Pour être aimable, on pourrait dire que le seul mérite de l’euro
est d’être parvenu à survivre jusqu’à son 20e anniversaire, qu’il fête en ce
mois de janvier. Ce n’est pas vraiment un exploit.
Pour le reste, l’union monétaire est un échec du point de vue économique
et politique. Pour preuve, cette « décennie perdue »
européenne n’a été possible que grâce à la mise en place d’un césaropapisme
technocrate. Autrement dit, en retirant aux parlements élus leur contrôle sur
la fiscalité, les dépenses et les politiques économiques clés des nations.
« Un jour, le château de cartes va s’effondrer », a
déclaré le professeur Ottmar Issing, premier économiste en chef de la BCE et
prophète assagi du projet de l’euro.
La London School of Economics a rassemblé toute une série d’études
réalisées par des personnes éclairées d’Europe et des États-Unis, à
l’occasion de cet anniversaire. Mark Copelovitch, Jeffry Frieden et Stefanie
Walter n’y vont pas avec le dos de la cuillère dans le prologue. La saga
calamiteuse de l’union monétaire a débouché sur la « crise
économique la plus sérieuse de l’histoire de l’Union européenne ».
Elle a occasionné « davantage de dégâts durables » à
l’Europe que la Grande dépression des années 30. Elle a monté les pays de la
zone euro les uns contre les autres dans un combat amer pour le contrôle des
leviers décisionnels.
Les dynamiques politiques sont devenues malsaines. Des années de crise qui
n’en finissent pas « ont enraciné et augmenté le pouvoir et
l’influence des pays créditeurs tels que l’Allemagne », à travers
la BCE et le Conseil européen.
Autrement dit, les organismes européens sont devenus des agents de
recouvrement pour les pays créditeurs du bloc, les exécutants de la stratégie
de déflation de la dette et de contraction fiscale imposée par l’Allemagne.
Le fardeau de l’adaptation repose sur les États les plus faibles, ce qui
engendre une tendance à la contraction sur l’ensemble. La fraternité Nobel a
observé cette manifestation d’illettrisme prémoderne et prékeynésienne avec
un mélange de désespoir et d’horreur.
Pourtant, rien ne change. Pas de mea culpa, d’admission de la réalité ou
de réconciliation pour examiner le désastre que l’on a permis de se
développer. Ceux qui contrôlent l’appareil européen pensent qu’ils ont
toujours raison. L’idéologie est plus forte que tout.
Le papier de la LSE affirme que les leaders européens ont répondu à chaque
problème avec des demi-mesures juste suffisantes pour empêcher l’effondrement
de l’union monétaire, sans s’attaquer au problème de base d’une monnaie
orpheline d’une union fiscale qui l’appuierait. « Il est clair que
le statu quo ne pourra pas se poursuivre indéfiniment si l’euro veut survivre
à long terme », peut-on y lire.
Selon moi, le Brexit est une conséquence directe du spectacle désolant
offert par l’Union européenne entre 2010 et 2015. Il a profondément remis en
question le prestige moral de l’UE, sa soi-disant compétence économique a été
démentie.
Tandis que les leaders européens ergotent sur des décimales et le
remboursement de la dette, le chômage des jeunes a atteint 57 % en Grèce, 56
% en Espagne, et plus ou moins la même chose dans le sud de l’Italie. Il y a
peu encore, ces niveaux étaient impensables dans une démocratie moderne. Ils
ont provoqué un désastre d’hystérésis du travail qui va entraver la
croissance durant une génération.
Plusieurs centaines de milliers de réfugiés économiques des zones les
plus touchées de l’union monétaire sont venues en Grande-Bretagne pour
travailler. Une nouvelle vague d’Europe de l’Est est arrivée, vague qui
aurait pris la direction de la zone euro en temps normal. (…)
De façon plus subtile, la crise de la zone euro a révélé que les
pathologies de l’union monétaire ne peuvent être gérées de façon
démocratique. Les Premiers ministres élus de la Grèce et de l’Italie furent
congédiés en 2010 pour être remplacés par des fonctionnaires européens à
l’occasion de coups d’État feutrés organisés par Bruxelles et les intérêts
pro-européens des pays en question.
La BCE a coupé le robinet des liquidités aux banques grecques en 2015,
provoquant ainsi sciemment (peut-être illégalement) un effondrement bancaire
difficilement compatible avec le mandat de stabilité financière de la BCE. En
cas de problème, c’est tout de suite l’autoritarisme. Cela en dit long sur
l’essence de l’Union européenne. C’est pourquoi j’ai voté en faveur du
Brexit.
Selon la LSE, la crise européenne était prévisible, largement attendue
d’ailleurs. Elle fut l’écho des nombreux épisodes que l’on a connus en
Amérique latine, en Asie de l’Est et sur d’autres marchés émergents qui
avaient emprunté massivement en dollars, soit une monnaie qu’ils ne peuvent
émettre. (…) Les élites européennes n’ont pas compris qu’un système de taux
de change fixe, en l’absence d’une union fiscale totale, fait basculer le
risque de change vers le risque de défaut. (…) L’illusion du caractère sans
risque d’une union monétaire a mené à des bulles épiques qui ont été empirées
par un taux d’intérêt unique défini par les besoins de l’Allemagne lorsque
celle-ci était en difficulté.
Lorsque la tempête s’est déclarée, l’axe Berlin-Francfort-Bruxelles a
tenté de faire croire que la crise avait été provoquée par les dépenses
inconsidérées du Sud alors qu’il s’agissait en fait d’une crise bancaire et
de flux des capitaux. (…) C’était et c’est une explication bidon, à part pour
la Grèce sous la Nouvelle Démocratie, mais cela faisait bien l’affaire des
créditeurs du Nord. Selon le professeur Issing, le sauvetage de la Grèce en
2010 fut en fait celui des banques françaises et allemandes. Le FMI a
d’ailleurs admis que le pays a été sacrifié sur l’autel du sauvetage de
l’euro et du système bancaire européen à un moment délicat.
Oui, le Sud a été naïf. Les pays ont festoyé au buffet des taux planchers.
Ils ont laissé le coût du travail bondir alors que l’Allemagne baissait les
salaires avec les réformes Hartz VI, qui étaient objectivement, si pas
intentionnellement, une politique protectionniste. (…)
La pire erreur de l’UE fut ensuite d’essayer de forcer les pays fortement
endettés à compenser les 20 à 30 % de déficit de compétitivité par rapport à
l’Allemagne via des « dévaluations internes », un euphémisme pour
la baisse de la demande. C’était pourtant une stratégie intrinsèquement
contre-productive. Cela fait fondre la base économique pour accélérer
logiquement les ratios de dette par l’effet du dénominateur. (…)
Un euro plus faible, des taux d’intérêt de -0,4 %, un assouplissement
quantitatif démarré 6 ans trop tard ainsi que l’abandon à retardement de
l’austérité ont engendré une modeste reprise cyclique entre 2015 et 2017.
Mais elle s’évapore déjà. La zone euro risque ainsi de s’effondrer à
l’occasion de la prochaine récession mondiale, sans aucune défense. Il n’est
pas possible de baisser davantage les taux. Il n’y a pas d’union bancaire
satisfaisante. Le danger de la spirale de la mort dette souveraine-banques
est toujours présent. L’Italie en est un exemple flagrant. (…)
Le postulat de la LSE est que les leaders européens devront en bout de
course s’accorder sur une forme d’union fiscale, mais cela va à l’encontre
des principes de base de la démocratie. Un tel système éliminerait les
prérogatives fiscales et budgétaires des parlements élus. L’UE pourrait
conserver sa légitimité démocratique en adoptant une structure fédérale
supranationale similaire à celle des États-Unis. Mais il n’y a aucun support
de la population pour une telle solution.
La conclusion implacable est qu’une union monétaire de pays fiscalement
souverains ne peut pas marcher. L’euro est une anomalie constitutionnelle
qu’il faut donc éliminer. Le reste n’est qu’aveuglement.
Source : The Telegraph