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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Nous
en étions hier au doute, qui apparaissait au sein de l’establishment.
A celui qui se manifeste de plus en plus dans des déclarations
d’hommes importants, car dans la tête de ceux qui le sont moins,
c’est plutôt une certitude qui semblerait s’être
installée, pour s’en tenir aux apparences : on ne peut rien y faire
! Les deux résultant de l’étonnant et quasi
incompréhensible spectacle qu’offrent les mégabanques,
ainsi que leurs plus illustres mandataires, paradant comme ces
généraux d’antan sur les champs de bataille encore
fumants. Impudiques ou inconscients ?
Le
propre du doute, comment chacun sait, est de s’insinuer, de saper les
convictions les plus établies. Dans le cas présent, il butte
sur une question sans réponse : quoi faire ? Deux conceptions
s’opposent à ce sujet dans l’intelligentsia de la finance
: le colmatage et le démantèlement. La première, qui
donne largement le ton, projette d’adopter des mesures
réglementaires, encore très floues, au prétexte de mieux
prévoir le nouveau sinistre, reconnu implicitement comme
inévitable (si ce n’est dans la nature même des choses),
afin de diminuer son ampleur. La seconde, fortement minoritaire,
considère que cet exercice est illusoire et qu’il n’y a
d’autre ressource que de radicalement restructurer le système
financier, en l’occurrence en séparant le diable du bon Dieu, la
banque d’investissement de celle de dépôt.
Aussi
méritoire soit-elle (et signe que cette crise n’a pas fini de
produire ses effets dans les esprits), cette nouvelle prise de conscience a
le grand défaut de rechercher dans le passé une solution dont
l’application ne résoudrait pas dans sa totalité le
problème. De préconiser une sorte de marche arrière en
revenant sur le concept de banque universelle (faisant tous les
métiers de la banque), qui s’est désormais imposé.
Ce qui n’est pas en soi un obstacle, mais revient à vouloir
faire la part du feu et à ignorer qu’en cas de crise,
c’est en réalité toute la forêt qui flambe, comme
on le constate ! Les deux remèdes sont donc tout aussi illusoires
l’un que l’autre.
Les grandes
têtes de chapitre de la réforme du capitalisme financier sont
dûment répertoriées par ceux qui s’emploient
à y procéder : hedge funds, produits dérivés, centres non
coopératifs (paradis fiscaux). Ces derniers ont déjà
donné lieu à un simulacre de mise en ordre, tandis que
l’actualité donne quotidiennement toutes les raisons de penser
que les autres connaîtront le même destin, si la tendance
actuelle se poursuit. Le point principal de blocage est identifié,
c’est le Congrès des Etats-Unis d’Amérique. Sur
lequel prennent appui et dans lequel fondent leurs espoirs tous ceux qui
veulent limiter, de leur point de vue, les dégâts. En mettant en
garde les institutions communautaires à propos de la
réglementation des hedge funds, qui
aurait pour conséquence de faire émigrer ceux-ci vers des cieux
plus cléments, la BCE vient ainsi de donner une parfaite illustration
de ce qui est en train de se passer. A la manière de tout
système, dont la performance finale est donnée par celle du
moins performant de ses éléments, la réforme
financière s’achemine sur une ligne de moindre efficacité
globale, les mesures les plus laxistes faisant nécessairement loi. Un
mot revient de plus en plus dans les commentaires de la presse
américaine, dans sa couverture des débats du Congrès sur
la réforme de la régulation financière : loophole, faille, dont la traduction
littérale par trou rend mal compte du caractère
détournement ou de contournement de ce dernier. Sans doute, pour mieux
la cerner, faut-il se rappeler que to find a loophole signifie trouver une échappatoire !
Martin
Wolf, chroniqueur au Financial Times, n’arrête pas de surprendre,
ayant rejoint depuis déjà longtemps les rangs de ceux qui
doutent. Il n’en est même plus là, exposant
régulièrement son profond scepticisme quand à la
portée des mesures de régulation qui seront prises, ou
plutôt qui ne le sont pas ! Son dernier papier intitulé :
« Pourquoi est-il si difficile de mettre un frein à la finance ? » mérite de
s’y arrêter. Son raisonnement est simple. Regrettant que la
solution dite de démantèlement n’en soit pas une (car il
considère que la ligne de frontière est plus que
malaisée à tracer), il ne cherche pas en tirer argument pour
dire qu’il n’y a rien à faire, afin que « la
finance devienne sûre ». Mais cet objectif supposerait, pour
y parvenir à coup sur, d’être selon lui « bien
plus radical ». Les dépôts devraient être
couverts à 100% par les réserves des banques, et les
engagements évalués en permanence au prix du marché.
Autant dire, remarque-t-il, que l’activité bancaire
disparaîtrait !
Ne
pouvant se résoudre à cette éventualité, Martin
Wolf s’efforce de dessiner, « d’une manière
plus subtile » s’accorde-t-il, les contours d’une
solution possible. A commencer par « l’adoption d’un
ensemble de lois et la création d’institutions qui rendraient
possible de mettre en faillite toute institution, même en cas de
crise », pour poursuivre avec quatre autres mesures :
« rendre les institutions financières plus sûres en
demandant une plus grande couverture en capital pour toutes les
activités », « empêcher les
activités hors-bilan », « imposer des provisions
dynamiques » et enfin « exiger un énorme coussin
de fonds propres ». Avec ce qui est actuellement prévu,
nous sommes loin du compte, mais nous resterions néanmoins dans
l’optique du colmatage. Sauf qu’il est ensuite ajouté
à cette liste initiale de mesures qu’il faudrait
également « cesser de favoriser dans toute
l’économie les activités financières reposant sur
la dette », afin de conclure :
« Tant que nous permettons aux gens de faire des paris à effet
de levier sur l’avenir, des effondrements se produiront. »
Ce dernier point de vue, au final, est tout aussi radical, si on veut bien en
considérer toutes les conséquences ! Car il impliquerait
notamment l’interdiction des paris relatifs à
l’évolution d’un prix, prônés par Paul !
Parallèlement
au débat sur le démantèlement, qui va à
n’en pas se douter se poursuivre, une autre mesure suit sous les
fortunes les plus diverses son petit bonhomme de chemin. Il s’agit du
dossier de plus en plus à tiroir de la taxe sur les activités
financières. Il a fallu une conférence organisée ce jour
vendredi à Chatham, par la Federal Reserve
de Boston, pour que Ben Bernanke, le
président de la Fed (un homme qui ne doute pas), y apporte sa
contribution pour le moins inattendue. Il a en effet estimé à
cette occasion qu’une taxation des établissements financiers
était nécessaire afin d’instituer un mécanisme de
règlement en cas de faillite et de démantèlement
ordonné de grands établissements financiers. Celui-ci devant
selon lui entraîner des pertes pour les actionnaires et les
créanciers et faire appel à des fonds qui ne pourront provenir
que du secteur financier lui-même, et non des contribuables.
C’est en quelque sorte la reproduction à plus grande
échelle du financement de la FDIC, cet organisme qui garantit les
dépôts et qui a géré dans la dernière
période les faillites de 98 banques régionales, en attendant
d’autres qui vont intervenir. Car la FDIC est financée –
difficilement par les temps qui courent – par les banques elle-mêmes, ce qui représente dans les faits
une mutualisation du risque (tant qu’elle sera possible, ce qui
n’est pas garanti).
Cette
annonce, dont on jugera mieux de sa portée effective quand elle sera
concrétisée, illustre les tensions grandissantes qui traversent
aux Etats-Unis le débat à propos de la régulation
financière, dans un contexte où les mégabanques
agissent comme si tout leur était dû et allait continuer
à leur être permis. Concernant les entreprises
financières les plus importantes, dont la faillite pourrait mettre en
péril l’ensemble du système financier, le
président de la Fed a également proposé qu’il leur
soit imposé de disposer de contingent capital, des fonds
à disposition en cas de circonstances
prédéterminées, afin d’accroître les fonds
propres, et pour lesquels un « loyer » serait
payé. Une rustine de plus sur le sarcophage, tandis que d’autres
s’acharnent à y faire des trous.
Toutes
ces propositions, ces débats et même ces polémiques,
témoignent à la fois d’une grande confusion et d’un
réel malaise devant l’avenir. Celui-ci est appelé
à croître, non seulement en raison de l’attitude des
banques, mais également au fur et à mesure que va continuer de
se révéler l’ampleur du désastre qu’elles
ont causé. La France, l’Allemagne ou le Japon se targuent certes
d’être sortis de la récession, mais de sérieux
doutes subsistent sur la pérennité de leur
rétablissement, qui s’appuie sur des plans de relance publics.
Les Etats-Unis n’échapperont pas à de nouvelles mesures
de relance et d’aide sociale, quand bien même elles
n’apparaîtront pas sous la forme d’un plan
d’ensemble. L’économie britannique entre dans son
sixième trimestre successif de récession reconnue. On
s’attend à ce que la Banque d’Angleterre poursuive
au-delà de novembre son programme d’achat d’actifs aux
banques, déjà d’un montant de 185 milliards
d’euros, alors que la livre sterling accuse encore plus le coup. En
Chine, présentée il y a encore peu comme le point d’appui
d’un nouveau départ, les élèves
s’apprêtent à rejoindre leur maître et, après
avoir constitué leur propre bulle financière, s’engagent
dans le périlleux apprentissage de la titrisation afin de soulager le
bilan de leurs banques qui ont prêté à tout-va.
Les
problèmes rencontrés sont aujourd’hui sans solution et
nous sommes en suspens. Dominique Strauss-Kahn, directeur
général du FMI, ne dit pas autre chose quand il déclare
ce jour vendredi : « Le soutien à la demande reste
nécessaire aussi longtemps que la demande privée n’est
pas suffisante pour prendre le relais ». Mettant les points sur
les « i », il précise qu’il ne devra
cesser que lorsque la certitude sera acquise que « le redressement
est assuré, ce qui signifiera un début de recul du
chômage ». Considérant, enfin, qu’environ un an
s’écoule entre le retour à la croissance et
l’amélioration de l’emploi.
*Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues présentées
par Paul Jorion sont les siennes et peuvent
évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise
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présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser
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