Le mercredi 4 janvier 2012 sera le premier anniversaire
du suicide d’un vendeur de fruits tunisien appelé Mohamed Bouazizi. Son décès a inspiré une série
d’évènements qui seraient bientôt baptisés
« Printemps Arabe ».
À l'époque, ces actes de protestation ont
été décrits comme ayant des motifs principalement
politiques. Mais dans un récent article
pour le magazine Foreign Policy, l'économiste Hernando
de Soto a fait remarquer que ces mouvements mettaient également en
avant un ensemble très précis de revendications économiques.
Mohamed Bouazizi était
avant tout un entrepreneur incapable de faire son métier en raison de
l’irrespect des droits de propriété en Tunisie. Il était
ainsi constamment en conflit avec les titulaires de charges publiques et les
policiers locaux qui, eux, gagnaient leur vie en verbalisant et en exigeant
des pots de vin. Le 17 décembre 2010, des policiers ont saisi l’intégralité
de son stock de fruits, détruisant ainsi son entreprise. Le vendeur de
rue se dirigea alors vers les bureaux de l’autorité locale et s'immola
devant le bâtiment.
Des millions d’arabes se sont identifiés à Mohamed Bouazizi : comme lui, ils vivent au quotidien la
corruption des autorités de leur pays. Dans les mois qui suivirent, la
colère face à la corruption apparaît comme l'unique
thème qui a réuni l'ensemble des mouvements de protestation
à travers le monde arabe, que celle-ci prenne pour cible la fortune des
Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi. Les tunisiens francophones sophistiqués
et les paysans analphabètes égyptiens ne sont pas
d’accord sur ce que devrait être un régime politique
idéal mais tous ressentent que ni le racket quotidien des
autorités locales envers la société civile ni le
détournement de fonds publics vers des individus proches du pouvoir n’y
ont leur place.
L’année 2011 a montré qu’ils ne sont pas les seuls.
Des Tea Party aux Indignés,
de Occupy Wall Street aux révoltés
indiens de Hazare, des campagnes locales au
Brésil aux insurgés chinois de Wukan, des mouvements de contribuables en Grèce aux
manifestants de Moscou, le thème de la corruption est le plus petit
dénominateur commun de tous les mouvements de protestation qui ont
surgi depuis lors.
Bien que les deux dernières manifestations
moscovites aient eu lieu à la suite des élections parlementaires
truquées, les bases du mouvement sont plus anciennes et le bloggeur Alexeï
Navalny n’y est pas étranger.
Alexeï Navalny anime un
site Internet documentant la corruption locale en Russie et publie des photos
d’infrastructures publiques délabrées. Il analyse aussi les
activités des plus grandes entreprises de mèche avec le pouvoir.
Il conseille ses lecteurs dans leurs démarches juridiques au niveau
local. Son travail de recherche et de conseil, ainsi que sa transparence
quant à l’origine de ses fonds, lui ont donné une
crédibilité que les dirigeants politiques russes n’ont
plus. Le résultat ? Aujourd’hui en Russie, il devient
acceptable de critiquer le Kremlin.
En Inde, Anna Hazare, un militant non-violent de 74
ans à la tête d’un important mouvement social, a
utilisé la désobéissance civile et la grève de la
faim pour forcer le parlement indien à voter une loi anti-corruption
cette année.
La multiplication de ces mouvements de protestation
n’est pas un hasard.
Au-delà de la donnée démographique,
l’information se diffuse plus vite qu’hier et ce d’une
multitude de façons. Partout dans le monde, la possession d’un
téléphone mobile se répand parmi les plus pauvres, les
classes moyennes ont accès à Internet, tous ont la
télévision par satellite et les frontières sont ouvertes
aux flux de travailleurs, de réfugiés et de touristes. Les personnes
se tiennent davantage informées de l’action des dirigeants
politiques, peuvent discuter plus facilement de la corruption à
laquelle elles sont confrontées et des meilleures façons de la
combattre. Et elles le font en plus grand nombre, de plus en plus souvent.
2012 sera une année électorale.
Cinquante-neuf États – soit un tiers des 193 États
que compte le monde – organiseront des scrutins locaux, régionaux
ou nationaux cette année. Vingt-six d'entre eux sont susceptibles de
déboucher sur un changement de leadership
national. Ensemble, ces changements pourraient affecter 53% de la population
mondiale, représentant la moitié du PIB de la
planète. Beaucoup de ces changements pourraient avoir lieu au sein des
pays les plus puissants du monde : aux États-Unis, en Russie, en
France, en Chine (dans une moindre mesure), au Mexique, au Venezuela,
en Egypte, à Taiwan et au Kenya pour n’en citer que quelques-uns.
2011 a été l’année de la
colère face à la corruption de l’État.
2012 sera peut-être l’année où les oligarchies au
pouvoir seront démocratiquement fragilisées.
|