Êtes-vous
un marxiste blanc ? Si vous ne comprenez pas la question, c'est
peut-être parce que vous n'avez pas lu cet
article publié par Sud Ouest en
décembre dernier, dans lequel Jean-Claude Guillebaud
renvoie dos à dos marxistes et libéraux. Une position
consensuelle qui en dit long sur les idées reçues concernant le
« néolibéralisme » et ce que
« devrait » être le rôle de l'État
dans l'économie.
L'expression
« marxistes blancs », pour commencer, confond le
lecteur plus qu'elle ne l'éclaire : l'oxymore a son charme, mais
passé l'effet de surprise, il est difficile de se représenter
la chose. Le marxisme de droite, le marxisme nationaliste, ce sont des choses
que nous pouvons imaginer pour en avoir fait l'expérience en Italie
(sous Mussolini), en Allemagne (sous Hitler) ou en Yougoslavie (sous Tito,
homme de droite selon le Kremlin). Il en est autrement du
« marxisme blanc » : impossible de
l'évoquer sans déformer la signification d'au moins un des deux
termes.
L'expression
apparaît encore plus bancale quand on sait ce qu'elle désigne
dans l'article de M. Guillebaud. Les
« marxistes blancs », ce sont ces
« néolibéraux » convaincus que le
libéralisme est une science dont les lois s'imposeront à tous.
Au marxisme rouge des soviétiques, qui prenaient leur doctrine pour
une science, répondrait ainsi le marxisme blanc des
néolibéraux, qui promettent eux aussi des lendemains qui
chantent, mais à travers le Marché.
On
avait déjà du mal à imaginer des marxistes blancs. On a
encore plus de mal à imaginer des marxistes blancs
néolibéraux...
Si
Jean-Claude Guillebaud affectionne tant cette
expression, c'est parce qu'elle lui permet de condamner pêle-mêle
marxistes et libéraux, au motif que les uns et les autres se
réclament de la science.
C'est
pourtant loin d'être aussi simple. Car contrairement aux marxistes, les
libéraux ne prétendent pas que l'Histoire va dans leur sens. Et
quand ils disent qu'on ne peut échapper à la mondialisation,
ils rappellent simplement que nul agent économique ne peut s'y opposer
sans en payer le prix – un prix que les promoteurs de la
« décroissance », à gauche, se disent
d’ailleurs prêts à payer.
De
plus, l'article ne fait pas la distinction entre pseudo-sciences
et convictions : or le fait que les
« néolibéraux » soient convaincus
d'être dans le vrai ne fait pas d'eux les héritiers du
matérialisme historique. M. Guillebaud a
lui-même des convictions sur la mondialisation, le réchauffement
climatique, l'humanité ou encore le « lien
social » menacé par un libéralisme jugé
dominant – il est donc bien placé pour le comprendre.
Enfin,
l'idée que l'on peut « piloter »
l'économie avec une exactitude scientifique est étrangère
à la philosophie libérale. En revanche, elle est
familière à ces gens qui prétendent remettre l'humain au
centre de l'économie en moralisant le capitalisme et la finance
mondiale. Or n'est-ce pas là le point commun le plus
évident entre la promesse du marxisme et celle des conceptions
vaguement socialisantes de l'économie dont M. Guillebaud
se fait d'ordinaire l'avocat ?
Car
à l'évidence, Jean-Claude Guillebaud
adresse au « néolibéralisme » une
critique qu'il ferait mieux de s'adresser à lui-même. Sans doute
oublie-t-il que le propre de l'interventionnisme est de prêter à
quelques hommes une connaissance de leur environnement suffisamment
poussée pour faire prendre une direction précise à
l'économie d'un pays entier. Si loin des libéraux, si proche
des soviétiques...
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