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Journée faste pour les banques

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Paul Jorion.
Published : June 26th, 2010
2032 words - Reading time : 5 - 8 minutes
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


En toile de fond du G20, la nouvelle phase de la crise américaine se précise, les Etats-Unis s’apprêtant à rejoindre l’Europe.

L’estimation de croissance de l’année est en baisse, passant de 3% à 2,7%. Une croissance du PIB bien trop insuffisante pour faire baisser le chômage. Le département du commerce a enregistré « une révision à la hausse des importations et une révision à la baisse des dépenses de consommation », des éléments négatifs qui ne sont que partiellement compensés par « une révision à la hausse des exportations et des variations de stocks des entreprises ». Qu’en sera-t-il dans les mois à venir ?

Alors que s’est révélé en Europe le mélange détonnant que représente la combinaison de la crise de la dette publique et de la fragilité du système bancaire privé, il se confirme qu’il n’y a plus de recours possible, les finances publiques ne pouvant plus être mises à contribution comme elles l’ont été. La balle est donc renvoyée aux marchés, qui ne savent pas quoi en faire si ce n’est encore accentuer les déséquilibres.

Barack Obama n’a pas tiré d’autre constatation, en ouverture des G8 et G20 : « Ce week-end à Toronto, j’espère que nous pourrons nous appuyer sur ces progrès en coordonnant nos efforts pour favoriser la croissance économique, continuer les réformes financières et renforcer l’économie mondiale. Nous devons agir de concert pour une raison simple : cette crise a prouvé – et les éléments continuent de le démontrer – que nos économies nationales sont inextricablement liées. Et la tourmente économique peut facilement se propager. »

Dans un tel contexte, que reste-t-il d’autre à faire qu’à chercher à gagner du temps et à masquer autant que faire se peut les divisions ? Tandis qu’au sein du FMI ou des banques centrales, ou de la Banque des règlements internationaux qui les chapeautent, des experts planchent sur des montages – que certains qualifieront d’échappatoires – encore à l’état d’ébauches.

On réfléchit ici à une restructuration mondiale de la dette publique, là à l’achat par le FMI de cette dette grâce à l’émission d’une nouvelle monnaie, ou bien encore ailleurs au rôle que pourraient jouer les banques centrales afin de relancer la titrisation et par conséquent l’endettement. Il faudra que la crise s’approfondisse davantage et connaisse à nouveau une phase aiguë pour que ces constructions sur le papier puissent mûrir et soient ouvertement envisagés.

Les dirigeants occidentaux sont à la recherche de remèdes miracles introuvables. Les Américains tentent sans succès de préserver des marges de croissance en obtenant la valorisation du yuan, tout en discutant avec les Européens dans l’espoir qu’ils ne s’enfonceront pas dans la dépression. Car ils savent que leur marché intérieur est structurellement sinistré et qu’il ne pourra plus jouer le rôle moteur qui était le sien auparavant.

Les Européens étalent de leur côté leurs divisions, chaque pays essayant avec les moyens du bord de tirer son épingle du jeu, les marchés les attendant au tournant. Enfin, les Japonais tentent de s’arrimer à la croissance asiatique mais doivent se préparer à rencontrer des difficultés inédites afin de financer leur dette. Selon le ministre des affaires intérieures japonais, les prix à la consommation (hors produits périssables) ont baissé en mai dernier de 1,2% sur un an, enregistrant un quinzième mois de recul d’affilée : pas de sortie en vue de la déflation.

Les crises financière et économique ne font plus qu’une, s’alimentant mutuellement. L’implosion du système financier se poursuit tandis que la crise économique s’approfondit et se généralise. Plus personne ne parle de sortie de crise, les issues étant bouchées. Vers où que l’on se tourne, les contradictions que l’on rencontre font obstacle à toute solution des problèmes soulevés.

Le pari qui a été tenté a échoué. Il était attendu du système financier qu’il se rétablisse et régénère, les banques centrales finançant la poursuite de leurs activités spéculatives sur des marchés laissés totalement dérégulés (à l’exception de quelques interdictions de vente à découvert), afin qu’il relance ensuite la machine économique. Cela n’est pas intervenu.

Nous sommes arrivés à l’heure du bilan : le système financier n’est pas réparé et reste d’une grande fragilité, l’économie occidentale est toute entière aux portes de la récession généralisée, les Etats n’ont plus les moyens de suppléer à l’initiative privée pour – sinon relancer – au moins tenir à bout de bras une économie dont le moteur principal, l’endettement, est en panne. Alors que se profile sur le marché des capitaux un très sérieux embouteillage, tellement il va être sollicité. Il n’y a pas de plan B.

Parallèlement, une sinistre comédie nous est jouée. Non pas celle du G20, à tout prendre plutôt un spectacle de Guignol, mais celle de la régulation financière. A l’arraché, des derniers compromis ont été passés au petit matin entre les 43 membres du Sénat et de la Chambre des représentants réunis en conférence, en vue de permettre à Barack Obama de promulguer la nouvelle loi pour le 4 juillet prochain (jour de l’Indépendance).

Au terme de marchandages peu glorieux et au finish, l’essentiel des contraintes précédemment apportées au cours des débats par les sénateurs ont été desserrées, une taxe bancaire plus importante que prévue étant en contre partie décidée (considérée comme la part du feu par les banques), afin de permettre aux élus de se présenter devant leurs électeurs avec quelque chose dans les mains.

Si on cherche confirmation de cette analyse, il ne faut pas s’en tenir au communiqué de l’Association des banques américaines, qui a exprimé l’inquiétude de banques régionales en profonde crise en s’opposant « fortement » au projet de loi finalisé, mais plutôt à la hausse immédiate des principales valeurs financières à Wall Street.

Comme a l’accoutumée, à défaut d’avoir toujours raison, les marchés savent discerner ce qui est dans leur intérêt. Il ne faut pas davantage se fier à la déclaration de Barack Obama, selon qui « nous sommes sur le point d’adopter la réforme financière la plus forte depuis celles que nous avons adoptées après la Grande dépression ». La question de savoir s’il a fait ce qu’il a pu ou voulu étant finalement secondaire en regard de la faiblesse du résultat.

Sans entrer dans tous les détails des mesures finalement adoptées (le projet de loi fait 1.600 pages), les reculs enregistrés sur les deux plus chauds dossiers, qui avaient été gardés pour la fin des négociations, donnent une idée de l’ensemble.

Les mégabanques, menacées de devoir totalement stopper leurs activités spéculatives sur fonds propres, ont obtenu de pouvoir y consacrer une partie de ceux-ci (pouvant à nouveau contrôler en propre des hedge funds), ce qui va leur éviter d’enregistrer l’importante baisse de leurs résultats qu’elles redoutaient.

L’interdiction d’intervenir sur le marché des produits dérivés – qui les a encore plus mobilisées – a par ailleurs été largement levée, leur laissant la possibilité de continuer à pratiquer les swaps de change et d’intérêt, deux marchés sur lesquels le principal de leur activité OTC (over the counter, de gré à gré) était concentrée.

A noter que l’argument utilisé dans ce dernier cas ne manque pas de sel : il valait mieux – a-t-il été doctement expliqué – laisser aux grandes banques (les petites n’y ayant pas de toute manière accès) la possibilité de trader sur ces marchés, car cette spéculation irait sinon renforcer le shadow banking, la finance de l’ombre. Un royaume où il est donc strictement impossible d’intervenir, si l’on en croit les plus hautes autorités financières et gouvernementales américaines.

Au final, le coeur du système spéculatif a été préservé, c’est ce qui sera ultérieurement retenu de cette loi, à propos de laquelle beaucoup de désinformation va être effectuée.

A remarquer également, pour la suite, que s’il est prévu que les produits dérivés standards (dont la définition laisse des blancs dans lesquels il sera toujours possible de se faufiler) devront utiliser les services de chambres de compensation – imposant de les enregistrer – ces chambres pourront avoir accès au guichet de financement de la Fed, en cas de besoin. Puisqu’elles concentreront le risque de contrepartie d’une manière inégalée… Une incontestable grande avancée dans le domaine de la régulation, comme on le pressent.

On apprenait également, dans le Financial Times, que d’autres accommodements importants, en faveur des banques, venaient d’être plus discrètement acceptés par le Comité de Bâle. Celui-ci est chargé de mettre en place la clé de voûte de l’édifice de la régulation : la réglementation visant à accroître la résistance de chacun de ses éléments. Dans la journée, il publiait un démenti. Dont acte, mais peut-on être pour autant convaincu ?

En discussion depuis décembre dernier, le projet du Comité prévoyait notamment la création de deux indicateurs de liquidité contraignants, l’un à court terme, l’autre à long terme. Depuis, les banques bataillaient ferme, afin d’obtenir un assouplissement de ces règles, au prétexte qu’elles aboutiraient à accroître leurs coûts et restreindre leurs capacités de prêt à l’économie (la rentabilité du capital étant préservée en priorité). En application des nouvelles règles proposées, elles présentaient une faramineuse addition – à régler par leurs soins – de 5.000 milliards d’euros, tandis que des analystes considéraient fort à propos que leur taux de rentabilité du capital, nouvelles règles et taxe gouvernementale confondues, chuterait de 20 à 5%.

Selon le journal britannique, le ratio à long terme – le plus pénalisant pour les banques – aurait donc été supprimé par le Comité de Bâle, qui n’aurait conservé que celui à court terme. Faudra-t-il attendre les 14 et 15 juillet prochains pour connaître le fin mot de l’histoire, à l’occasion de la présentation des conclusions lors de la prochaine réunion du Comité, ou bien encore le prochain G20 de Séoul, les 11 et 12 septembre prochains  ?

On sait, en tout cas, qu’un projet de texte sera présenté sans attendre au G20 de cette semaine (ce qui explique la fuite dont le Financial Times a bénéficié), mais il ne sera certainement pas rendu public. Quoi qu’il en soit, les valeurs financières britanniques étaient à la hausse à Londres, suite aux informations publiées dans la presse. Tout comme celles des banques américaines à Wall street, la journée étant faste en bonnes nouvelles.

La situation des banques britanniques mérite d’être relevée, afin de mieux estimer celle du système bancaire européen, au-delà de ses particularités nationales. Dans son dernier rapport, la Banque d’Angleterre a souligné la nécessité pour les banques de renforcer leurs fonds propres et leurs réserves de liquidité. Non seulement en raison des risques de contagion provenant des banques de la zone euro, elles-mêmes fragilisées, mais aussi parce qu’elles « doivent maintenir leur capacité de résistance au sein d’un environnement difficile, tout en refinançant d’importantes sommes ; elles ont un intérêt collectif à prêter suffisamment pour soutenir la reprise économique ; et elles devront augmenter progressivement leurs coussins de capitaux et de liquidités, pour se mettre en conformité avec des futures règles plus sévères ». C’est pourtant le contraire qu’elles cherchent à toute force de faire.

Sur l’un et l’autre de ces terrains, les lobbies bancaires ont donné au maximum de leur puissance, afin que l’essentiel – selon eux – soit préservé. Un second bilan peut donc aujourd’hui être dressé  : les mégabanques ont globalement eu gain de cause et sont parvenues à imposer des assouplissements au sort déjà modéré qui leur était promis. Les gouvernements, législateurs et autres régulateurs ont purement et simplement plié, et dénaturé leurs propres projets. Le reste n’est que mauvaise littérature.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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... le crime ne paye pas :-)
... c'est ce qu'on veut nous faire croire !!
le fait que le vote de loi enclenche une hausse des financières est signature du crime :-)
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... c'est ce qu'on veut nous faire croire !! Read more
DCH - 9/16/2010 at 8:45 AM GMT
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