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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
La bulle financière de la dette
publique a actuellement pris dans l’actualité le pas sur celle
des actifs privés. D’autant plus aisément que les effets
de cette dernière se font surtout ressentir en Asie (et d’une
manière générale dans les pays émergents), alors
que la spéculation a choisi l’Europe comme cible, et plus
particulièrement la Grèce, l’un de ses maillons faibles.
Non sans y avoir été incitée par des gouvernements décidés
à en faire un exemple en Europe.
Trois causes distinctes à la crise
européenne actuelle se sont conjuguées, qui sont durables.
1/ Une volonté de préparer
l’opinion à une politique de rigueur, modulée suivant les
pays, destinée à absorber les déficits
créés par la crise financière et s’appuyant pour
commencer sur une dramatisation du cas grec.
2/ Une spéculation qui a
sauté sur l’occasion, dont on a cru déceler
l’origine exclusive outre-Atlantique et qui a utilisé à
ses fins le marché opaque des CDS pour lesquels aucune
réglementation n’a toujours été mise en place (le
sera-t-elle un jour ?).
3/ En toile de fond, la
nécessité de diminuer la pression sur les marchés
obligataires, que les établissements financiers vont être
amenés à beaucoup solliciter, en obtenant des Etats
qu’ils lèvent autant que possible le pied sur leurs propres
émissions de titres de dette.
Ce dernier enjeu,
qui est à la base de la montée en puissance de la
problématique de la dette publique, à résorber de toute
urgence, explique qu’elle est destinée à occuper la
première place des préoccupations des gouvernements dans la
période à venir. En Europe d’abord, mais aussi au Japon
et aux Etats-Unis, de très loin les deux principaux débiteurs
mondiaux sur le marché de la dette. Le premier se finançant
essentiellement sur son marché intérieur, le second
bénéficiant de la protection que lui offre le dollar monnaie de
réserve et de refuge, il se comprend que ce soit l’Europe qui
ait eu les honneurs de la première salve (en premier lieu la zone
euro, en attendant que le Royaume-Uni entre à son tour inévitablement
en scène).
Les Etats-Unis bénéficient
non seulement du statut privilégié de leur devise, mais
également – ainsi que les Britanniques, mais dans une moindre
mesure, et les Japonais – d’une banque centrale ayant les
coudées franches pour pratiquer une vigoureuse politique de
création monétaire. Aux Etats-Unis la Fed a acheté des
T-bonds (pour 300 milliards de dollars), après avoir accueilli sans
compter des titres de la dette hypothécaire, en contre partie de ses
injections de liquidités. Aidée en cela par Fannie Mae et
Freddie Mac, qui sont financés à fonds perdus par le
gouvernement afin d’éviter l’effondrement du marché
immobilier. Tout cela soulage d’autant les pressions qui
s’exercent sur leur dette colossale, car les déficits de Fannie
et Freddie ne sont pas pris en compte dans le déficit
américain.
Cette situation pourrait même
être relativement confortable, comparée à celle des
Européens, si des signaux d’alarme ne commençaient pas
à retentir. En premier lieu, les achats chinois de T-bonds ont
chuté fortement ces derniers mois, en second la Fed commence à
éprouver quelques difficultés à faire du surplace,
amusant la galerie en dévoilant des plans de retrait de ses liquidités,
tout en précisant qu’ils ne seront mis en application
qu’à une date indéfinie. Les taux, en attendant, se
tendent inexorablement, surenchérissant le coût de la dette
américaine, à la faveur de nouvelles émissions
d’autant plus fréquentes que leur maturité est courte (un
mécanisme qui naturellement est aussi à l’oeuvre en Europe).
Le statut du dollar est la clé de
voûte qui maintient un édifice qui sans cela se serait
déjà écroulé. Cette situation peut durer, le
danger étant sur ce plan contenu pour les temps immédiats
à venir, en attendant que murisse la réforme du système
monétaire international que tout le monde sait inévitable, mais
que personne ne cherche à hâter. Une autre menace est plus
redoutable, qui résulte de la faiblesse de la consommation
intérieure, moteur de la croissance américaine (et mondiale).
Elle est issue des difficultés enregistrées par les classes
moyennes et de la distribution plus restrictive du crédit. Elle est en
germe porteuse – cela se manifeste déjà en profondeur
– d’une détérioration accentuée de la
situation sociale et d’une mise en cause du modèle
américain. Ce qui est un redoutable phénomène dans ce
pays, car il en est le ciment. Sans mesures de relance s’enchaînant,
ce phénomène est pourtant inéluctable et politiquement
source d’instabilité et d’incertitude. Quant aux plans de
réduction du déficit budgétaire américain, ils
ont jusqu’à maintenant été observés avec
indulgence, mais cela risque de ne pas durer ainsi très longtemps.
L’alerte à propos du
déficit public se rencontre, prioritairement et pour l’instant,
dans certains Etats ou métropoles plus particulièrement
touchés. A l’image de ce qui se produit au niveau du
réseau des banques régionales, qui continuent de faire faillite
à un rythme accéléré, le pays est atteint dans
son tissu économique et social. Sans interventions de l’Etat
fédéral, impliquant de nouvelles augmentations de son
déficit budgétaire, la situation risque de devenir difficile.
Les gouvernements européens sont
actuellement en première ligne, et ils ne viennent pas de
démontrer un savoir-faire époustouflant. Ils se sont
révélés incapables d’annoncer des mesures
d’aide financière tangibles, à l’occasion du sommet
de Bruxelles, et il n’est pas certain qu’ils le feront en
début de semaine prochaine, comme annoncé en premier lieu, si les
marchés ne les y contraignent pas. Au prétexte
annoncé par Nicolas Sarkozy – sera-t-il suffisant
? – que ces mesures ne sont que tactiques subalternes et
qu’il faut retenir l’affirmation stratégique du soutien
politique européen à la Grèce ! En
réalité, si les mécanismes d’une aide
financière – aujourd’hui en faveur de la Grèce,
demain d’un autre pays de la zone euro – sont dûment
répertoriés, leur réalisation continue de faire
problème. Ce que l’on s’efforce de dissimuler.
La création d’un
« FMI européen », proposée par des voix
encore isolées, ou bien l’émission
d’euro-obligations, qui a les faveurs de certains Etats dont la
Pologne, sont des chantiers qui ne semblent pas près
d’être ouverts. Les gouvernements – en premier lieu les
Allemands et les Français qui ont quelques munitions, d’autres
devant les conserver pour faire face si nécessaire – en sont
réduits à faire leurs emplettes au rayon bricolage :
garanties et prêts bilatéraux divers, achats d’obligations
souveraines via des banques « amies », etc. Leur choix
se serait porté, d’après Jean-Claude Junker, sur des
« prêts bilatéraux coordonnés ». Ce
qui nécessitera des négociations de marchand de tapis au coup
par coup, chaque fois qu’il sera nécessaire d’activer ce
dispositif. Ces mesures ont par ailleurs des limites, qui seront vite
atteintes si des rebondissements interviennent dans la crise
européenne, ce qui est plus que probable. La fameuse boîte de
Pandore a été ouverte, personne ne sait comment la refermer, ni
comment combattre ce qui en jaillit.
En Europe, l’attention s’est
focalisée sur la zone euro, et en son sein sur le gros morceau que
représente l’Espagne, mais elle pourrait se diriger vers le
Royaume-Uni, dont la situation financière est toute aussi
délicate. Et qui ne dispose pas du parapluie de l’euro,
même si l’on mesure actuellement la protection relative
qu’il offre. Le cas du Royaume-Uni est un peu en standby, en
raison de la proximité des élections et du changement
d’équipe gouvernementale qui en est attendu. Mais ce n’est
que partie remise, comme pour l’Espagne. Et cela va mettre en
évidence que les gouvernements européens ne se sont pas donnés les moyens de faire face à la crise.
Au sein des instances communautaires, on
voit émerger après quelques tentatives
désordonnées et sans lendemain, de la présidence
espagnole notamment, un habillage de circonstance. Sous forme d’une
coordination politique renforcée, que l’on va essayer de faire
vivre à coup de sommets rapprochés, présidés par
Herman Van Rompuy. Mais cela ne fait pas une
politique et ne dégage pas de réels moyens ! Le chacun pour soi
est désormais installé, la possibilité que des solutions
collectives puissent se dégager est réduite. La porte est
ouverte pour que la spéculation financière se poursuive, avec
une Grèce même mise sous stricte tutelle budgétaire, puis
avec de nouvelles victimes.
Le gouvernement allemand poursuit son
objectif, à échéance de 2011, fin du mandat de
Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, afin de placer son candidat
: Alex Weber, le président de la Bundsebank.
Mais cela ne fait pas non plus une politique, car on voit difficilement
comment les Allemands pourront entraîner derrière eux les autres
pays européens dans une politique de rigueur aussi soutenue que celle
qu’ils veulent imposer aux Grecs, en particulier ceux qui sont les plus
sinistrés. Sauf à entrer dans une logique d’aide
financière communautaire à laquelle ils se refusent
actuellement.
Les spéculations vont reprendre,
à coup de CDS peut-être, sur le terrain politique certainement.
On va parler d’approfondissement de l’Europe, notamment sur un
terrain où elle s’est très peu aventurée : la
convergence fiscale. Pourtant, la seule logique qui semble pouvoir s’imposer
va être celle de l’improvisation, afin de faire face à la
crise. Elle a déjà amené les Allemands à accepter
l’idée d’un soutien financier à l’un des
membres de l’eurozone, raison de plus pour
qu’ils freinent tout autre projet plus ambitieux, dont aucun
gouvernement ne saurait en réalité être porteur
s’ils s’y opposent.
Les négociations salariales
menées entre le gouvernement allemand et les syndicats de
fonctionnaires, qui réclament une augmentation, viennent pour la
troisième fois d’échouer. Le gouvernement tiendra-t-il
bon ? Acceptera-t-il à Berlin ce qu’il a refusé à
Athènes ?
Baudoin Prot, président de la Fédération
bancaire française (FBF) et directeur général de BNP
Paribas, vient de déclarer que l’exposition des banques
françaises « n’est pas un sujet particulier. »
Ajoutant: « Pour l’essentiel, les grandes banques
françaises sont actives dans les pays de la zone euro de loin les plus
solides ». Que pense-t-il du chiffrage de la Banque des
règlements internationaux (BRI), selon lequel les engagements des
banques françaises en Grèce se montaient en septembre 2009
à 75 milliards de dollars ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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