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Les transactions survenues
l'année dernière qui ont mené à la constitution
de deux groupes de presse géants au Québec (Gesca-Power
Corp. et Quebecor, auxquels s'ajoute Transcontinental, le plus important
éditeur de magazines) ont semé la panique au sein du petit
monde journalistique et intellectuel de la province. Le gouvernement
péquiste, qui n'a généralement pas de problème
avec la concentration du pouvoir politique à Québec et qui
vient de procéder à la concentration du pouvoir municipal par
des fusions forcées, s'est empressé de mettre sur pied une
commission parlementaire afin de discuter de la « menace »
de concentration de la presse.
Ces jours-ci, une trentaine de
groupes défilent donc devant les députés pour
réclamer diverses mesures visant à « assurer
le droit du public à une information diversifiée ».
Dans la novlangue officielle, il faut bien sûr comprendre le contraire,
c'est-à-dire assurer à une clique de journalistes
syndiqués nationalo-gauchistes le maintien
de leur influence prédominante sur les médias du Québec.
Mis à part le témoignage des propriétaires
eux-mêmes, le débat tourne en effet essentiellement autour des
prémisses étatistes suivantes: l'influence des
propriétaires étant néfaste, comment le gouvernement
peut-il la limiter? L'influence de l'État étant
bénéfique, comment peut-il intervenir plus pour soutenir des
médias qui ne sont pas la propriété des grands groupes
privés? Comment enfin peut-on imposer un discours acceptable aux
médias qui échappent au contrôle de l'État et des
journalistes reconnus comme légitimes?
Intervenez, ça presse !
L'un des mémoires qui
résument le mieux les enjeux de l'exercice en cours est celui de
l'organe représentatif du racket journalistique, la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec: «
[L]a FPJQ réclame que l'État assume sa
responsabilité de protéger le droit du public à
l'information en adoptant une loi sur le pluralisme de la presse. Cette loi,
sans intervenir sur le contenu de l'information, devra notamment interdire la
propriété croisée (télévision, quotidiens,
hebdos et radios) dans le même marché [...]. »
Pour la Fédération, qui représente 1500 journalistes, «
[o]n ne peut accepter, dans une société
démocratique, que le quotidien le plus lu dans son marché (Journal
de Montréal et Journal de Québec) soit entre les
mêmes mains que le réseau de télévision le plus
écouté (TVA). Aucun pays démocratique n'accepterait cela.
»
Cette préoccupation pour la concentration de la
propriété des médias est sans doute pertinente dans
l'absolu, mais lorsqu'on observe la réalité sur le terrain, on
se rend compte qu'il s'agit d'un faux débat. En effet, s'il existe une
concentration de la presse au Québec, c'est bien au niveau des
journalistes eux-mêmes qu'elle se situe.
Il y aurait cent propriétaires de journaux et autant de quotidiens en
circulation demain matin dans la grande région métropolitaine
qu'on aurait sensiblement la même information partout. À part
quelques rares excentriques, nos journalistes et intellectuels qui
interviennent dans les débats publics partagent tous le même
point de vue plus ou moins collectiviste. Ils ont tous été
formés par les mêmes profs dans les mêmes programmes de
communications ou de science politique des mêmes universités.
Ils sont tous, à divers degrés, en faveur de l'intervention de
l'État dans nos vies et ont tous la même perspective
tridimensionnelle de la nouvelle: qu'en pense le gouvernement, qu'en pensent
les groupes de pression financés par l'État, qu'en pensent les
syndicats?
D'ailleurs, l'un de ces professeurs qui forment nos futurs journalistes a
proposé à la commission une autre solution subtile pour limiter
l'influence des propriétaires. Jean-Claude Picard, ancien journaliste
au Soleil et à Radio-Canada et maintenant professeur au
département de journalisme de l'Université Laval, a
rappelé qu'« actuellement, la gestion des
quotidiens se fait en vase clos. Elle est confiée aux mandataires des
propriétaires avec comme seules contraintes les lois du marché
». Quelle situation déplorable, des propriétaires
qui gèrent leurs entreprises en suivant les lois du marché! M.
Picard suggère donc la mise sur pied d'un organisme qui «
examinerait les politiques d'information des quotidiens, leurs budgets
et le déploiement des effectifs journalistiques ».
Puisque les nationalisations ne sont plus à la mode, créons une
structure bureaucratique qui contournera le problème en essayant de
prendre le contrôle effectif de la gestion de l'entreprise.
Diversifiez-moi ça
Revenons au mémoire de la FPJQ, qui poursuit
ainsi: « Les médias comptent aujourd'hui essentiellement sur les
recettes publicitaires pour survivre et se développer. La lutte est
féroce pour se les approprier, et la concentration de la
propriété crée une force qui permet d'offrir aux
annonceurs des occasions très avantageuses et un très large
marché de consommateurs. Cette lutte de titans laisse peu de place aux
petits médias qui ont les plus grandes difficultés à
attirer les annonceurs, ce qui menace constamment leur existence. Or personne
ne peut forcer les annonceurs à répartir différemment
leurs placements publicitaires. »
Encore les imperfections du marché! Une publication est mal
gérée, ennuyeuse, a une stratégie de marketing nulle, ne
correspond à aucune demande réelle, est distribuée de
façon irréaliste sur un territoire où il n'y a pas de
concentration de population et d'entreprises? Pas grave. Si on ne peut forcer
les annonceurs à y placer des annonces, pourquoi ne pas plutôt forcer
les entreprises à contribuer à un fonds qui fera en sorte que
ces petits journaux « indépendants » ne soient pas tenus
d'avoir recours à autant de publicité pour survivre? Suffit
d'une loi!
La loi
doit obliger les groupes de presse à financer un Fonds d'aide au
pluralisme. Il s'agirait d'un mécanisme simple, non-étatique,
de redistribution vers des médias indépendants à faibles
ressources publicitaires d'une très petite partie des ressources des grands
groupes de presse. [...] Ce Fonds créerait une sorte d'antidote
à la concentration de la propriété et des ressources
publicitaires entre un tout petit nombre de mains. [...] La contribution
serait calculée au prorata de la domination qu'un groupe de presse
exerce dans le marché des quotidiens. Plus la part de marché
détenue au-delà de 30% serait grande, plus les contributions
seraient élevées.
Comme frein à la réussite, on peut difficilement trouver mieux.
Plus une industrie est importante, plus ça lui coûterait cher.
Typiquement socialiste. Ce que réclame la FPJQ c'est en fait une
nouvelle taxe. Elle réclame de Québec qu'il taxe les
entreprises de presse qui fonctionnent afin de soutenir les «
indépendantes » qui ne réussissent pas à se
positionner sur le marché. Sa liste
d'épicerie s'étire encore comme ça sur plusieurs
paragraphes: Créer l'obligation pour les groupes de presse
d'adhérer au Conseil de presse, Créer des postes d'ombudsman
dans les médias, Améliorer le sort des journalistes pigistes, etc.
Concentration étatique
Si on mettait ces recommandations en oeuvre, pratiquement aucun média au Québec
ne serait à l'abri des pressions et du tordage de bras des ministres,
bureaucrates, syndicats et organismes de « surveillance »
de l'information. Cette concentration de l'influence étatique et
étatiste ne préoccupe pourtant nullement nos grands
défenseurs de la diversité d'opinion. On voit bien que le seul but de la
clique journalistique n'est pas d'empêcher une concentration
d'influence, c'est de faire en sorte que ce soit la bonne influence
qui soit concentrée, celle de l'État et du mouvement
idéologique étatiste. La presque totalité de tous ces
petits hebdos régionaux, magazines alternatifs et autres organes de
presse « indépendants » (sauf le QL évidemment)
sont déjà subventionnés
à plein régime, soit dit en passant. Les propositions de la
FPJQ et de ses alliés feraient en sorte d'augmenter encore plus le
pouvoir d'intervention bureaucratique dans les entreprises de presse.
La raison pour laquelle
le phénomène de concentration de la presse est tant
redouté ne serait-elle pas en fait la menace qu'il pose pour la clique
journalistique? Dans le contexte actuel où l'État, les
syndicats et leurs alliés dominent tout, les grands groupes de presse
sont peut-être justement le seul contrepoids possible, les seuls
capables de résister à ces pressions et de garantir qu'un point
de vue différent puisse s'exprimer sans contrainte et sans
représailles.
On l'a vu au Canada anglais: la prise de contrôle par Conrad Black de
la chaîne Southam et la très grande
indépendance financière de l'immense groupe de presse ainsi créé
(dont la plus grande partie a été vendue depuis) ont permis de
briser le monopole des nationalo-gauchistes sur les
médias canadiens-anglais. Le Canada n'a jamais eu une information
aussi diversifiée et une presse aussi dynamique que depuis cette
transaction. Le lancement du National Post, qui fait dans ses pages la
promotion sans complexe d'un point de vue libertarien-conservateur,
a par ailleurs enclenché une véritable petite révolution
dans le monde renfermé des débats idéologiques au pays.
Ces changements ne sont pas survenus parce que les gouvernements ont
encouragé et subventionné les petits médias «
indépendants » (i.e., ceux qui dépendent de
l'État), mais suite aux décisions d'affaires judicieuses
d'un puissant groupe dont on dénonçait le trop grand
contrôle sur la presse du pays. Les journalistes nationalo-gauchistes
québécois craignent-ils une évolution semblable dans la
société distincte?
Cyberjournalisme sans foi ni loi
L'internet est le seul moyen
de diffusion où il est possible de propager sans contrainte et
à peu de frais des points de vue radicalement alternatifs.
Voilà qui devrait sourire à nos champions du pluralisme de
l'information. On découvre cependant sans surprise que
l'émergence de véritable cybermédias
indépendants comme le QL fait peur à la clique
journalistique nationalo-gauchiste.
En plus de réclamer, lui aussi, la création d'un fonds d'aide
aux organes d'information indépendants, le Conseil de presse du
Québec (la bureaucratie qui sert de chien de garde dans le domaine de l'«
éthique journalistique ») recommande que le
gouvernement « commande sans tarder une étude sur
le domaine sans foi ni loi du "cyberjournalisme",
de manière à voir à l'établissement et au respect
de balises déontologiques pour les nouveaux médias de
l'autoroute de l'information. »*
Et qui est-ce qui s'offre pour mener à terme ce lourd mandat? «
Le Conseil de presse accueillerait par ailleurs favorablement que lui
soit confiée toute étude complémentaire, si besoin
était, portant sur la problématique de la concentration ou sur
la dimension éthique – ou son absence – de l'autoroute de
l'information, un territoire sur lequel il lui apparaît urgent de
proposer et d'implanter des balises déontologiques, dans
l'intérêt de l'ensemble des usagers québécois de
l'information. Il va de soi que tout élargissement de la vocation du
Conseil ou tout mandat additionnel devant lui être confié
présupposera l'ajout, de la part de l'État, de ressources
supplémentaires, de manière à ce qu'il puisse remplir sa
mission élargie avec suffisamment de latitude et en toute indépendance.
» L'art de se créer de l'emploi!
S'il en fallait une, cette proposition est une preuve supplémentaire
de la volonté de la clique journalistique de museler ceux qui pensent
différemment au Québec et d'empêcher l'émergence
d'une véritable information diversifiée. Ce n'est pas la
concentration de la presse et le manque de diversité qui
préoccupent ces apparatchiks, c'est la perspective de perdre leur
pouvoir et leur contrôle sur une industrie qui se transforme sous l'effet
de la mondialisation et d'une libéralisation accrue. La Pravda a
fini par disparaître en Union soviétique avec la chute du
communisme. Au Québec aussi, le monopole idéologique du nationalo-gauchisme tire à sa fin.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin Masse est
né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien
Le Québécois Libre
en février 1998. Il a été directeur des publications
à l’Institut économique de Montréal de 2000
à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer
pour la mondialisation capitaliste, publié au Québec par
l'Institut économique de Montréal avec les Éditions
St-Martin et chez Plon en France.
Les vues présentées par l’auteur sont les siennes
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