Raison en tant que créatrice
universelle qui a conduit à la nouvelle attitude envers les
problèmes sociaux, que de dire que ce fut l'influence des nouvelles
habitudes de pensée qui a produit les triomphes de la science et de la
technique. Si le socialisme n'est pas l'enfant direct de la Révolution
française, il est né pour le moins de ce rationalisme qui
distinguait la plupart des penseurs politiques français de cette
époque du libéralisme anglais contemporain de Smith et Hume et
(à un moindre degré) de Bentham et des philosophes radicaux.
Sur tous ces points, voir mon premier essai dans mon livre Individualism and Economic Order (Chicago: University Press, 1948).
[7]. Voir Condorcet, Esquisse d'un tableau historique
des progrès de l'esprit humain, ed. O.H. Prior (1793 ; Paris, 1933),
p. 11.
[8]. Cf. son Tableau général de
la science qui a pour objet l'application du calcul aux sciences politiques
et morales, Oeuvres, ed. Arago (Paris, 1847-1849), volume 1, pp. 539-573.
[9]. Ibid,
p. 392.
[10]. Condorcet, Rapport et projet de décret
sur l'organisation générale de l'instruction publique, ed.
G. Compayre (1792, ; Paris, 1883), p. 120.
[11]. Condorcet, Esquisse, ed. Prior, p. 11.
[12]. Ibid,
p. 200.
[13]. Ibid,
p. 203. Le passage fameux dans lequel cette phrase figure, se trouve, de manière
caractéristique, comme de du livre 6, "On the Logic of the Moral
Sciences," de l'ouvrage Logic J.S. Mill.
[14]. Il vaut la peine de mentionner que
l'homme qui est tellement responsable de la création de ce qui allait
être considéré à la fin du dix-neuvième
siècle comme "le sens de l'Histoire," c'est à dire de
l'Entwicklungsgedanke avec toutes ses associations métaphysiques,
était le même homme qui était capable de
célébrer dans un discours la destruction
délibérée des papiers concernant l'histoire des familles
nobles de France en disant : "Aujourd'hui la Raison brûle
d'innombrables volumes qui attestent la vanité d'une caste. D'autres
vestiges demeurent dans les bibliothèques publiques et privées.
Ils doivent faire l'objet d'une destruction commune. *"
[15]. Décade
philosophique (1794), vol.
1, in Gouhier, La jeunesse
d'Auguste Comte, vol. 2, p. 31.
[16]. Voir Allain, L'oeuvre scolaire de la
Révolution, 1789-1802 (Paris, 1891) ; C. Hippeau, L'instruction publique en France
pendant la Révolution (Paris,
1883) ; et F. Picavet, Les
idéologues (Paris,
1891), pp. 56-61.
[17]. Voir Allain, op. cit., pp. 117-120.
[18]. Après 1803, les langues
anciennes ont été partiellement restaurées dans les
lycées de Napoléon.
[19]. H. de Saint-Simon,
"Mémoire sur la science de l'homme" (1813), in Oeuvres de Saint-Simon et
d'Enfantin (Paris,
1877-1878), vol. 40, p. 16.
[20]. Particulièrement le
salpêtre pour la production de poudre à canon.
[21]. Voir Pressard, Histoire de l'association
philotechnique (Paris,
1889) et Gouhier, op. cit.,
p. 54.
[22] Sur la
création et l'histoire de l'École polytechnique, voir A.
Fourcy, Histoire de
l'École polytechnique (Paris,
1828) ; G. Pinet, Histoire
de l'École polytechnique (Paris,
1887) ; G.-G. J. Jacobi "Über die Pariser polytechnische Schule
(Vortrag gehlten am 22. Mai 1835, in der physicalisch-ökonomischen
Geselleschaft zu Königsberg)," in Gesammelte
Werke (Berlin, 1891), vol.
6, p. 335 ; F. Schnabel, Die
Anfäge des technischen Hochschulwesens (Stuttgart, 1925) et F. Klein, Vorlesungen über die
Entwicklung der Mathematik (Berlin,
1926), pp. 63-89.
[23] Carnot
avait publié en 1783 un Essai
sur les machines en général (dans la deuxième
édition [1803] de Principes
fondamentaux de l'équilibre du mouvement) dans lequel il ne se
contentait pas d'exposer les nouvelles idées de Lagrange sur la
mécanique mais développait l'idée d'une "machine
idéale" qui ne perd rien de la force qui la met en mouvement. Ses
travaux préparèrent grandement la voie pour son fils, Sadi
Carnot, "le père de la science de l'énergie." Son
plus jeune fils, Hippolyte, fut à la tête du groupe
Saint-Simonien et le véritable auteur de la Doctrine de Saint-Simon, que
nous rencontrerons plus tard. Lazare Carnot, le père, fut
lui-même toute sa vie un admirateur et un protecteur de Saint-Simon.
Comme le rapporte Arago, il discutait toujours avec (Arago) de l'organisation
politique de la société comme il parlait du travail d'une
machine. Voir
F. Arago, Biographies of Distinguished
Men, traduction de W.H. Smith, etc. (Londres,
1857), pp. 300-304 et E. Dühring, Kritische
Geschichte der allgemeine Principien der Mechanik, 3ème
édition (Leipzig, 1887), pp. 258-261.
[24] L. de
Launay, Un grand
Français, Monge, fondateur de l'École polytechnique (Paris, 1933), p. 130.
[25] Cf. A.
Comte, "Philosophical considerations on the Sciences and on the Men of
Science," dans Early
Essays on Social Philosophy, New Universal Library (Londres, 1825), p.
272, dans lequel il déclare qu'il connaît "une seule
conception capable de donner une idée précise [des doctrines
caractéristiques adaptées pour constituer l'existence
spéciale d'une classe d'ingénieurs], celle de l'illustre Monge,
dans sa Géométrie
descriptive, où il fournit une théorie générale
des arts de la construction. *"
[26]
Jacobi, op. cit., p.
370.
[27]
Fourcroy, Vauquelin, Chaptal.
[28] En
mars 1808, peu après être arrivé à Paris (soit
disant pour une mission diplomatique), Alexander von Humboldt écrivit
à un ami : "Je passe ma vie à l'École polytechnique
et aux Tuileries. Je travaille à l'École, j'y couche : j'y mis
toutes les nuits, tous les matins. J'habite la même chambre avec
Gay-Lussac" (K. Bruhns, Alexander von Humboldt [1872], vol. 2, p. 6.
[29]
Laplace, "Essai philosophique sur les probabilités" (1814),
in Les maîtres de la pensée scientifique (Paris, 1921), p. 3.
[30] Voir,
par exemple, la référence faite dans Abel Transon, De la
religion Saint-Simonienne : Aux élèves de l'École
polytechnique (Paris, 1830), p. 30. Voir aussi le chapitre 12, note 15 du
présent ouvrage.
[31] Voir
O. Neurath, Empirische
Soziologie (Vienne, 1931),
p. 1229. Sur le postulat du déterministe universel qui est
réellement en cause, voir en particulier K. Popper, Logik der Forschung (1935), p. 183 ; P. Frank, Das Kausalgesetz ; et R. von Mises [Richard,
frère (positiviste !) de Ludwig. NdT], Probability, Statistics and Truth (1939), pp. 284-294. Tout aussi
caractéristique de l'esprit positiviste est la fameuse anecdote (qui
eut une grande influence dans la propagation cet esprit) sur la
réponse de Laplace à Napoléon quand ce dernier lui
demanda pourquoi le nom de Dieu n'apparaissait pas dans sa Mécanique céleste : "Je n'ai pas besoin de cette
hypothèse."
[32]
Dühring, op. cit.,
pp. 569 et suivantes.
[33] H. de
Balzac, après avoir remarqué dans un de ses romans (Autre
étude de femme) combien les différentes périodes
avaient enrichi la langue française par des mots
caractéristiques (organisateur, par exemple), ajoute que c'est
"un mot de l'Empire qui contient Napoléon tout entier."
[34] E.
Keller, Le
général de la Moricière, cité par Pinet, op. cit., p. 136.
[35] A.
Thibaudet, cité par Gouhier, op.
cit., vol. 1, p. 146.
[36] Voir
Arago, op. cit., vol. 3,
p. 109 et F. Bastiat, Baccalauréat
et socialisme (Paris, 1850)
.
[37] Voir
G. Pinet, Écrivains
et penseurs polytechniciens (Paris,
1898).
[38] Voir,
néanmoins, les essais de Lavoisier et de Lagrange dans Daire, Mélanges d'économie
politique, 2 volumes (Paris, 1847-1848), 1:575-607.
[39] Voir
Arago, op. cit., vol. 2, p. 34, où il souligne qu'Ampère (un
physiologiste de formation) fut l'un de ceux qui faisaient le lien entre les
deux groupes.
[40] Sur
l'influence de Cuvier, voir la contribution de J. T. Mertz, A History of European Thought in
the Nineteenth Century (1906),
vol. 1, pp. 136 et suivantes, qui cite (p. 154) le passage
caractéristique suivant du Rapport
historique sur le progrès des sciences de la nature depuis 1789 (Paris, 1810), p. 389 :
"Uniquement des expériences, des expériences
précises, faites avec des poids, des mesures et des calculs, par
comparaison des substances employées et des substances obtenues ;
c'est aujourd'hui la seule voie légitime du raisonnement et de la
démonstration. Ainsi, bien que les sciences de la nature
échappent à l'application du calcul, leur gloire est soumise
à l'esprit mathématique, et par la course avisée
qu'elles ont invariablement adoptée, elles n'encourent pas le risque
de revenir en arrière.*" Voir aussi Lord Acton, Lectures on Modern History,
pp. 22, 338 n. 82.
[41] A. C.
Thibaudeau (Bonaparte et le Consulat) souligne que, bien que les termes idéologues et idéologie,
habituellement attribués à Napoléon, aient
été introduits comme termes techniques par Destutt de Tracy
dans le premier volume de ses Éléments
d'idéologie (1801),
au moins le mot idéologie était connu en
français dès 1684.
[42] Sur
l'école idéologique, voir l'exposé
détaillé de F. Picavet, Les
Idéologues, Essai sur l'histoire des idées et des
théories scientifiques, philosophiques, religieuses, en France depuis
1789 (Paris, 1891), et,
publié depuis la première version ce cet essai, E. Caillet, La Tradition littéraire
des idéologues (Philadelphie,
1943). L'expression a été en utilisée au même sens
large que leurs contemporains allemands utilisaient le terme anthropologie. Sur le
parallèle allemand des idéologues,
voir F. Günther, "Die Wissenschaft vom Menschen, ein Beitrag zum
deutschen Geistesleben im Zeitalter des Rationalismus," in Geschichtliche Untersuchungen,
ed. K.
Lamprecht (1907), vol. 5.
[43]
Picavet, op. cit., p.
337.
[44] Ibid, p. 314.
[45] Ibid, p. 250. Voir aussi pp. 131-135 où
l'auteur discute de Volney prédécesseur de Cabanis dans ces
efforts. En 1793, Volney publia le Catéchisme
du citoyen français, qui devait devenir plus tard La Loi naturelle ou les principes
physiques de la morale, dans lequel il essaie sans succès de faire
de la morale une science physique.
[46]
Picavet, op. cit., p.
226.
[47] Sur Destutt
de Tracy, voir H. Michel, L'Idée
d'État (Paris,
1895), pp. 292-286 ; sur Louis Say, voir A. Schatz, L'Individualisme
économique et social (Paris,
1907), pp. 153 et suivantes.
[48]
Picavet, op. cit., p.
82.
[49] Voir
le passage de la réponse de Napoléon au Conseil d'État
lors de la session du 20 décembre 1812, cité par Pareto (Mind
and Society, vol. 3, p. 1244) dans le Moniteur
universel (Paris), 21
décembre 1812 : "Tous les malheurs que notre belle France a connu
doivent être attribués à ‘l'idéologie,'
à cette sombre métaphysique qui continue à chercher
ingénieusement des causes premières et qui fonderait la
législation des peuples sur ceux-ci au lieu d'adapter les lois
à ce que nous savons du coeur humain et des leçons de
l'Histoire. De telles erreurs ne peuvent que conduire à un
régime d'hommes sanguinaires et l'ont en réalité
déjà fait. Qui cajole le peuple en lui offrant une souveraineté
qu'il est incapable d'exercer ? Qui a détruit la sacralité et
le respect des lois en les fondant non sur des principes sacrés de
justice, sur la nature des choses, et la nature de la justice civile, mais
simplement sur la volonté d'une assemblée faite d'individus
étrangers à toute connaissance de la loi, qu'elle soit civile,
administrative, politique ou militaire ? Lorsque un homme est appelé
pour réorganiser un État, il doit suivre des principes qui sont
en conflit depuis toujours. Les avantages et inconvénients des
différents systèmes législatifs doivent être
recherchés dans l'Histoire *." Voir aussi Taine, Les Origines de la France
contemporaine (1876), vol.
2, pp. 214-233. Non pas en raison de sa précision historique, qui peut
être mise en doute, mais pour montrer comment tout ceci apparut
à la génération suivante, l'affirmation suivante d'un
Saint-Simonien de premier plan mérite d'être citée :
"Après 1793, l'Académie des sciences prend le sceptre ; les mathématiciens et les
physiciens remplacent les littérateurs
: Monge, Fourcroy, Laplace... règnent dans le royaume de
l'intelligence. En même temps, Napoléon, membre de l'Institut,
classe de mécanique,
étouffe au berceau les enfants légitimes de la philosophie du
XVIIe siècle" (P. Enfantin, Colonisation de l'Algérie
[1843], pp. 521-522).
[50] Voir
A.C. Thibaudeau, Le Consulat
et l'Empire (Paris,
1835-1837à, vol. 3, p. 396.
[51] Voir
J.B. Say, Traité
d'économie politique, 2ème édition (1814),
Avertissement.
[52] Voir
G. Chinard, Jefferson et les
idéologues (Baltimore,
1925).
[53] Voir
Mertz, op. cit., p. 149.
Traduction : Hervé de Quengo
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