Craignant que la folie des taux d’intérêt négatifs ne
gagne aussi la gestion de leurs comptes de dépôt personnels, les épargnants
nippons sont de plus en plus nombreux à retirer leur argent des banques pour
le conserver chez eux dans un coffre-fort tout neuf.
L’histoire se répète. Déjà en 1998, alors que l’Asie traversait
une grave crise économique (dont elle ne s’est d’ailleurs jamais
vraiment remise), les Japonais s’étaient rués en masse chez les vendeurs de
coffres-forts qui avaient vu leurs chiffres d’affaires doubler d’un mois sur
l’autre. À l’époque, c’était surtout le risque de défaut des banques qui
faisaient craindre aux habitants de l’archipel de voir disparaître leurs
économies.
Cette fois, le boom des ventes de coffres est plus simplement une
conséquence inattendue de la politique de taux négatifs engagée il y a quelques semaines
par la BoJ (Bank of Japan). En effet, devant l’érosion probable de leurs
propres réserves, plusieurs grandes banques commerciales nippones semblent
bien décidées à en répercuter le coût sur leurs clients. Notez bien que le
contraire aurait été bien plus étonnant…
Profitons-en pour relever au passage une anecdote amusante que l’on doit à
l’un des journaux économiques les mieux établis dans le paysage français, à
savoir Les Échos. En effet, le prestigieux quotidien n’a pas
hésité à annoncer que la Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ aurait baissé son taux annuel
de rémunération sur les dépôts de 0,020% à 0,001% pour, justement, tenir
compte de la dernière bonne idée de la BoJ. Sauf que, s’il est vrai que cette
banque a bel et bien fait passer son taux de rémunération des comptes de
dépôt de 0.02 à 0.001% par an… elle l’a fait il y a environ 14 ans, en avril 2002 ! Et il s’agissait alors de compenser
l’augmentation des primes d’assurance des dépôts.
Comme quoi, les errements dans lesquels se noient les banques centrales
depuis une quinzaine d’années se ressemblent tellement que même les plus
grands en viennent à prendre les effets d’une crise pour ceux d’une autre.
Et les coffres-forts dans tout ça, vous demandez-vous ? C’est simple,
n’ayant plus confiance dans le système bancaire depuis un moment déjà, les
Japonais restent relativement sourds aux appels au calme de leurs autorités,
et ils redoutent surtout que leurs propres comptes de dépôt soient
désormais eux-aussi frappés de taux d’intérêt négatifs. Au mieux,
ils pressentent une forte hausse des frais bancaires, en particulier sur les
retraits, car ils supposent (à juste titre) que les banques n’auront surement
pas envie de se défaire de leurs liquidités au moment où elles en ont le plus
besoin.
Alors, pour prendre de vitesse ces éventuelles futures restrictions, les
particuliers retirent tout ce qu’ils peuvent et stockent tout
simplement des liasses de billets chez eux. Et c’est là
qu’interviennent les marchands de coffres-forts, car outre la criminalité qui
a nettement progressé ces vingt dernières années, les Japonais craignent
également les catastrophes naturelles relativement fréquentes sur l’archipel,
qu’il s’agisse de séismes ou d’éruptions volcaniques, susceptibles de raser
des villes entières comme ce fut le cas à Kobe en 1995.
Évidemment, le gouvernement et même la BoJ sont assez contrariés par cet
engouement soudain pour la thésaurisation domestique des particuliers
nippons, car ils avaient plutôt espéré que la peur de perdre leur argent
« non-investi » allait inciter les épargnants à le déplacer
vers des placements un peu plus risqués, comme la bourse par exemple.
Laquelle en a bien besoin : l’indice Nikkei a perdu plus de 15%
depuis le début de l’année.
Mais les Japonais ont également perdu toute confiance envers le marché des
actions qui a ruiné plus d’une famille à la fin des années 1990 et dont les
séquelles perdurent encore aujourd’hui. Et même si on annonçait une entrée en
bourse des fabricants de coffres-forts, il est peu probable que les
particuliers retrouvent le chemin des salles de cotation avant un bon moment
encore.