Le gouvernement indien tente
depuis quelques années, et par divers moyens, de réduire la demande de ses
citoyens en or. Les mesures adoptées s’intègrent dans un ensemble de politiques
établies par le gouvernement en vue de réprimer l’utilisation de devises sur
le marché noir, qui ont également inclus le retrait des billets de 500 et
1000 roupies de la circulation au début du mois de novembre. Au vu de ce qui
s’est passé en 1910, nous pouvons nous attendre à ce que ces décisions aient
des conséquences inattendues.
Croissance de la
demande indienne en bijoux en or et en argent. Thomson Reuters GFMS, Gold
2016 and Silver Survey 2016
L’amour des Indiens pour l’or a
posé pour leur pays de sérieux problèmes économiques. En 2011, la banque d’investissement
australienne Macquarie a estimé que les ménages indiens placent 78% de leur épargne
sur l'or.
Cela signifie que l’Inde dispose
aujourd’hui d’un système de double monnaie, dans le sens où les gens
préfèrent épargner en or qu’en roupies. C’est une situation unique parmi les
économies développées, qui me pousse à me demander comment réduire l’attrait
d’une population pour un métal précieux.
L’accumulation d’épargne sous
forme d’or plutôt que de dépôts bancaires impose un frein permanent à la
croissance indienne. La raison en est que l’épargne n’augmente pas les fonds
disponibles au prêt au sein de l’économie. L’une des raisons pour lesquelles
il est difficile de faire travailler cet or en tant que capital d’investissement
est que 79% de l’épargne en or prend la forme de bijoux plutôt que de barres
ou pièces.
L’Inde était le plus gros
consommateur d’or au monde en 2015 avec près de 700 tonnes, selon le GFMS Gold
Survey 2016. En revanche, elle produit moins de deux tonnes d’or par an.
Cela signifie que l’Inde doit importer 25 milliards de dollars d’or chaque
année, ce qui accroît son déficit de compte courant et réduit la valeur de sa
roupie.
En 2015, le Premier ministre
indien, Narendra Modi, a introduit une obligation souveraine sur l'or pour permettre aux
propriétaires de métal d’échanger leur or contre des obligations porteuses d’intérêts.
Après l’arrivée à maturité de ces obligations, les investisseurs peuvent
demander de récupérer de l’or physique dans des quantités égales aux réserves
qu’ils ont déposées. Les quantités d’or minimums nécessaires à une
participation à ce programme ont été fixées à 2 grammes. En novembre 2016, 14
tonnes d’or avaient été mobilisées dans le cadre des deux émissions d’obligations
sur l’or, et cinq tonnes supplémentaires avaient été collectées au travers
des autres programmes de monétisation du gouvernement (dont les dépôts
minimums ont été fixés à 30 grammes).
En revanche, parce que les
Indiens sont dits posséder 20.000 tonnes d’or, ces dépôts ne représentent que
de très petites quantités de métal, et ne semblent pas pour le moment représenter
de solution durable.
Conséquences inattendues
Une alternative pourrait être de
réduire les importations d’or indéfiniment. C’est à ces fins que le
gouvernement a commencé à rehausser les taxes d’importation sur l’or en 2013,
pour les porter à 6%. Elles s’élèvent aujourd’hui à 10%. En revanche, le
déclin du prix de l’or sur la période a entraîné une hausse de 12% des
importations d’or en 2015, les consommateurs ayant profité de ce qu’ils percevaient
comme une offre avantageuse.
Pour observer les conséquences
qu’ont pu avoir de telles politiques par le passé, il nous faut revenir un
siècle en arrière. L’Inde cherche en effet depuis un certain temps à réduire
les importations de métaux précieux. En 1910, le gouvernement indien a fait
passer les taxes d’importation sur l’argent de 5 à 11%. Un rapport de marché
publié en 1912 par Pixley & Abell a montré un déclin de 28% de la
demande en argent des Indiens dans les bazars du pays au cours des trois
années qui ont suivi cette hausse des taxes. Ce déclin de la demande a été
attribué non seulement à la hausse des taxes d’importation, mais aussi à la
substitution de l’or à l’argent dans l’épargne des citoyens, l’or étant
devenu plus intéressant sur une base relative.
Entre 1910 et 1930, les
importations d’argent nettes de l’Inde sont passées de 98 à 31 millions d’onces,
selon les rapports du British Geological Survey. L’Inde est, après cette
date, graduellement devenue le plus gros consommateur d’or au monde, avant d’être
dépassée par la Chine en 2015.
Il semblerait que les citoyens
indiens se tournent aujourd’hui de nouveau vers l’argent. Suite à la récente
hausse des taxes d’importation sur l’or, les importations d’argent de l’Inde
ont atteint près de 8.000 tonnes en 2015, soit 14% de plus qu’en 2014. La
demande en bijoux en or, qui représentent 75% de la demande en or des
Indiens, a perdu 30% entre septembre 2015 et septembre 2016, selon le
Conseil mondial de l’or. Voilà qui laisse supposer un possible retour de l’argent
en tant qu’investissement favori des Indiens.
L’or représente en Inde une
vaste majorité des ventes de bijoux. Mais la demande en bijoux en argent a
gagné 600% en dix ans, contre seulement 25% pour la demande en bijoux en or.
L’argent n’est bien évidemment
pas le seul métal d’investissement disponible. Les investisseurs à la
recherche d’une forme de capital plus compacte peuvent par exemple opter pour
le platine, dont le prix par once est 56 fois plus élevé que celui de l’argent.
Mais une transition vers l’argent, qui était la norme jusqu’à la première
guerre mondiale, semble plus probable. Elle pourrait avoir un très lourd
impact sur les prix. Pour vous donner une idée d’échelle, le marché des
bijoux en or de l’Inde représentait 25 milliards de dollars en 2015, alors
que le marché global des bijoux en argent n’était que de 3,5 milliards
de dollars.
Conclusion
Même une légère
transition de l’or vers l’argent entraînerait une forte hausse du prix de l’argent.
Une réallocation de 10% des investissements en bijoux en or sur les bijoux en
argent ferait doubler la demande globale en bijoux en argent. Les mines et
autres sources d’argent ne seraient pas capables de satisfaire immédiatement
cette hausse de la demande, et les prix grimperaient pour finalement
représenter un casse-tête supplémentaire pour ceux sui sont en charge de la
très atypique économie de l’Inde.