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Ce système est son pire ennemi

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Published : July 04th, 2012
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Category : Editorials

 

 

 

 

Au petit jeu de qui a gagné et qui a perdu, que penser en fin de compte du dernier Conseil Européen ? Les commentaires vont dans tous les sens : les uns mettent en avant la reculade du gouvernement allemand, qui rétorque pour sa part que l’essentiel de sa position a été préservé, les autres félicitent Mario Monti pour son habilité manœuvrière, tandis que les Français clament que l’Europe est le seul vainqueur, jouant la magnanimité du vainqueur et accréditant l’idée que les Allemands ont cédé. Tout le monde tire la couverture à son avantage, comment s’y retrouver ?


1. Si du mou est donné, la stratégie de base reste inchangée, symbolisée par un traité de discipline budgétaire dont elle est le socle. François Hollande a annoncé en proposer la ratification au parlement en levant ses réserves. Priorité est toujours donnée au désendettement des États, rien de ce côté n’a changé. Parallèlement, et pour si possible profiter du mou, une file d’attente est déjà constituée, composée des Espagnols et des Italiens, mais aussi des Grecs, des Irlandais et des Portugais. Il y a du monde et du pain sur la planche ! La question va être d’éviter que la brèche qui a été ouverte ne s’élargisse trop, avec comme sanction que les fonds du FESF et du MES ne seront plus suffisants. On travaille à un mécanisme assurantiel destiné à les accroître, à titre de précaution.


2. Après le retour à la vertu budgétaire, la protection des générations à venir et la relance de la croissance, une nouvelle opération de diversion a été lancée, à l’abri de laquelle le désendettement va se poursuivre à un rythme qui doit encore être précisé. La construction incomplète de l’Europe serait à l’origine de la crise et il faut y remédier. L’union est en quatre volets, le maître-mot de cette avancée dont la mise au point est loin d’être achevée, au vu des désaccords qui persistent, sur lesquels les ministres de l’Eurogroupe vont commencer à se pencher le 9 juillet prochain. Le chaud et le froid vont souffler sur les marchés, ce qui a déjà commencé. Tout l’enjeu est de ne pas s’engager sur une voie nécessitant l’emploi de la procédure lourde d’une révision des traités et d’impliquer le minimum de ratification démocratique. Il est peu vraisemblable à ce propos que la voie référendaire sera privilégiée…


3. Du temps est donné au désendettement, grâce à des dispositifs de refinancement qui, pour l’essentiel, reposent sur les États et la BCE, dont ils sont les actionnaires. Avec l’idée qu’il suffira de rallonger le calendrier pour que finalement tout rentre dans l’ordre, et sans s’appesantir sur les délais. Mais est-ce si sûr ?


Le nouveau dispositif élude une question dérangeante et soigneusement mise de côté : le système financier peut-il être réparé et à quel prix ? Or, ce que l’on observe de ce côté-là a de quoi faire réfléchir. Tous les signes d’une crise de défiance qui se diffuse au lieu de se résorber sont visibles, un comble dans un monde qui se réclame de la confiance et qui n’a de cesse de vouloir en créer les conditions quand elle faiblit. A contempler la scène du crime, ces dernières ne sont pourtant pas au rendez-vous.


Voyons un peu. Les banques européennes continuent à ne plus se faire confiance entre elles, avec pour conséquence un marché interbancaire marchant dans les bons jours sur trois pattes, la quatrième étant la BCE. Les fonds monétaires américains ne leur font pas non plus confiance, diminuant à l’occasion leur exposition en dollar et la BCE se substituant à eux pour fournir aux banques des dollars grâce à des accords de swap avec la Fed. Le marché ne fonctionne plus comme il faudrait.


Les mêmes banques n’ont pas davantage confiance dans le remboursement de leurs créances sur les États, échaudées par la restructuration de la dette grecque et se demandant s’il va être possible de s’en tenir à cette unique opération. Les incertitudes nouvelles du marché obligataire fragilisent à court terme ce point d’appui financier de toujours et créent à son sujet une grande incertitude pour le plus long terme, y compris s’agissant des valeurs refuge d’aujourd’hui, américaine, japonaise, britannique et allemande. Les investisseurs rendent bien la pareille aux banques, qui ont fait dégringoler comme jamais vu leur capitalisation boursière, exprimant pour le moins une forte défiance à leur égard.


Enfin, deux récents épisodes ont fait tilt. Les pertes de J.P. Morgan Chase, non pas parce que la banque s’est coincé les doigts dans la porte, mais en raison de son incapacité à mesurer le risque, un savoir-faire qu’elle avait soi-disant porté à l’excellence. Or, une bonne appréciation du risque est à la source de la confiance. Si la première se révèle trop complexe, la seconde disparait. C’est aussi ce qui explique que les banques se méfient les unes des autres, connaissant les artifices qu’elles utilisent pour se présenter sous un jour avenant, perturbant et rendant impossible l’analyse du risque de leurs contreparties.


Les manipulations du Libor, de l’Euribor et du Tibor ont ensuite sonné comme une nouvelle alarme encore plus stridente. Si ces indices qui sont à la base de très nombreuses transactions financières ne sont plus fiables, comment leur redonner une crédibilité perdue pour que le système se remette à fonctionner correctement ? « Je n’ai pas souvenir d’une tromperie d’une telle envergure » a déclaré Andrew Tyrie, le président de la commission du Trésor britannique qui va entendre Bob Diamond, le directeur général de Barclays. La City est en émoi tandis que l’enquête suit son cours de par le monde.


On n’en finirait pas d’énumérer les symptômes, y compris en pénétrant profond dans les arcanes du système financier, par exemple en évoquant les problèmes de pénurie ou de qualité du collatéral apporté en garantie de leurs emprunts par les intervenants. Celui-ci est devenu un champ de mines et le risque systémique sa seconde nature. Les engagements et expositions réciproques des uns et des autres reposent sur une confiance précaire, continuant de menacer l’équilibre de l’ensemble d’une manière plus ou moins souterraine. À cela, une raison de fond : la montagne de dettes de toute nature repose, pour qu’elles puissent être honorées, sur les résultats d’une croissance trop faible – pour autant que celle-ci veuille bien se manifester. Il se confirme que le système financier est son pire ennemi, constituant le moteur-même de sa propre crise.


Les autorités européennes ont adopté une conduite de banquier : elles allongent la durée des plans de remboursement pour ne pas devoir constater les pertes. Mais vient le jour où cela cesse d’être possible vu l’état actuel du système financier. Si cela devait intervenir, ce serait alors à son échelle un grand saut dans l’inconnu, mettant ses défenseurs acharnés à égalité avec ceux qui estiment qu’il a fait son temps, mais qui n’ont pas pour autant de solution de rechange sur étagère.



Billet rédigé par François Leclerc


Son livre, Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître


Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.



 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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