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En cette
période de débat électoraux, de slogans et de petites
phrases, il nous paraît salutaire de rappeler, avec les penseurs du
droit naturel, que la politique n’est pas le tout de la vie en
société. Elle n’est ni un commencement, ni une fin. Avant
la politique, il y a des individus qui s’associent pour rechercher leur
subsistance en même temps que leur bonheur. Et s’ils ont recours
à la force du gouvernement, c’est pour protéger ce qui
leur appartient : leur vie, leur liberté et leurs biens. Mais le
politique ne dispose pas de la propriété des individus, il est
à leur service.
Or c’est
précisément ce qu’affirme la théorie du droit
naturel. Elle affirme qu’il y a un contenu dans tout système
juridique qui ne dépend pas de la volonté du législateur
et qu’il y a donc des règles qui s’imposent au
législateur. Est dit de droit naturel ce qui est universellement
valide, en tout lieu et en tout temps. Est dit de droit positif ce qui est en
soi indifférent mais qui s’impose à tous par suite
d’un choix conventionnel et contingent.
Alain Sériaux, auteur d’un Que Sais-je sur le
sujet,
rappelle que « le
terme relativement récent de « droit »
n'appartient pas au vocabulaire des Anciens.
Chez eux, le droit se dit « le juste » : to dikaïon, en grec ; iustum, en latin. Aussi,
lorsqu'Aristote consacre le livre V de son Éthique à Nicomaque
à l'étude de la vertu de justice, c'est sans hésitation aucune qu'il lui donne le
« juste » pour
objet spécifique. Dix-sept siècles plus tard, Saint Thomas
d'Aquin, dans la Somme
Théologique, adoptera encore la même démarche : elle
est au cœur de la
pensée classique ».
Ainsi Aristote distingue entre un juste naturel et un juste positif
ou conventionnel :
« La
justice politique elle-même est de deux espèces, l'une
naturelle, l'autre légale. Est naturelle celle qui a partout la
même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion :
légale celle qui à l'origine peut être
indifféremment ceci ou cela, mais qui une fois établie,
s'impose : par exemple, que la rançon d'un prisonnier est d'une mine,
ou qu'on sacrifie une chèvre et non deux moutons, et en outre toute
les dispositions législatives portant sur des cas particuliers, comme
par exemple le sacrifice en l'honneur de Brasidas et les prescriptions prises sous formes de décrets ».
Il y a donc bien l'idée d'un juste naturel chez Aristote, la justice naturelle
étant celle qui a partout la même force et ne dépend pas de
telle ou telle opinion. Distinguer
entre le juste et l’injuste suppose un travail de la raison pour
découvrir ce qui est conforme ou non à la nature universelle de
l’homme dont la fin, le bonheur, exige la réalisation de
certaines dispositions de l’âme, elles-mêmes naturelles et
universelles.
Dans la
pensée grecque, est naturel ce qui correspond à la croissance
normale d’un organisme vivant. Tout être vivant a une
finalité interne. Quand la croissance est atteinte, cette
finalité interne est atteinte. Or il y a une dimension
téléologique dans l’existence humaine. Il y a même
une pluralité de fins qu’on peut hiérarchiser : la
conservation de la vie, le bonheur, la liberté, la justice.
C’est aussi ce qu’on appelle les biens fondamentaux.
L’expression
« droits de l’homme »,
à laquelle se rallient beaucoup de juristes, souscrit implicitement
à l’idée d’un droit naturel car elle vise les
droits liés avant toute législation positive à
l’humanité même de l’homme. Sans cette norme morale
supérieure, il n’y aurait plus d’instance critique capable
d’interpréter et de mettre en question l’ordre juridique.
Cette
idée rappelle que le Prince (tout comme les présidents actuels)
ne dispose pas de la justice elle-même mais qu’il est
lui-même soumis à une loi qui le dépasse et doit
réguler son jugement. Le droit positif pose l’ordre du juste
politique, mais ne dispose pas de la justice elle-même. S’il
n’y a que le droit positif, dit Aristote, Créon aura toujours
raison, même quand il a tort. Mais si nous maintenons
l’idée régulatrice d’un droit naturel, Antigone
pourra se dresser le moment venu et invoquer contre une loi injuste, le droit
supérieur de la loi non écrite.
La politique,
dans la pensée d’Aristote, ne peut donc être
séparée de la morale. Ainsi, selon Aristote « la fin
de la Politique sera le bien proprement humain. » (Éthique
à Nicomaque, L.I, ch.1) La
question : « Comment dois-je vivre ? » se
prolonge dans la question : « Comment la cité
doit-elle être gouvernée ? ». En effet, dit en
substance Aristote dans Les Politiques,
l’homme ne peut s’accomplir pleinement que dans une vie en
société, par la coopération et l’amitié. La
morale conduit à la politique et la politique a une fin morale.
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