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Il
se dit que celui qui possède le Koh-I-Noor règne sur le monde. Le Koh-I-Noor est le plus célèbre de tous les diamants et est
connu dans le monde entier. La légende veut qu’il remonte à une date
antérieure à la naissance du Christ, et certaines théories indiquent qu’il
aurait pu apparaître au début des années 1300. L’Histoire, quant à elle, est
capable de prouver de son existence pour ce qui est de ces 250 dernières
années. Voici ce qui en a pour la première fois été écrit :
‘Concernant
son histoire traditionnelle, qui remonte à 5000 ans dans le passé, il n’y a pas
grand-chose à relever, et bien qu’elle ait fourni aux écrivains les plus
imaginatifs un sujet d’écriture caractéristique, nous ne savons pas s’il a un
jour été taillé’.
La
référence la plus ancienne faite d’un diamant qui pourrait être le Koh-I-Noor est trouvée dans le Baburnama, les
mémoires de Babur, premier Empereur Mogul à avoir
régné sur l’Inde. Né en 1483, Babur (qui signifie lion – un nom qui ne lui
aurait pas été donné à la naissance mais qui semble être un surnom dérivé
d’un mot Arabe ou Perse signifiant lion ou tigre) était un descendant à la
cinquième génération de Tamerlane par son père, et
descendant à la quinzième génération de Genghis
Khan par sa mère. Ayant eu dans ses veines le sang de deux des plus grans conquérants que l’Asie ait jamais connus, il n’est
pas surprenant que Babur lui-même soit devenu un grand conquérant.
Alors
qu’il était un jeune homme, Babur devait sa sûreté et sa survie sur les
champs de vataille politiques et militaires à ses
qualités personnelles exceptionnelles et à son opportunisme, qui lui ont permit de conquérir les plaines de l’Inde du Nord. En
plus d’avoir été un guerrier, Babur était un homme civilisé et cultivé – un
écrivain et un poète.
Miniature de Babur datant des années
1500
Dans
le Baburnama, Babur fait allusion au sultan Al-ed-Din Khalji, qui régna sur
Delhi de 1295 à 1316. Lors de l’année qui précéda son accession au trone, le sultan mena une expédition dans le Deccan, ou
au Sud, sur le très haut plateau entre le Narmada et la rivière Tungabhadra-Krishna, où il prit Malwa
et déroba un important butin. A l’époque, Al-ed-Din était seulement un prince au service de son oncle,
Jalal-Ud-Din. En 1295, il assassina son oncle de sang froid et prit sa place sur le trône. En 1297, Al-ed-Din sortit vainqueur d’une
bataille contre le dernier roi de Gujrat et son
trésor s’en trouva décuplé. Un document indique qu’il aurait trouvé le
diamant à Gujrat, alors qu’une autre source affirme
qu’il proviendrait du Deccan. La seconce hypothèse
n’est pas impossible, parce qu’après sa défaite, le roi prit la fuite vers le
Sud, où il se trouva vaincu à nouveau, cette fois-ci par les généraux d’Al-ed-Din.
Plus
de deux siècles plus tard, au temps de Babur, l’Inde du Nord était divisée
entre différents chefs indépendants qui n’étaient en rien prêts à résister à
un envahisseur déterminé. Après un certain nombre de raids en Inde, Babur fut
invité par Daulat Khan, qui régnait sur le Punjab, à l’aider à combattre son neveu Ibrahim Lodi, alors
sultan de Delhi, qui s’était prouvé être un dirigeant despotique. En 1526,
Babur tua Ibrahim Lodi lors de la bataille de Panipat.
L’ancien rajah de Gwailor, Vikramaditya,
fut également tué lors de cette bataille. Avant de se rendre au combat, Vikramaditya avait envoyé ses bijoux au fort d’Agra, fort
dont il était le qilidar. Un diamant notable aurait
pu faire partie de ces bijoux. Il est considéré plausible – bien que
seulement en une certaine mesure, compte tenu de ses dispositions – qu’Al-ed-Din ait récompensé les
ancêtres de Vikramaditya, deux frères, en leur
offrant non seulement Gwailor mais aussi le
diamant.
Babur
s’est rendu à Agra le 4 mai 1526, et il y a de fortes chances que le diamant
lui ait été offert le jour suivant. Une référence y est faite dans le Baburnama :
‘Lorsqu’Humayun
(le fils de Babur) arriva, le peuple de Vikramaditya
tenta de s’échapper, mais fut arrêté par les gardes qu’avait postés Humayun
et placé en garde à vue. De leur propre initiative, ils offrirent un peshkask à Humayun, qui consistait en une certaine
quantité de diamants et de bijoux. Parmi eux se trouvait le fameux diamant
acquis par le sultan Al-ed-Din.
Sa valeur était telle qu’elle s’élevait à la moitié des dépenses quotidiennes
du monde entier, où huit mishquals. A mon arrivée, Humayan m’en fit cadeau, et je le lui ai rendu comme
récompense’.
Un
autre document précise que le diamant aurait
appartenu non pas à Vikramaditya mais à Ibrahim
Lodi. Selon cette version de l’histoire, la mère d’Ibrahim Lodi l’aurait
offert à Humayan, fils et successeur de Babur, dont
la mission était de collecter tous les diamants ayant appartenu au sultan
vaincu de Delhi. Après que les hommes d’Humayun aient manqué de mettre la
main sur le diamant, servants et trésoriers furent interrogés. Ils gardèrent
le silence, et même après avoir été menacés de châtiments divers, aucun
d’entre eux n’ouvra la bouche. Un servant finit par pointer du doigt le
palais royal.
Lorsqu’Humayan pénétra dans le palace, les femmes de la famille
de Vikramaditya étaient en pleurs. Il leur assura
que leur honneur était sain et qu’il leur réserverait le traitement que
voulait leur rang. C’est alors que la mère d’Ibrahim Lodi se retira en
silence dans une pièce pour en ressortir avec un coffre en or qu’elle offrit,
les mains tremblantes, au jeune prince. Humayan
aurait ouvert la boîte et pris le diamant.
Cette
version est considérée incorrecte par de nombreux écrivains, et la découverte
du diamant dans le fort d’Agra est généralement perçue comme la version
authentique de l’histoire. Il y a également un certain nombre de divergeances pour ce qui concerne les méthodes de calcul
du poids du diamant : son poids d’environ huit mishquals,
déclaré par Babur, a donné vie à un certain nombre d’équations mathématiques.
Il est intéressant de noter qu’une majorité de ceux qui se sont penchés sur
la question sont arrivés à un poids de 186 anciens carats.
Miniature d’Humayun en ivoire
Quatre
ans après la victoire cruciale de Babur à Panipat,
Humayun tomba malade. Les médecins ne purent rien faire pour lui, et sa
condition ne cessa de s’empirer. Quelqu’un finit par suggérer à Babur de se
séparer de sa plus chère possession pour pouvoir sauver son fils. L’individu
en question espérait sans doute que Babur considèrerait le fameux diamant
comme pouvant remplir ce critère. Si c’était le cas, il ne fait aucun doute
qu’il se trouva déçu, parce que Babur refusa sa suggestion, sur le principe
même que sa possession la plus chère était sa propre vie. Babur se serait
rendu au chevet de son fils, et aurait prié pour que la vie de son fils soit
épargnée et que la sienne soit sacrifiée. La condition d’Humayun s’améliora, et
celle de Babur commença à se détériorer. Babur mourut en décembre 1530.
Le
règne d’Humayan dura 26 années mais fut sujet à de
nombreuses interruptions. Après une période initiale de ç9,5
années de règne, il fut chassé d’Inde par les forces Afghanes de Sher Khan. Humayun s’enfuit d’abord à Sind, puis en
Perse, et ne retourna en Inde qu’après 15 ans d’exil. Après avoir regagné son
trône, son règne ne dura que six mois : un jour, après avoir entendu
l’appel à la prière, il se leva trop rapidement et tomba dans les escaliers
de sa librairie, possiblement sous l’effet de l’opium.
Après
sa défaite contre les Afghans et durant l’exil qui suivit, Humayun aurait
transporté avec lui le diamant que son père lui avait rendu à Agra. Au cours
des 200 années qui suivirent, il fut connu sous le nom de ‘diamant de Babur’.
Ayant laissé derrière lui son royaume, sa fille unique et ses nombreuses
femmes – il a également abandonné son fils, Akbar, lors de sa fuite face aux
Afghans – il ne laissa jamais derrière lui son diamant. La vénération qu’il
avait pour cette pierre est illustrée par un incident particulier. Le chef de
l’un des domaines dans lesquels il trouva refuge aurait cherché à lui acheter
le diamant, et tirant avantage du statut de réfugié d’Humayun, aurait envoyé
l’un de ses courtiers déguisé en marchand pour marchander avec lui. Lorsque
le marchand se présenta à Humayun et lui fit part de l’objet de sa visite,
Humayun, furieux, lui répondit :
‘De
tels joyaux ne peuvent être achetés, ils tombent entre les mains d’un homme
par l’arbitrage de la lame d’un sabre, qui est l’expression de la volonté
divine, ou tombent devant la grâce de puissants monarques’.
Le
marchand se retira sur-le-champ.
L’exil
d’Humayun finit par le porter jusqu’en Perse, où Shah Tahmasp,
qui règnait sur le pays, le reçut cordialement.
L’Empereur Mogul en exil fut si bien traité par le
Shah qu’ultimement, pour lui exprimer sa gratitude, il lui offrit une
multitude de joyaux. Un historien du nom d’Abdul Fazal, qui fut plus tard
employé par Akbar, le successeur d’Humayun, en tant que secrétaire, écrit
dans son Akbarnama
que le diamant de Babur comptait parmis les gemmes
offertes au Shah Tahmasp par Hamayun.
Il écrit que le diamant avait plus de valeur que les richesses de plusieurs
pays. Un autre écrivain fait référence au cadeau d’Humayun au Shah Tahmasp, et écrit que ce dernier s’est trouvé tant
époustouflé par leur valeur qu’il a envoyé ses bijoutiers les estimer. Ces
bijoutiers lui auraient dit que leur valeur était au-delà de tout. C’est de
cette manière qu’a toujours été décrite la valeur du diamant de Babur. Les
autres diamants pouvaient être estimés, mais le diamant de Babur ne pouvait
être comparé à rien de moins qu’à la richesse du monde.
La
présentation de ce diamant au roi de Perse a été confirmée par Khur Shah, l’ambassadeur d’Ibrahim Qutb, roi de Golconde,
devant la cour Perse. Il parla d’un diamant de six mishquals,
qu’il évalua à deux journées entières de dépenses mondiales. En revanche, il
a aussi dit que Shah Tahmasp ne portait pas
réellement le diamant dans son cœur et l’a finalement envoyé en Inde comme
cadeau à Burhan Nizam, le Shah d’Ahmednagar. L’émissaire à qui avait été confié le
diamant, Mehtar Jamal, a très certainement échoué à
lui porter la pierre, puisque le Shah Tahmasp donna
plus tard l’ordre de le faire arrêter.
Ces
évènements ont pris place en 1547. A partir de cette date et jusqu’au sac de
Delhi en 1739, l’histoire du diamant n’est que spéculations et conjectures.
Entre-temps, une série d’évènements se sont produits, qui ont eu des
conséquences importantes sur l’histoire du diamant de Babur.
Au
début des années 1650, l’Empereur Mogul au pouvoir
était le Shah Jahan, arrière-petit-fils d’Humayan. Il nomma son troisième fils, Aurangzeb, comme
gouverneur du Deccan. Aurangzeb désirait plus que tout conquérir les états
indépendants de cette région de l’Inde, dont l’un était la Golconde, qui
était aussi l’une des principales régions diamantaires du pays.
Le Shah Jahan
A
l’époque, le ministre du roi de Golconde était Mir Jumla,
un revendeur de diamants qui avait une réputation considérable en Perse et
qui a voyagé vers le sud, attiré par la promesse que lui faisaient miroiter
les champs diamantaires Indiens. Dans le même temps que l’administration de
son roi, Mir Jumla prévoyait de faire affaire pour
lui-même, notamment dans le domaine des diamants. Le roi lui confia la charge
des affaires minières et commerciales, et le Perse s’établit une véritable
fortune. Mais Mir Jumla manqua un jour d’attention
et fut surpris dans une situation compromettante avec la mère du roi. Il fut
forcé de quitter la Golconde pour sa sécurité personnelle.
Mir
Jumla rencontra Aurangzeb au début de l’année 1656
avant de se rendre à Delhi pour rencontrer le Shah Jahan.
Selon un agent de la Compagnie des Indes Orientales qui se trouvait dans la
région en ce temps-là, le Shah Jahan reçut Mir Jumla amicalement, et des cadeaux furent échangés entre
les deux hommes – le cadeau de Jumla à l’empereur
comprenait un diamant d’un poids de 160 ratis. Un
autre témoin, le Français François Bernier, relate que :
‘Jumla, qui reçut de multiples invitations à la cour du
Shah Jahan, se rendit à Agra, transportant avec lui
les plus magnifiques cadeaux dans l’espoir de pousser l’Empereur Mogul à déclarer la guerre aux rois de Golconde et de
Bijapur, et aux Portugais. C’est en cette occasion qu’il offrit au Shah Jahan ce fameux diamant à la beauté et à la valeur
incomparables’.
Un
troisième écrivain rapporte quant à lui que Mir Jumla
aurait donné un diamant au Shah Jahan et un autre à
Aurangzeb, ce dernier diamant ayant été un specimen
brut taillé plus tard par le Venicien Borgio.
Bien
que les preuves soient minces, l’offrande de diamants par Jumla
au père et au fils semble en accord avec son caractère et ne devrait pas être
laissée de côté : il ne se serait agit que
d’un moyen d’assurer son futur peu importe le sens dans lequel soufflerait le
vent. Il choisit de s’allier à Aurangzeb alors que l’état de santé du Shah Jahan se détériorait et que ses quatre fils se battaient
pour son trône. Aurangzeb est sorti victorieux du conflit, et n’a pas tardé à
se débarasser de ses frères et à incarcérer son
père dans le fort d’Agra. La possession de diamants par le Shah Jahan lors de son emprisonnement est confirmée par deux
sources. Bernier a écrit que le Shah Jahan, après
son emprisonnement, s’est réconcilié avec son fils et lui a fait envoyer
certains de ses diamants, chose qu’il avait d’abord refusée. Aurangzeb ne les
aurait reçus qu’après la mort de son père. La version de Jean-Baptiste
Tavernier est différente en bien des égards. Voici ce qu’il écrit :
‘Pendant
son règne, le Shah Jahan entama la construction de
la ville de Jehanabad, bien qu’il ne parvint jamais
à l’achever. C’est pourquoi il demanda à pouvoir la voir avant sa mort :
mais Aurangzeb ne le laissa pas partir. Le refus de son fils le tourmenta au
point de hâter l’arrivée de sa mort. Dès qu’Aurangzeb en eut vent, il se
rendit à Agra et saisit tous les diamants qu’il n’avait pas dérobés à son
père de son vivant. Sa sœur Begum Sahed avait elle aussi une quantité considérable de
joyaux, qu’il ne lui avait pas pris avant de la mettre au château. Mais
puisqu’elle avait auparavant récupéré la part de son père, il trouva un moyen
de la déposséder de ses diamants après lui avoir accordé honneurs et caresses
et l’avoir emmenée avec lui à Jehanabad. Peu de
temps après, on apprit sa mort… tout le monde était persuadé qu’elle avait
été empoisonnée’.
Left to right: Shuja, Aurangzeb, Murad Bakhsh, the
three younger sons of Shah
Jahan. Miniature by Balchand, circa 1637. From the
British Museum collection.
De gauche à droite :
Shuja, Aurangzeb, Murad Bakhsh, les trois jeunes fils de Shah Jahan.
Miniature par Balchand,
1637. Appartient à la collection du British Museum.
Il
est désormais nécessaire, à ce point de l’histoire, d’identifier les diamants
qui figuraient parmis les joyaux offerts au Shah Jahan et Aurangzeb. Le plus gros diamant, qui n’aurait
pas été taillé, est certainement le Grand Mogul
qu’Aurangzeb a présenté à Tavernier en 1665. Mais quel est le diamant
mentionné par Bernier comme celui que Shah Jahan
aurait reçu de Mir Jumla et décrit comme ‘ce fameux
diamant à la beauté et à la valeur incomparables’ ? S’agit-il du diamant
de Babur ? Ces questions ont été posées par les autorités après
l’arrivée du Koh-I-Noor
en Angleterre en 1850. Il y eut d’abord des gens qui pensaient que le Koih-I-Nor était le Grand Mogul et que le diamant de Babur en était un autre, puis
ceux qui pensaient que le Koh-I-Noor
était le diamant de babur, et enfin ceux qui
pensaient que le Koh-I-Noor
était à la fois le diamant de Babur et le Grand Mogul.
L’un
des premiers à se prononcer sur le sujet fut le minéralogiste distingué James
Tennant, qui nota qu’en plus d’avoir des défauts
similaires à ceux présentés par Tavernier dans sa description du diamant Mogul,…
‘…le
Koh-I-Noor présentait un
défaut sur son sommet qui, ressemblant à une ligne de taille parallèle à sa
surface supérieure, aurait pu être produit lorsque sa partie supérieure lui
fut retirée – et dont le poids, ainsi que celui des portions retirées à ses
côtés et aux quatre facettes de sa surface supérieure pourrait avoir
représenté la différence de poids entre les deux pierres, soit 83,30 carats’.
Illustration par Tavernier issue de son
livre Les Six Voyages de Jean-Baptiste
Tavernier, publié en 1679
Edwin
Streeter est un autre auteur à avoir discuté
l’identité du Koh-I-Noor.
Il a vécu au XIXe siècle et était un
bijoutier londonien et auteur de deux livres célèbres sur les diamants et les
pierres précieuses. Dans son livre Precious Stones and Gems, il écrit que ‘l’idée que le Mogul
et le Koh-I-Noor soit un
même diamant n’est qu’en de très rares occasions mise à l’épreuve’. En
revanche, dans son livre The Great Diamonds of the World, il note que ‘le Babur et le Koh-I-Noor ne font qu’un, et le
Mogul est un diamant distinct’. Cette contradiction
a été relevée par Valentine Ball, qui a publié en 1889 une nouvelle
traduction des Six Voyages de
Tavernier accompagnées d’annexes et de notes personnelles. Ball pensait que
le point de vue mis en avant par Streeter dans son
premier livre était le plus raisonnable des deux.
‘Il
doit être souligné qu’il n’existe aucune preuve qu’un diamant de ce poids
(186 o 187 carats, le diamant de Babur) ait été en la possession d’un
Empereur Mogul à n’importe quel moment avant
l’invasion de Nadir Shah. Nous ne savons rien quant au poids du Koh-I-Noor avant qu’il ait été
transporté en Angleterre, en l’an 1850’.
‘Tavernier
n’a jamais observé de pierre du poids mentionné ci-dessus attribué au diamant
de Babur en la possession du Grand Mogul Aurangzeb,
et nous ne pouvons affirmer qu’il ait entendu parler de la possession d’un
tel diamant par le Shah Jahan, qui était alors en
prison avec une partie de ses diamants. Si lui ou Bernier avait entendu dire
qu’un tel diamant existait, il l’aurait certainement mentionné… Il est
possible que le diamant de Babur ait été vu en la possession de Shah Jahan alors que Tavernier observait les joyaux
d’Aurangzeb, et qu’Aurangzeb en ait réclamé possession après la mort de Shah Jahan. Il aurait plus tard pu être emporté en Perse aux
côtés d’autres diamants dérobés par Nadir Shah’.
Ball
continue….
‘Nous
devons donc en conclure que ce n’est pas le diamant Mogul,
n’ayant pas laissé de trace comme le veulent certains auteurs, qui aurait
disparu, mais que ce soit de l’histoire du diamant de Babur que nous soyons
les plus confus. La taille du diamant de Babur selon un modèle identique ou preque à celui du Koh-I-Noor, bien qu’aperçu comme un maillon de la chaine par
certains, a cessé de le rendre identifiable avec le Mogul’.
En
avril 1899, un article intitulé Babur’s Diamond, Was It the Koh-I-Noor ? a été
publié dans l’Atlantic Quarterly Review. Il a été
écrit par Henry Beveridge, le mari de la traductrice du Baburnama. Bien qu’il ait en
fin de compte été incapable de déterminer si de diamant de Babur est
effectivement le Koh-I-Noor,
Beveridge a fait une remarque importante qui porte notre attention sur
le fait qu’il existe deux diamants, l’un ayant poussé Tavernier à écrire que
le gros diamant avait été présenté au Shah Jahan
sur une page de son receuil, et le second à écrire
dans ce même receuil qu’il avait été présenté à
Aurangzeb. Le fait qu’il existe deux diamants peut également expliquer les
propos du noble perse mentionnés dans Forbes’s Oriental memoirs et cités par Ball au sujet de deux gros
diamants dérobés par Nadir Shah.
Un
peu plus d’un siècle plus tard, nous avons la chance de pouvoir accéder à des
informations qui n’étaient pas disponibles aux anciens auteurs. Nous savons
notamment quels trésors ont amassé les Tsars, Shahs et autres monarques. Nous
sommes certains qu’il existe trois diamants, qui ont tout un lien direct avec
les questions soulevées au sujet du Grand Mogul et
du diamant de Babur. Ils sont l’Orlov, d’un poids de 189,62 carats, et qui se
trouve aujourd’hui au Kremlin, le Darya-I-Nur, d’un poids estimé entre 175 et 195 carats, supposé
faire partie jusqu’à ce jour des joyaux de la Couronne Iranienne, et le Koh-I-Noor, dont le poids
était, avant qu’il soit retaillé, de 186 carats.
Tavernier
décrit le Grand Mogul comme étant ‘taillé à la
manière d’un œuf coupé en son milieu’, et en a fait un dessin. Les
descriptions et le dessin faits par Tavernier sont applicables au diamant
Orlov tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il y a bien entendu une
différence notoire entre les poids des deux diamants, le Grand Mogul pesant environ 100 carats de plus que le Orlov.
Mais si le diamant observé par Tavernier avait été meulé, il pourrait s’agir
de la même pierre. Le meulage du Grand Mogul aurait
pu donner naissance à une pierre du poids de l’Orlov. Voici ci-dessous ce que
dit Ball du diamant Orlov :
‘De
nombreux auteurs, dont le professeur viennois Schrauf
(1869), ont suggéré que le Mogul pourrait être
identifié avec le diamant Orlov qui se trouve aujourd’hui en Russie. Mis à
part leur divergeance en termes de poids et de
taille, comme le prouve le dessin de Tavernier supposé représenter la taille
naturelle du Mogul, il est quasiment certain que le Orlov ait été obtenu dans le temps de Sriranham, sur une île de la rivière Cauvery,
dans le Mysore. Il appartenait donc autrefois aux Hindous, et il est très
improbable qu’il ait un jour appartenu aux Moguls’.
Suite
à l’examen du Trésor d’Iran qui a eu lieu dans les années 1960, il a été
prouvé que le Darya-I-Nur
constitue une grande portion du Great Table qu’a pu observer Tavernier –
avant d’essayer d’en faire l’acquisition – en Golconde. Il est fort probable
que ce diamant ait été découvert peu de temps avant l’offre de Tavernier, ce
qui laisse de côté toute histoire antérieure pouvant impliquer les Empereurs Moguls. En plus de cela, la description du Babur comme
étant un diamant qui vale autant que ‘la moitié des
dépenses quotidiennes du monde’ sont très certainement inapplicables au
diamant rectangulaire qu’est le Darya-I-Nur : une métaphore plus appropriée serait de le
décrire comme la source de la moitié de l’eau dont le monde a besoin sur une
demi-journée. Le seule point qui suggère que le Darya-I-Nur puisse être le
diamant de Babur se trouve dans l’un des passages d’un livres sur la vie de
Babur dont voici un extrait :
‘Les
cadeaux étaient somptueux, tous des pierres précieuses, et parmis elles le gros diamant désormais identifié comme
étant le Koh-I-Noor. Cet
énorme diamant de couleur rose pesait 320 ratis sur
les balances d’Humayun’.
Le
Darya-I-Nur est bien
évidemment de teinte rose, mais il y a ici une erreur de traduction : il
est dit que le diamant est de couleur rose, plutôt que de taille rose,
l’ancienne forme du Koh-I-Noor.
Pour
finir, afin d’identifier ces diamants historiques avec les gemmes qui
existent aujourd’hui, il est nécessaire de noter que les suggestions qui
veulent que le Koh-I-Noor
et le Mogul aient autrefois fait partie d’une même
pierre sont infondées : le Koh-I-Noor est un diamant blanc, alors que le Orlov – si nous
partons du principe qu’il est le Grand Mogul –
possède une teinte bleutée. Le Darya-I-Nur a été identifié comme étant un fragment du diamant
Great Table. Beaucoup pensent que le Orlov ait été
taillé à partir du Grand Mogul, un diamant de 280
carats, et d’autres, bien que leur opinion soit tout aussi valide, pensent
que le Koh-I-Noor est
aussi le diamant de Babur.
L’une des illustrations de Tavernier
publié dans son livre Six Voyages.
Le premier diamant est le Grand Mogul, le second est le Florentine,
le troisième est le
Great Table, le quatrième est très
certainement le table vut mentionné par Herbert Tillander dans
Diamond Cuts in
Historic Jewelry - 1381 to 1910, d’un poids
de 51,6/9 carats, qui fut plus tard retaillé pour peser
42,10/16 carats (la couronne fut
facettée et le pavillon laissé intact).
Finalement, en 1786, il fut taillé pour devenir une gemme de 26,3/4 carats.
Nous ne savons pas où se trouvce ce diamant aujourd’hui.
Le
reigne d’Aurangzeb s’acheva en 1707, après près de
cinquante années passées au pouvoir. Cette date marqua le zénith du reigne des Moguls. Après lui,
un déclin prit place, et pas moins de six faibles Empereurs montèrent sur le
trône en seulement treize ans. Chacun d’entre eux mourut de manière
non-naturelle. Alors que le soleil se couchait sur l’Empire Mogul, un autre se levait à l’Ouest de la Perse. Nadir Kuli, ou ‘Esclave de Dieu’, était un jeune berger qui, à
l’âge de 18 ans, fut enlevé avec sa mère par des Uzbegs
et emmené à Khiva. Quatre ans plus tard, réduite à l’esclavage, sa mère
mourut. Mais le jeune Nadir parvint à s’échapper et joindre Khorasan où il
grimpa le premier échelon du pouvoir enentrant au
service du gouverneur d’Abivard (alors capitale de
la région). Sous Nadir Kuli, qui en 1732 chassa du
trône le faible prince de Perse avant de prendre sa place quatre ans plus
tard, la Perse devint un puissant Empire. Après avoir vaincu les Afghans et
les Turcs et chassé les Russes de la province Caspienne, Nadir Shah pora son attention vers l’est, vers l’Empire Mogul en déclin. L’Empereur au pouvoir, Mohammed Shah,
qui était monté sur le trône en 1719, était un descendant pitoyable de
puissants Moguls. Il a été décrit comme n’ayant
jamais rien eu entre ses mains que maîtresses et alcools. Puisque l’Empereur n’eut
conscience de son destin que trop tôt, les Perses mirent la main sur
d’innombrables richesses. La bataille décisive de Karnal,
en 1738, fut terminée en seulement deux heures : l’armée indienne, bien
que vaste, fut vaincue. 20.000 hommes furent perdus sur le champ de bataille,
et un nombre encore plus grand fut emprisonné. Un important butin fut pillé.
Nadir Shah marcha triomphant dans la ville de Delhi, où il fut somptueusement
acceuilli par Mohammed Shah. Parmi les trésors que
l’Empereur offrit à Nadir Shah se trouvait le trône du Paon décrit par
Tavernier dans son livre :
‘Le
plus haut trône, qui est situé dans le hall de la première cour, mesure six
pieds de long et quatre de large. Le coussin, placé à la base du trône, est
rond, et les coussins sur les côtés sont plats. La partie basse du canapé est
brodée de perles et de diamants, et entourée d’une frange de perles. Le
dessus du canapé, qui est en forme d’arche avec quatre panneaux, présente un
paon queue déployée fait de saphires et d’autres pierres
colorées. Son corps est fait d’or et de nombreux joyaux, et un gros rubis a
été cousu au centre, auquel est accrochée une perle de 50 carats. De chaque
côté du paon se tiennent deux bouquets de la même taille que lui, composé de
multiples fleurs faites d’or émaillé. Lorsque le roi s’asseoit
sur le trône, un bijou transparent serti d’un diamant de 80 ou 90 carats
encerclé de rubis et d’émeraudes pend de manière à être toujours devant son
œil. Les douze pilliers qui soutiennent le siège
sont sertis de rangées de perles d’un poids de 6 à 10 carats chacune. Il
s’agit du fameux trône qui a commencé avec Tamerlane
et a été terminé par Shah Jahan. Il aurait coûté
160 millions et 500.000 livres de notre monnaie’.
L’identité
du diamant suspendu a toujours été l’objet de spéculations : il aurait
pu être le diamant du Shah. Dans les écrits de Tavernier, il n’est nulle part
décrit comme étant le Koh-I-Noor.
L’Empereur Mogul s’est très cretainement
assuré à ce que son très cher diamant ne tombe pas entre les mains de ses
envahisseurs. En revanche, Nadir Shah n’a eu aucune difficulté à trouver la
pierre. Deux histoires circulent quant à la manière dont il se la serait
procurée. L’une dit que Mohammed Shah l’ait offerte à Nadir Shah pour le
remercier d’avoir épargné sa vie et son empire. C’est très peu probable,
c’est pourquoi la deuxième histoire a été largement été acceptée comme étant
la vraie version des faits. Cette dernière est bien plus haute en couleurs.
De toutes les histoires que l’on raconte au sujet du Koh-I-Noor, celle-ci a tendance à sortir du lot.
La
divulgation de l’endroit où était caché le Koh-I-Noor a pour origine l’une des femmes du harem de
l’Empereur, qui aurait dit à Nadir Shah que Mohammed le portait constamment
caché dans son turban. Nadir Shah aurait eu recours à la ruse. Il aurait
organisé un grand festin le jour même du retour de Mohammed Shah sur le
trône. Durant le festin, Nadir Shah aurait soudainement proposé un échange de
turbans, qui est une coutume orientale célèbre signifiant la création de
liens fraternels, d’une amitié sincère et éternelle. Mohammed Shah aurait
bien entendu été surpris de l’offre de son rival, mais n’était pas en
position de refuser. Avec autant de grâce que possible – il resta impassible
au point que Nadir se demande s’il avait été dupé – il accepta. Lorsque Nadir
Shah arriva à sa chambre, il déroula le turban et y découvrit le diamant. Il
aurait posé ses yeux dessus et se serait exclamé ‘Koh-I-Noor’, qui signifie ‘Montagnes de Lumière’. Le plus
célèbre diamant de l’histoire venait d’être baptisé.
Un dessin que j’ai fait de la taille
originale de 186 carats du Koh-I-Noor
en me basant sur diverses illustrations
que j’ai pu en voir.
Une
observation doit être faite quant à l’obtention du diamant par Nadir Shah. Il
en connaissait certainement l’existence avant le banquet, et probablement
même avant qu’il n’arrive à Delhi. Il est probable qu’il l’air cherché avec
ferveur. Cela suggère que le diamant ait été connu en Perse des générations
durant, probablement depuis l’époque de l’exil d’Humayun. Voilà qui ajoute à
la théorie qui voudrait que le Koh-I-Noor et le Grand Mogul soit
deux diamants distincts.
La
fin du séjour paisible de Nadir Shah à Delhi fut bouleversée par l’éclatement
d’émeutes suivies du sac et du pillage de la ville en 1730. Le Koh-I-Noor fit partie des
objets dérobés, et quitta l’Inde pour la Perse pour une deuxième fois, aux
côtés d’un autre diamant exceptionnel qui était très cretainement
le Great Table. Les Perses remportèrent d’autres batailles, mais Nadir Shah
devint corrompu et les succès de la fin de sa vie furent marqués d’une
avidité et d’une cruauté croissantes, au point qu’il
finit par être détesté par le peuple qu’il avait libéré du joug étranger. En
1747, il fut assassiné alors qu’il était endormi dans sa tente. Après le
meurtre de Nadir Shah, l’unité de la Perse fut ébranlée, et l’armée divisée.
Les
soixantes années qui suivirent furent les plus
sanglantes de l’histoire du Koh-I-Noor. Les évènements qui se produisirent après la mort de
Nadir Shah furent très similaires à ceux qui ont suivi la mort
d’Aurangzeb : un puissant souverain fut remplacé par une série de
faibles. Le successeur de Nadir Shah était Ali Kuli,
qui monta sur le trône sous le nom d’Adil Shah, ou ‘le Juste’. La première
chose qu’il entreprit fut de se débarasser de tous
ceux qui revendiquaient le trône de Perse, à l’exception du Shah Rukh Mirza, petit-fils de Nadir Shah, qui avait alors 14
ans. Après un règne court et disgrâcieux, Adil Shah
fut renversé et rendu aveugle par son frère Ibrahim qui, à son tour, fut
capturé et mis à mort par ses propres troupes. Shah Rukh
monta ensuite sur le trône, mais un autre prétendant ne se fit pas attendre,
et le jeune roi fut détrôné, après avoir lui-aussi été aveuglé. Shah Rukh vit son nom, sinon sa personne, reigner
pendant 50 années. Son plus grand partisan était Ahmed Abdali,
un Afghan qui avait été l’un des meilleurs généraux de Nadir Shah avant de
retourner en Afghanistan pour en prendre le contrôle. Pour l’aide qu’il avait
reçue de sa part, Shah Rukh offrit à Ahmad Abdali d’importants joyaux, dont l’un aurait été le Koh-I-Noor.
Shah
Rukh paya très cher le cadeau qu’il avait fait à
Ahmad Shah, parce qu’Aga Mohammed Khan était persuadé que le pauvre homme
était encore en la possession du Koh-I-Noor. Déserté par son fils, qui ne savait rien des joyaux
qu’il avait autrefois possédé, le Shah Rukh,
désormais aveugle, fut forcé de souffrir des pires tortures infligées par le
cruel dirigeant à l’insatiable appétit pour les gemmes. A mesure que Shah Rukh fut torturé, les gemmes qui avaient été cachées
furent livrées à Mohammed Khan une par une. Pour la dernière des tortures qui
lui fut infligée des mains d’Agag Mohammed Khan,
Shah Rukh eut la tête rasée de très près avant qu’y
soit déposée une pâte sur laquelle de l’eau bouillante fut versée. La
dernière pierre qu’il livra était un gros rubis, qui appartenait autrefois à
Aurangzeb. La torture prit fin peu de temps après, mais Shah Rukh mourut de ses blessures quelques jours plus tard.
Entre
temps, en Afghanistan, le pays dans lequel se trouvait le Koh-I-Noor, Timur avait succédé à son
père Ahmad Shah. Il était faible mais loin d’être impuissant, puisqu’il
laissa derrière lui 23 fils pour se disputer sa succession. Une guerre civile
éclata, et son fils aîné, Zaman Shah, devint roi en
1793. Son frère Mahmud lui ôta les yeux six ans plus tard avant de monter sur
le trône à son tour. En 1803, un autre des frères, Shuja,
jeta Mahmud en prison et prit la place de roi. Sept ans plus tard, Mahmud
s’échappa et monta à nouveau sur le trône, mais n’obtint jamais le Koh-I-Noor, que Zaman Shah avait emporté avec lui et fait plâtrer dans le
mur de sa cellule. Après cela, le Shah Shuja reprit
une nouvelle fois le pouvoir et récupéra le Koh-I-Noor – dont Zaman Shah lui
avait dévoilé la cachette. En 1810, le Saddozai
d’Afghanistan, fondé par Ahmad Shah, fut divisé, et deux frères, Zaman Shah et Shah Shuja,
demandèrent refuge au dirigeant Sikh Ranjit Singh, connu sous le nom de ‘Lion
du Punjab’.
Ranjit Singh
Shah
Shuja était en possession du Koh-I-Noor, et le souverain du Punjab
avait certainement connaissance de l’endroit où se trouvait la pierre,
puisqu’il en réclama la propriété. Il tenta de l’extorquer d’entre les mains
du Shah Shuja contre son asile et celui de sa
famille. Mais le Shah Shuja fit tout ce qu’il put
pour empêcher Ranjit Singh de mettre la main sur son diamant. Il est allé
jusqu’à lui dire qu’il l’avait laissée à un prêteur sur gage, où qu’il
l’avait malheureusement perdue. Shah Shuja finit
par envoyer à Ranjit Singh un topaze blanc en lui expliquant qu’il s’agissait
du diamant. Mais lorsque les bijoutiers de la cour examinèrent la pierre et
découvrirent que le Shah Shuja avait menti au
souverain, ce dernier fut pris de rage. Il posta des gardes autour de la
résidence du Shah Shuja et leur donna l’ordre de ne
pas y laisser entrer de nourriture et d’eau pendant deux jours. Shah Shuja, réalisant sa situation désespérée, finit par
accepter de livrer le diamant à Ranjit Singh, sous la condition qu’il le lui
remette en personne.
Ranjit
Singh accepta l’offre de Shah Shuja et, le 1 juin
1813, se rendit à sa résidence pour y réclamer le diamant. Ils s’échangèrent
les salutaions de rigueur avant de s’asseoir l’un
en face de l’autre en silence avant que Ranjit Singh mentionne au Shah Shuja la raison de sa visite. Un servant se vit donner
l’ordre d’apporter la pierre depuis une autre salle et lorsque Ranjit Singh
ouvrit le paquet qu’il lui présentait, il découvrit à l’intérieur le Koh-I-Noor. Il quitta la
résidence sans prononcer un mot.
Ranjit
Singh fut le premier et le dernier grand souverain Sikh. Trois faibles rois
lui sucédèrent, et chacun d’entre eux mourut
prématurément. En 1843, Dhulip Singh, dernier des
fils de Ranjit Singh, alors mineur, devint souverain du Punjab.
Les deux Guerres Sikh eurent lieu sous son règne et découlèrent sur l’annexe
du Punjab par les Anglais. Le 29 mars 1849, le
drapeau Anglais fut hissé au sommet de la citadelle de Lahore, et le Punjab devint officiellement un domaine de l’Empire
Britannique en Inde. Voici ci-dessous l’un des termes du traité de
Lahore :
‘La
gemme du nom de Koh-I-Noor,
saisie par le maharajah Ranjit Singh au Shah Shuja-ul-Mulk
devra être livrée par le maharajah de Lahore à la reine d’Angleterre’.
Le
gouverneur général en charge de la ratification de ce traité était Lord
Dalhousie, qui à son arrivée à Calcutta en janvier 1848, à l’âge de 35 ans,
était devenu le plus jeune de ses confrères à poser le pied en Inde.
Dalhousie était également responsable de l’acquisition par les Britanniques
du diamant Koh-I-Noor,
qui ne cessa de le fasciner jusqu’à la fin de sa vie. Peu de temps après que
le traité ait été signé, Dalhousie fut emporté dans une controverse qui
faisait rage en Angleterre quant au diamant Koh-I-Noor. Dans une lettre écrite à son ami Sir George Cooper
en août 1849, il raconte ceci :
‘La
cour de la Compagnie des Indes Orientales se dit troublée du fait que j’aie
demandé au maharajah de céder le Koh-I-Noor à la reine, alors que le Daily News et Lord Ellenborough (gouverneur général d’Inde, 1841-44) se
disent indignés que je n’aie rien confisqué au bénéfice de Sa Majesté, et me
censurent pour avoir laissé une perle Romaine à la Cour. J’étais prépapé à entendre la Cour se dire irritée du fait que je
ne lui ai pas envoyé le diamant pour la laisser le présenter à Sa Majesté.
Elle ne devrait pas l’être, et devrait se contenter plutôt d’approuver cordialement
le sentiment avec lequel j’ai répondu à mon devoir. Il en est allé de
l’honneur de la Reine de voir le Koh-I-Noor lui être directement remis par les mains du prince
conquis en tant que simple cadeau. La Cour se doit de comprendre cela, et
pour ce qui en est de son tourment et de sa censure, je n’en ai que faire –
tant qu’elle ne va pas jusqu’à rejeter l’article. Je sais que j’ai agi pour
le bien de notre Souveraine et pour Son honneur’.
Le
citoyen Britannique Dr. (plus tard Sir) John Login, se vit donner deux
tâches : il fut nommé responsable du transfert du Koh-I-Noor hors de la Toshakhana (le
bâtiment au sein duquel étaient entreposés les joyaux) et de la garde du
jeune Dhulip Singh. Un cousin de Lady Login lui
écrivit dans une lettre que l’ancien trésorier Misr Maharajah s’était vu
attribué la tâche précédemment citée et qu’être libéré de la responsabilité
du diamant était pour lui un grand soulagement, puisqu’il avait été la cause
de tant de morts au sein de sa propre famille qu’il ne s’attendait pas à être
épargné. Le vieil homme donna à Login quelques conseils quant à la
présentation du diamant à d’éventuels visiteurs : il ne devrait jamais
le laisser glisser de sa main, et devrait toujours s’assurer que les rubans
du brassard qui le retenaient soient toujours fermement noués autour de ses
doigts. Le diamant avait été monté sur un brassard à l’époque de Ranjit
Singh.
Le
Koh-I-Noor fut
formellement remis au gouvernement du Punjab,
composé de trois membres : Sir Henry Lawrence (1806-1857), son jeune
frère John Lawrence (qui devint plus tard Lord Lawrence, l’homme qui en
février 1859 innova en proposant la future station de train de Lahore), et
C.C. Mausel. Les deux autres membres dédièrent la
sécurité du diamant à John Lawrence, puisqu’ils le pensaient être celui qui
d’entre eux trois avait le meilleur sens des affaires. Il semblerait qu’ils
se soient trompés, puisque le diamant fut presque dérobé sous la garde de
John Lawrence. Il plaça le diamant dans la poche intérieure de sa veste et
s’en alla faire ce qu’il avait à faire. Le soir venu, il laissa son manteau
de côté avant le dîner sans penser à la gemme qui s’y trouvait cachée.
De gauche à droite : un portrait
de Sir Henry Lawrence, fondateur de Lawrence School
dans ce qui est aujourd’hui Sanawar,
Himachal Pradesh, en
Inde. Une statue de bronze de Lord John Lawrence se trouve à Waterloo Place,
à Londres.
L’inscription sur son socle indique
‘John, premier Lord Lawrence, souverain du Punjab
lors de la mutinerie de Sepoy, en 1857.
Viceroi d’Inde de 1865 à 1868’. Sir Henry
(1806-1857) fut assassiné lors de la mutinerie de Sepoy.
Six
semaines plus tard, un message fut envoyé à Dalhousie, stipulant que la reine
avait demandé à ce que le Koh-I-Noor
lui soit envoyé. Henry Lawrence aborda le sujet lors d’une réunion. Lorsque
John Lawrence lui demanda calcmement ‘Envoyez-le
lui maintenant’, son frère lui répondit : ‘Pourquoi ? C’est toi qui
en a la charge’. C’est ainsi que John Lawrence s’en est souvenu. Il s’est
trouvé horrifié et, comme il l’a dit lui-même plus tard, il a pensé à cet
instant s’être mis dans des draps plus sales que jamais. Mais personne ne
remarqua son alarme. ‘Oh oui, c’est vrai, ça m’était sorti de la tête’, a-t-il alors répondu comme si de rien n’était. Aussitôt
qu’il eut l’opportunité de se rendre dans sa chambre, il demanda, la peur au
ventre, à son servant s’il avait découvert une petite boîte dans la poche de
sa veste. L’homme lui répondit ‘Oui Sahib, je l’ai trouvée et l’ai placée
dans l’un de vos coffrets’. ‘Apporte-la moi’, lui
demanda Lawrence, après quoi le vieil homme lui apporta une boîte en métal de
laquelle il retira le couvercle. ‘Ouvres-la’, lui ordonna Lawrence, ‘Et vois
ce qui se trouve à l’intérieur’.
Il
regarda le vieil homme avec anxiété à mesure qu’il dépliait chiffon après
chiffon, et plus plus que soulagé loresqu’il vit finalement apparaître la pierre précieuse.
Le servant semblait n’avoir aucune idée du trésor qu’il tenait entre ses
mains et remarqua ‘Il n’y a rien de plus qu’un bout de verre, Sahib’.
Le
Koh-I-Noor fut rapporté
en salle de réunion et présenté au comité, qui le prépara ensuite pour son
envoi à la reine. Mais le diamant devait d’abord voyager de Lahore à Bombay,
une route qui était autrefois dangereuse et peuplée de criminels et de
brigands. Le gouverneur général, qui s’exclama ‘Quelle superbe pierre’ après
avoir posé pour la première fois ses yeux sur le diamant, fut chargé de le
transporter hors de l’Inde. Le 16 mai 1850, Dalhousie écrivit ceci :
‘Le
Koh-I-Noor est parti de
Bombay à bord de H. M. S. Medea le 6 avril. Je n’ai
pas pu vous le faire savoir le jour-même pour des raisons de sécurité, mais
je l’ai moi-même transporté depuis Lahore. J’ai accepté ma tâche avec joie et
n’ai jamais ressenti un tel bonheur que lorsque je suis finalement arrivé au
Trésor de Bombay. Le diamant avait été cousu et recousu à l’envers d’une ceinture
autour de ma taille, et l’un des bouts de la ceinture avait été attaché à une
chaîne autour de mon cou. Jour comme nuit, je ne l’ai jamais quitté, si ce
n’est lorsque je me suis rendu auprès de Ghazzee
Khan et l’ai remis au capitaine Ramsay, qui en a désormais la garde et l’a
fait enfermer dans un coffre jusqu’à mon retour. Quel soulagement de m’en
être enfin débarassé ! J’ai été retenu deux
mois durant à Bombay dans l’attente d’un navire, et j’espère de tout mon cœur
qu’il arrivera à destination en juillet. N’en dîtes rien autour de vous avant
que vous n’en entendiez parler. J’ai reporté officiellement les faits à la
Cour et à Sa Majesté’.
Le
Koh-I-Noor fut placé dans
une boîte en fer qui elle-même fût placée dans une autre boîte et mise en
sécurité au Trésor. Pour des raisons de sécurité, cette information n’a bien
entendu pas été divulguée, pas même parmi les officiers du Trésor – notamment
au commandant Lockyer, capitaine du navire. Les seules personnes qui savaient
où se trouvait le diamant étaient ceux à qui avait été confié son envoi, le lieutenant colonel Mackeson et
le capitaine Ramsay. Le voyage du HMS Medea se
trouva être périlleux, et à deux reprises, un désastre fut évité de peu.
Lorsque le bateau atteint l’île Maurice, à l’est de Madagascar, une épidémie
de choléra se propagea parmi les membres de l’équipage, et les locaux
refusèrent de leur vendre les marchandises dont ils avaient besoin et
demandèrent le départ immédiat du navire. Voyant que le Medea
ne mouillait pas, ils demandèrent à leur gouverneur d’ouvrir le feu et de
détruire le bateau. Quelques jours plus tard, après avoir quitté l’Ile
Maurice, le bateau frisa à nouveau la catastrophe. Une tempête se leva
et ne dura pas moins de douze heures. Le Medea
parvint finalement à atteindre Plymouth, où les passagers et les colis furent
déchargés, à l’exception du Koh-I-Noor, qui fut envoyé sur-le-champ vers Portsmouth, où
deux officiers vinrent l’intercepter pour l’amener auprès de la Chambre des
Indes Orientales et le présenter au président et vice-président de la
compagnie. C’est le vice-président qui fut chargé de le livrer à la reine au
palais de Buckingham le 3 juillet 1850.
Lord Dalhousie, James Andrew Brown
Ramsay (22 avril 1812 – 19 décembre 1860)
Dalhousie est né et décédé dans le
château de Dalhousie, situé à
Edinbourg, et qui est aujourd’hui un hôtel.
En
plus de soulever des questions aussi bien gemmologiques
qu’historiques, l’arrivée du Koh-I-Noor en Angleterre a été accompagnée par un sentiment de
malaise chez certaines personnes qui le pensaient maudit. Malheureusement, ces
personnes eurent la chance de pouvoir exprimer leur sentiment lorsqu’un officier retraité de la dixième
compagnie de hussards perdit la raison et frappa la reine Victoria. Certains
blâmèrent Dalhousie pour ce qui s’était produit, accusation à laquelle il
répondit dans une lettre écrite le 1 septembre 1850 :
‘J’ai
reçu hier votre lettre datée du 16 juillet. Les tristes et infâmes évènements
qui se sont déroulés en Angleterre m’ont été mentionnés, et ils sont trop
attristants pour que je vous en fasse référence. Vous dîtes que je suis
responsable de cette mésaventure, puisque je suis celui qui a envoyé le Koh-I-Noor, connu pour causer
le tort de celui qui le possède. Peu importe de quelle bouche vous avez
entendu dire cela, elle ne vaut pas mieux en histoire qu’en tradition… Pour
ce qui est de la tradition, lorsque Shah Shoojah (Shuja) s’est vu demander par Runjeat
(Ranjit Singh) quelle était la valeur du Koh-I-Noor, il lui a répondu ‘il apporte la chance, quiconque
l’a jamais eu en sa possession a pu vaincre ses ennemis’. J’ai envoyé à la
reine le récit de cette conversation avec le Shah Shoojah,
tiré de la bouche-même du messager’.
Les
directeurs du British Museum ont demandé à obtenir une copie du Koh-I-Noor. Le 19 avril 1851,
le diamant fut autorisé à être retiré de la monture sur laquelle il se
trouvait à son arrivée depuis l’Inde. Ce travail fut accompli par William
Chapman (orfèvre) en la présence de Lord Breadalbane
(Lord Chamberlain), Lord Cawdor (administrateur du
British Museum), et Sebastian Garrard
(gardien des joyaux de Sa Majesté et homonyme de la bijouterie Garrard). Une fois la pierre retirée de sa monture, Sebastian Garrard découvrit
qu’elle pesait 186, 1/10 carats, et non 279 carats comme l’avait dit
Tavernier.
‘Une
discussion a eu lieu en relation aux doutes imputés par Sir David Brewster
quant à l’identité du Koh-I-Noor,
mais l’opinion de ceux qui en savent le plus long à son sujet semble vouloir
que Dhulip Singh n’ait pu dissimuler le diamant,
puisque la coutume voulait de le porter lors de grandes occasions, et l’ait
ainsi rendu familier aux yeux de milliers de personnes qui auraient tout de
suite remarqué une quelconque tentative de substitution. La seule explication
logique est que le poids du Mountain of Light ait
été exagéré’.
Sir David Brewster (1781-1868) était le
principal de l’United College de Saint Andrew entre
1838 et 1859, après quoi il fut nommé
principal de l’université d’Edimbourg.
Il a appris l’art de la photographiie grâce à
William henru Fox Talbot, l’inventeur du processus
photographique connu sous le nom de calotypie.
Brewster a apporté la photographie en Ecosse
dans les années 1840, faisant du pays l’un des premiers centres
d’expérimentation de cet art.
La photo date de 1843 ou 1844 et est
l’une des plus anciennes photographies au monde.
Brewster est également connu pour avoir
inventé le caléidoscope.
Le
public a eu la chance de pouvoir observer le Koh-I-Noor lors de la Grande Exposition de Hyde Park. Voici ce
qu’en a écrit un journaliste du Times Magazine :
‘Le
Koh-I-Noor est décidément
le lion de l’exposition. Un intérêt mystérieux semble lui être attaché, et
maintenant que sa sécurité a été rétablie, le public se fait de plus en plus
nombreux, et les policiers qui surveillent l’entrée ont beaucoup de
difficulté à contenir les masses impatientes. Hier, pendant plusieurs heures,
il n’y avait jamais moins de 100 personnes qui attendaient simultanément leur
tour. Et pourtant, paraît-il que le diamant ne satisfait pas. Peut-être
est-ce sa taille imparfaite ou la difficulté de le mettre avantageusement en
lumière, ou le caractère inamovible de la pierre elle-même qui devrait
pouvoir tourner sur son axe. Très peu ont pu observer les rayons qu’il
renvoie depuis cet angle particulier’.
La reine Victoria ouvrant l’exposition
à l’intérieur du Palais de Cristal.
Vue aérienne du Palais de Cristal
construit pour l’exposition de 1851.
Le bâtiment mesurait 408 pieds de long
et 108 pieds de haut à son point culminant.
Il a brûlé en 1939.
Le
gouverneur général de l’Inde continua d’éprouver de l’intérêt pour le
diamant. Voici ce qu’il écrit le 13 juillet :
‘Je
vois toutes sortes de dessins et d’images de l’exposition. Si vous pouviez me
trouvez une quelconque image présentant le Koh-I-Noor, en couleurs, je me ferais un plaisir de la
regarder’.
Le
mois suivant, Dalhousie lui répondit :
‘Le
Koh-I-Noor est mal
taillé, une taille rose pas si brillante que cela, et il ne reflète bien
évidemment pas aussi bien la lumièré qu’un diamant
de taille rose brillant traditionnel. Il n’aurait pas dû être présenté dans
un lieu aussi vaste. Dans le Toshakam de Lahore, le
docteur Login avait pour habitude de le présenter sur une table couverte
d’une nappe de velour noir pour accentuer sa
lumière’.
Un dessin (peut-être une
gravure ?) du Koh-I-Noor
lors de l’exposition.
Il y a de plus petites pierres de
chaque côté.
Il s’agit certainement des autres
diamants montés sur le brassard.
Une
autre personne à avoir été déçue par le Koh-I-Noor est le prince Albert. Il contacta David Brewster, le
scientifique connu pour son étude du phénomène de la lumière polarisée, pour
lui demander comment le diamant pourrait être retaillé. Brewster découvrit de
nombreuses petites inclusions dans la pierre qui, selon lui, étaient le
résultat de la force de gaz condensés. Les nombreux défauts présentés par la
pierre l’ont poussé à croire qu’elle ne pourrait que difficilement être
retaillée sans une importante réduction de poids. Le professeur Tennant et le révérend W. Mitchell, professeur de
minéralogie à King’s College,
à Londres, furent eux aussi consultés. Ils composèrent un rapport dans lequel
ils présentèrent les conséquences qu’une recoupe aurait sur la pierre, tout
en exprimant leurs craintes qu’une retaille puisse mettre en danger son
intégrité.
L’avis
de tailleurs spécialisés fut finalement requis. Mr Garrard,
le bijoutier de la cour, se vit donner la tâche de rechercher des personnes
qualifiées. Il choisit Mr Coster, d’Amsterdam, qui bien qu’ayant noté les
craintes exprimées dans le rapport de Tennant,
pensait que les dangers présentés par une retaille n’étaient en rien
insurmontables et n’empêchaient en rien le diamant d’être retravaillé. Un
petit atelier fut établi dans la boutique de Garrard
pendant que Messieurs Coster, Voorzanger et Fedder se rendaient à Londres pour retailler le diamant.
Dans
l’après-midi du 17 juillet 1852, le duc de Wellington, qui s’était
jusqu’alors montré très intéressé par la proposition de retaille du Koh-I-Noor et avait assisté à
plusieurs réunions de préparation, se rendit à cheval jusque chez Garrard, sur Panton Street. Le Koh-I-Noor était maculé de
plomb, à l’exception d’une petite partie de la pierre qui serait la première
à être soumise à l’opération de taille. Le Times publia ceci à ce
sujet :
‘Sa
Grâce plaça le diamant sur le disque de polissage, une pierre amovible
horizontale à la vélocité quasiment incalculable, grâce auquel l’angle exposé
fut limé par friction. La première facette de la nouvelle pierre avait été
effectuée. Le Koh-I-Noor
allait être transformé en un diamant ovale brillant, et il était prévu que
les deux plus petits diamants qui l’accompagnaient soient traités de la même
manière et montés sur des pendentifs. Le poids actuel de la pierre principale
est de 186 carats, et le processus de retaille tel qu’il est anticipé ici ne
devrait en rien altérer son poids mais simplement accroître sa valeur et
développer sa beauté’.
Un
rapport de taille qui a été tenu quotidiennement indique que le 19 juillet,
les tailleurs ont porté leur attention sur les défauts décelés par Tennant et Mitchell. Ils ont en effet noté que des
particules dorées étaient encore décelables. Ne sachant pas si l’inclusion
était d’origine naturelle, les tailleurs décidèrent d’étudier le diamant une
nouvelle fois, et changèrent la position de la pierre pour pouvoir tailler
directement en son cœur. Il fut révélé qu’il s’agissait d’une teinte jaune
naturelle, commune chez les pierres les plus petites. Deux semaines plus
tard, après avoir examiné la pierre, Mitchell découvrit que la pierre avait
perdu presque toute sa teinte jaune et était devenue bien plus blanche.
Le
processus de retaille du Koh-I-Noor
dura 38 jours et coûta 8.000 livres (40.000 dollars). Il donna naissance à un
diamant ovale brillant de 108,93 carats, ce qui signifie que 43% du poids
original du diamant ont été perdus. Il ne fait aucun doute qu’une telle
réduction de la taille du diamant en a déçu plus d’un, y compris le prince
Albert qui fit part sans ménagement de son opinion sur la question. Il fut
écrit que le modèle de taille sélectionné par les conseillers de la Reine est
responsable du plus gros de cette perte de poids, et que Mr Coster lui-même
aurait préféré conserver le diamant original. Dans la presse, il fut dit que
la taille du Koh-I-Noor
rappelait péniblement que l’art de la taille de diamants était décidément
éteint en Angleterre, et que même les taiulleurs de
Paris et d’Amsterdam avaient perud leur talent
d’autrefois. (Antwerp est aujourd’hui considérée
comme la capitale Européenne de la taille de diamants). La taille du Koh-I-Noor est ce que l’on apelle stellaire brillante : une couronne composée
de 33 facettes et un pavillon composé de 8 facettes de plus qu’un pavillon
standard qui n’en comporte que 25 (dont le culet,
que possédaient à l’époque presque tous les diamants de cette taille),
portant le nombre total de facettes à 66. Un certain nombre de diamants
célèbres sont taillés de la même manière, dont le Tiffany
Yellow, le Red Cross, le Star of
South Africa et le Wittelsbach,
entre autres.
L’une
des premières personnes à avoir pu observer le Koh-I-Noor sous sa nouvelle forme est Dhulip
Singh, qui vivait alors à Londres sous la tutelle de Lady Login – qui fut
nommée à son poste suite à la mort de son mari. Depuis son arrivée en
Angleterre, personne n’avait encore abordé le sujet avec le jeune maharajah
puisque tout le monde pensait que le diamant avait une signification
particulière à ses yeux, qui allait bien au-delà d’une simple pierre de
grande valeur. Mais l’occasion finit par se présenter. Lady Login fut
présente lors de la préparation du portait du jeune prince à Buckingham
Palace. La reine lui demanda si le jeune maharajah lui avait déjà parlé du Koh-I-Noor et, si oui, s’il
regrettait sa perte. Lady Login lui répondit qu’il n’avait jamais parlé du
diamant en sa présence depuis son arrivée en Angleterre, bien qu’il lui en
ait touché un mot en Inde, alors qu’il était lui-aussi intéressé par une
éventuelle retaille. La Reine demanda alors à Lady Login de proposer à Dhulip Singh s’il désirait voir la pierre sous sa
nouvelle forme ovale, offre qu’il accepta.
Dhulip Singh
Le
jour suivant, alors que devait se tenir la séance de portrait, la Reine, qui
avait eu vent de la réponde de Dhulip Singh, se
rendit auprès du maharajah, tenant dans sa main le Koh-I-Noor. Elle lui demanda s’il pensait que la beauté du
diamant avait été perfectionnée, et s’il l’aurait lui-même reconnu. Après
avoir terminé son inspection, Dhulip Singh marcha
jusqu’à l’autre bout de la pièce, et d’une légère révérence exprima à la
Reine le plaisir qu’est celui d’avoir eu l’opportunité mettre le diamant
entre ses mains.
Le
malaise autour de l’acquisition du Koh-I-Noor se prolongea en Angleterre : certaines
personnes considéraient qu’il n’était en rien la propriété de l’Angleterre
mais celle de Dhulip Singh, puisqu’il avait été
forcé d’en faire cadeau. Ce malaise est peut-être né de la présentation du
diamant par Dhulip Singh à la Reine. La nouvelle ne
tarda pas à atteindre Dalhousie, qui écrivit cette lettre le 26 août
1854 :
‘L’idée
que Dhulip Singh ait fait cadeau de son diamant à
la Reine n’est que tromperie. Il savait aussi bien qu’elle qu’il ne
s’agissait de rien de la sorte. Ces ‘beaux yeux’ par lesquels Dhulip a été fait un captif de la cour sont ceux de sa
mère – ceux avec lesquels elle avait captivé et contrôlé le vieux lion du Punjab. L’officier qui en a eu la charge depuis Lahore
jusqu’à Benares me l’a avoué. Il m’a dit qu’elle
possédait deux orbes splendides’.
Malheureusement,
les inquiétudes quant au mauvais augure que le Koh-I-Noor était supposé représenter pour son propriétaire
refusèrent de se dissiper, et poussèrent finalement Dalhounie
à écrire sa lettre la plus détaillée sur le sujet du diamant. Il rédigea
cette dernière alors qu’il rentrait chez lui depuis Malte, le 7 janvier
1858 :
‘Pour
ce qui est de la rumeur que vous avez mentionnée au sujet du Koh-I-Noor, j’en ai déjà
entendu parler au cours de ces dernières années dans les journaux Anglais,
mais nulle part ailleurs. Elle va non seulement à l’encontre des faits, mais
aussi des dires des natifs. Le Koh-I-Noor a-t-il causé du tort au
grand Akbar, qui l’a obtenu en Golconde ? A-t-il
causé du tort à son fils ou à son petit-fils ? Ou à Aurangzeb, qui finit
par devenir Grand Mogul ? Et lorsque cette
dynastie d’Empereur finit par tomber (non pas par la faute du Koh-I-Noor mais de sa propre
faiblesse), le diamant a-t-il causé du tort à Nadir
Shah, qui vécut pour devenir le plus grand conquérant Oriental de
l’Histoire ? Ou à Ahmed Shah Doorani, qui
l’obtint à la mort de Nadir et fonda l’Empire Afghan ? A-t-il porté malheur à Runjeet
Singh, qui l’obtint des Dooranis, et qui se vit
passer du rang d’ouvrir à vingt roupies le mois à Goojeranwalla
à celui de maharajah du Punjab et faire de son
Empire le plus puissant d’Inde après le nôtre ? A-t-il
causé du tort à la Reine ? Puisqu’il représente le Punjab,
a-t-il fait de cet état l’un de nos ennemis ?
N’a-t-il pas au contraire fait de lui notre allié,
grâce auquel nous avons pu nous débarasser des
traîtres en notre propre demeure ? Voici ce qu’est l’histoire du Koh-I-Noor. Lorsque Runjeet Singh le prit d’entre les mains de Shah Shoojah (l’Empereur Doorani),
il était très anxieux d’en connaître la vraie valeur. Il le présenta à des matchands d’Umritsir, qui lui
dirent qu’il leur était impossible de l’estimer en termes monétaires. Il
l’envoya ensuite à Begum Shah, la femme de Shoojah. Elle lui répondit ceci : ‘Si un homme fort
avait à prendre cinq pierre et les disperser, l’une à l’est et les autres à
l’ouest, au nord et au sud et la dernière dans les airs, et si l’espace entre
ces pierres était empli de joyaux et d’or, leur valeur ne serait pas
comparable à celle duy Koh-I-Noor’. Runjeet (pensant qu’il
s’agissait là d’une vague estimation), fit alors appel à Shah Shoojah. Le vieil homme lui dit : ‘La valeur du Koh-I-Noor réside en le fait
que celui qui le détient est victorieux contre ses ennemis’. Le Koh-I-Noor n’a causé du tort
qu’au peu de personnes qui l’ont perdu. Pour la longue lignée d’Empereurs, de
conquérants et de potentats qui au fil des siècles en ont été les
propriétaires, le diamant a été le symbole de victoire. Et ce ne peut qu’être
vrai pour la Reine depuis qu’elle a commencé à le porter… Bien que si Sa
Majesté le considère comme étant de mauvais augure, je me ferai une joie de
l’en débarasser’.
Peinture datant de 1842, par Francis
Xavier Winterhalter, représentant la Reine Victoria.
Winterhalter était célèbre pour ses
peintures de membres de la royauté, notalmment de
l’Impératrice Eugénie, l’Impératrice
Elizabeth d’Autriche et l’Impératrice
Maria Alexandrovna.
La
Reine Victoria ne retourna pas le Koh-I-Noor à Lord Dalhounie. En 1853,
Garrard fut chargé de le monter sur une magnifique
tiare sertie de plus de deux-mille diamants. Cinq ans plus tard, la Reine
Victoria ordonna la création d’une couronne royale pour le Koh-I-Noor, qui lui fut livrée
l’année suivante. En 1911, Garrard créa une
nouvelle couronne que la Reine Marie porta le jour de son couronnement :
elle ne contenait que des diamants, dont le Koh-I-Noor. En 1937, le diamant fut transféré sur la couronne
faite pour la Reine Elizabeth, créée sur le modèle de la couronne de la Reine
Victoria. Le Koh-I-Noor
est monté sur la croix maltaise qui se trouve à l’avant de la couronne.
Au
XXe siècle, une nouvelle controverse fit son apparition quant
Koh-I-Noor, concernant la
propriété de droit du diamant. Il ne serait pas peu charitable de suggérer
qu’en de nombreuses occasions, cette question n’a été soulevée que grâce aux
efforts d’hommes politiques inquiets de pouvoir se voler des électeurs les
uns aux autres, et non par des gens qu’elle intéressait réellement.
En
1947, le gouvernement Indien demanda à ce que lui soit retourné le Koh-I-Noor. Dans le même temps,
le Congrès d’Orissa décréta que la pierre appartenaît de droit au Dieu Jaganath,
malgré l’opinion du trésorier de Ranjit Singh qui pensait quant à lui qu’il
devait revenir à l’état. Une autre requête fut émise en 1953, l’année du
couronnement de la Reine Elizabeth II. Mais le conflit ne prit de l’ampleur
qu’en 1976, après que le premier ministre du Pakistan, Zulfikar
Ali Bhutto, dans une lettre au premier ministre James Callaghan, fit la
demande formelle du retour du diamant au Pakistan. Cette demande fut refusée,
mais accompagnée de l’assurance faite par Callaghan à Bhutto que la
Grande-Bretagne n’aurait considéré envoyer le diamant à aucun autre pays.
Selon des articles de l’époque, l’idée du gouvernement était que l’histoire
du diamant était si confuse que la Grande-Bretagne était parfaitement en
droit d’en réclamer le titre, dans la mesure où il n’avait pas été saisi par
la force mais lui avait été formellement offert – cette dernière affirmation
étant une interprétation curieuse des évènements qui se sont déroulés au XIXe
siècle. Souvenez-vous, l’offrande du Koh-I-Noor était l’un des termes du traité de Lahore. Personne
n’a vraiment eu le choix. La demande du Pakistan a été disputée par l’Inde,
qui elle aussi demanda formellement à ce que le diamant lui soit retourné.
Peu de temps après, un journal de Téhéran décréta que la pierre devait être
retournée à l’Iran.
Zulfikar Ali Bhutto (1928-1979)
Le
débat mené par les médias et la presse Britanniques ont prouvé de l’intérêt
que suscitait le sujet. Individus et groupes d’intérêts se sont empressés de
mettre leurs pensées par écrit. Lord Ballatrae,
arrière-petit-fils de Lord Dalhousie, demanda à ce que le diamant lui soit
remis sur le seul principe que l’un des membres de sa famille en avait été le
propriétaire pendant tout juste un an. Une autre personne écrivit que si le Koh-I-Noor devait être retourné
à son propriétaire de droit, alors les statues de marbres devraient être
remises à la Grèce ou à Lord Elgin, l’Isle of Man à Lord Delby
et les îles Anglo-Normandes à la France – il n’était pas certain de qui
devait être le propriétaire de l’Isle of Wright, mais savait que les îles
Britanniques pouvaient elles-même faire l’objet de
longues disputes. Un troisième auteur décréta que la seule manière de régler
le problème était de diviser la pierre…
Une
lettre écrite au Times par Sir Olaf Caroe ajouta
également de l’huile sur le feu. Il était un administrateur Britannique
distingué qui avait passé sa vie à servir en Orient et avait appartenu au
Ministère des Affaires Etrangères du gouvernement Indien entre 1939 et 1945.
Sir Olaf a mis l’accent sur le fait que le Koh-I-Noor avait été en la possession des Moguks
à Delhi pendant plus de 213 ans, et entre les mains des Afghans à Kandahar et
Kabul pendant 66 ans. L’année de l’écriture de sa lettre, le diamant se
trouvait entre les mains des Anglais depuis 127 ans. Il remarqua que lorsque
le diamant fut acquis par les Britanniques, il se trouvait à Lahore (qui fait
aujourd’hui partie du Pakistan), mais que d’autres potentiels propriétaires sde droit existaient également. Les Moguls
de Delhi étaient d’origine Turque et les souverains de Lahore étaient des
Sikhs. Selon lui, un ‘retour’ de la pierre à son propriétaire de droit
n’était pas réellement applicable.
Il
est historiquement difficile de ne pas juger la validité des demandes.
D’autre part, d’un point de vue gemmologique, la
demande de l’Inde est celle qui devrait se voir accorder le plus de valeur,
puisque c’est en Inde que le Koh-I-Noor a été découvert. En revanche, la demande de l’Inde
de se voir retrouner le diamant fut abandonnée par
un homme d’Etat du nom de Jawaharlal Nehru, premier Premier
Ministre de l’Inde Indépendante, et qui a dit ceci : ‘Les diamants sont
pour les Empereurs, et l’Inde n’a pas besoin d’Empereurs’.
En
1992, le HM Stationary Office publiait un rapport
sur les joyaux de la couronne Britannique, corrigeant le poids du Koh-I-Noor, qui n’est pas de
108,93 carats mais de 105,602 carats, contrairement à ce qui avait été
précédemment publié. La pierre mesure 36.00 × 31.90 × 13.04 mm. Elle est montée sur la croix maltaise située sur
l’avant de la couronne faite pour la Reine Mère et, en raison de
l’incertitude autour du poids précis de la pierre publié par le HMSO, la
pierre fut extraite de sa monture en 1988 à l’occasion de la maintenance de
la couronne par le bijoutier de la Cour, Mr Bill Summers,
de chez Garrard & Co. Elle fut pesée sur une
balance électronique en la présence de témoins.
Un dessin des facettes du Koh-I-Noor fait pas Herbert Tillander.
Ce modèle de taille est appelé
stellaire brillant en raison des facettes supplémentaires sur le pavillon de
la pierre.
Remerciements :
Ryan Thompson. Sources : The Great Diamonds
of the World par Edwin
Streeter, The Baburnama
par Babur, traduit en Anglais par Annette Beveridge en 1922, Akbarnama par Abul
Fazal, traduit en Anglais par Henry Beveridge, Voyages en Inde par
Jean Baptiste Tavernier, traduit en Anglais par Valentine Ball et William Crooke en 1925 archives du London Times.
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