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Le pouvoir destructif de la dette américaine

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Published : November 21st, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Depuis des semaines et des semaines, les rebondissements européens mobilisent toutes les attentions, faisant de la zone euro l’épicentre d’une crise abusivement réduite à celle de la dette publique. Plus fortes que jamais, les incertitudes qui y sont liées vont devoir également intégrer celles que suscitent la dette américaine, qui revient dans l’actualité et dont les implications sont d’une toute autre dimension.


Un couperet va tomber dans deux jours, le 23 novembre prochain. A cette date, la commission composée à parts égales de membres démocrates et républicains du Congrès va devoir rendre sa copie, dont le sujet imposé est de réduire une dette s’approchant des 15.000 milliards de dollars. Elle a pour mission de fournir un plan d’économies budgétaires de 1.200 milliards de dollars sur dix ans, reposant sur un savant compromis, toujours introuvable à ce jour, fait de coupes dans le budget et d’accroissement des recettes. Si elle n’y parvient pas, les coupes seront automatiques, taillant à la fois dans les programmes sociaux et les dépenses militaires, en vertu des décisions déjà prises par le Congrès. Mais rien ne sera pour autant réglé.


A ce montant de 15.000 milliards de dollars, il faut en réalité ajouter les engagements pris au titre de Fannie Mae et Freddie Mac, de Medicare, Medicaid et de la Social Security, ainsi que la dette des Etats fédéraux et des municipalités. Pourtant, les Américains ne rencontrent pas encore de difficultés à financer leur dette fédérale, ses taux d’intérêts restent à un niveau très bas, même après la baisse de leur notation. A cet égard, le parallèle s’impose avec le Japon, dont la note est AA-, la dette proche des 200% de son PIB, mais qui continue de la financer au taux de 1%.


Mais combien de temps cet état de grâce peut-il durer côté américain ? Le statut du dollar n’est certes pas étranger à la bonne santé de la dette, mais il ne la prémunit pas éternellement d’un accroissement de son taux, qui ferait augmenter de manière insupportable son coût dans le budget fédéral.


Sans attendre cette échéance, les Etats-Unis doivent faire face à l’explosion de leur dette. Elle a augmenté d’un tiers en l’espace de quelques années, faisant considérablement croître les besoins de son financement. Les facteurs de cette augmentation brutale sont connus. Par ordre décroissant d’importance : la baisse des recettes des taxes et impôts (en raison de la dégradation de la situation économique), la multiplication des exemptions au fil des années, l’importance des crédits militaire, les intérêts de la dette et, in fine, les mesures de relance économique… Les deux premiers facteurs ont à eux seuls dernièrement contribué à la moitié de la croissance de la dette, les dépenses militaires d’environ 15%, les intérêts de la dette 11% et les mesures de relance 6% seulement ! Voilà qui donne une idée des marges de manoeuvre disponibles du côté de la réduction des dépenses.


Quels sont par ailleurs les acheteurs de la dette et leurs poids respectifs ? Les fonds souverains et banques centrales étrangères ont actuellement absorbé environ un tiers de celle-ci, Chine et Japon en tête, suivis par les pays producteurs de pétrole. La Fed et les Trusts funds (dont la Social Security) en sont détenteurs d’environ 40%, et les fonds de pension et de gestion, banques et assurances d’environ 25%.


Après avoir augmenté jusqu’au début de la crise – elle était alors de 50% – la part les investisseurs étrangers est en régression, depuis tombée à 30%. Celle de la Fed est au contraire en pleine progression ; à la faveur de ses opérations de création monétaire, qui ont financé 70% de l’accroissement de la dette. La mutation est donc importante, soulevant la question de savoir par qui la dette va-t-elle continuer à être financée.


Les perspectives peu optimistes de croissance économique concourent à son augmentation, diminuant encore les recettes d’impôts et de taxes dans le budget fédéral. D’autant que, servant en priorité à financer la machine militaire, la consommation des ménages et à consolider le marché immobilier, l’endettement américain n’est pas utilisé au profit d’investissements productifs avec pour objectif la relance économique, laissant peu de chances à l’inversion de cette tendance.


D’autres considérations doivent entrer en ligne de compte dans l’analyse. Si la dette a toujours bénéficié du statut du dollar, cette situation privilégiée n’est pas destinée à durer. La disproportion entre le rôle du dollar et le poids économique des Etats-Unis est telle aujourd’hui, comparée aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, que la reconsidération de ce statut privilégié n’est qu’une question de temps.


La dépréciation du dollar est désormais continue, effet voulu d’une politique qui vise à relancer les exportations américaines et à faire baisser le taux de la dette US pour en diminuer le coût. C’est désormais une tendance profonde, qui accélère le désengagement progressif des investisseurs étrangers de la dette, car ils ont tout à y perdre. Mais ils sont pris au piège, condamnés à en assurer au moins le roulement pour ne pas constater leurs pertes.


Il n’y a pas d’autre issue que de réduire la dette, mais comment cela se présente-t-il ? Mal, et pas uniquement en raison du blocage des républicains qui ne veulent pas entendre parler d’augmentation des impôts et taxes. Si l’on y regarde de plus près, il est en effet dans la logique de la fiscalité américaine de favoriser l’endettement. Au fil des mandats, quelle que soit la couleur politique des présidents, les exemptions de tous ordres ont prévalu, diminuant les ressources de l’Etat. Aujourd’hui, faute de remettre en cause la distribution inégalitaire de la richesse, il est illusoire de prétendre rétablir la situation seulement en accroissant la pression fiscale sur les plus riches.


Une augmentation de la très faible TVA, dont il est question, aurait comme conséquence inévitable de pénaliser la consommation, déjà en berne, alors qu’elle contribue à hauteur de 70% à la croissance économique, la pénalisant davantage et accroissant par ricochet la dette publique… L’équation n’étant pas proche d’être résolue, la solution de plus grande pente, celle de la facilité, va être suivie à nouveau.


Elle repose sur des expédients qui ne sont pas durables, la Fed ne pouvant pas ad vitam aeternam financer la dette en multipliant des programmes de création monétaire, vu la taille déjà colossale atteinte par son bilan et les dégâts que créent ces émissions massives de liquidités. Tirer de telles traites sur l’avenir dans le contexte du basculement économique planétaire en cours a des limites déjà dépassées.


La proposition de créer de la dette perpétuelle – qui périodiquement resurgit dans des cercles restreints – est par ailleurs difficilement concevable. Destinée à ne pas être remboursée, seuls ses intérêts seraient versés, mais elle pourrait être négociée sur le marché secondaire en cas de besoin. Cela reviendrait à consolider la dette, à la restructurer dans la pratique, et cela représenterait une nouvelle formule de la fuite en avant actuelle.


Dans l’immédiat, les opérations de carry trade déstabilisatrices de l’économie des pays émergents se poursuivent. Elles s’appuient sur le différentiel des taux d’intérêt entre les Etats-Unis et les pays émergents, qui pratiquent des taux d’intérêts plus élevés. Cela crée un cercle vicieux, car ces derniers augmentant leur taux d’intérêt pour se protéger de l’inflation que les afflux de dollars créent, ce qui les attire encore plus. Des barrières à la circulation des capitaux sont dressées, circonvenant à la libre circulation des flux financiers et grippant à la marge le fonctionnement du système monétaire international.


La dépréciation du dollar a aussi pour conséquence indirecte la hausse des matières premières, car leur commerce est généralement libellé dans cette monnaie. Le remède employé par les Américains pour tenter de temporiser la crise de leur dette a plus que jamais des effets nocifs et destinés à perdurer.


Plus souterraine, une autre conséquence risque à terme de se produire. On constate déjà en Europe que l’accroissement du risque lié aux obligations souveraines atteint l’équilibre du système financier européen (et pourrait atteindre, via les CDS qu’elles ont émis, les banques américaines). Si le risque lié à la dette américaine devait à son tour augmenter, cette déstabilisation prendrait une toute autre ampleur. La solvabilité des banques et du système financier international en serait profondément affectée, les obligations américaines étant très utilisées comme collatéral dans le cadre des transactions financières, ou pour construire des produits financiers structurés.


Le pouvoir destructif de la crise de la dette américaine est sans commune mesure avec celui de la dette européenne.

 

 




Billet rédigé par François Leclerc



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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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