Après
avoir raccroché leurs téléphones, les financiers du G7
se sont rappelés l’autre soir, a révélé
à Reuters le ministre canadien… Qu’avaient-ils
oublié de se dire ? L’hypothèse est qu’ils ont
voulu mieux prendre la mesure des conséquences d’un
défaut grec, ce qui montrerait – si cela est exact – avec
quelle confiance en leur capacité de résoudre la crise ils abordent
les jours et semaines qui viennent.
Un
bras de fer se poursuit en vue d’obliger les parlementaires grecs
à voter le nouveau plan de rigueur, afin qu’une tranche du
prêt déjà décidé soit versée. Les
banques, et d’une manière générale les
créditeurs privés de la dette grecque sont mieux
traités, puisqu’il n’est question que de leur
participation volontaire pour la suite des opérations.
Pour
marquer le coup, l’idée un instant évoquée de ne
débloquer que partiellement la tranche n’a pas été
adoptée, et tout a été renvoyé au 3 juillet
prochain, à l’occasion d’une nouvelle réunion
extraordinaire de l’Eurogroupe. Une nouvelle
mission impromptue de la Troïka a été envoyée
à Athènes, le jour même où le Parlement doit
voter, afin de symboliser la vigilance européenne alors que des
manifestations sont prévues devant le Parlement. Enfin, les plus
fortes pressions sont exercées sur le président de Nouvelle
Démocratie pour qu’il s’associe positivement au processus.
La date du 3 juillet a été finement choisie afin de pouvoir
dans les temps verser les fonds, afin d’éviter le
défaut : selon une note des finances grecques, les besoins
financiers seront couverts jusqu’au 18 juillet, cela laisse 15 jours
pour l’ordonnancement du virement si les fonds sont disponibles
!
Sur
le second terrain, la situation connaît un prévisible et
singulier renversement. Via leur organisations professionnelles respectives, BdB et VöV, les banques
allemandes privées et publiques ont commencé à faire
savoir leurs revendications. Puisque leur concours est demandé, il va
falloir le payer, disent-elles sans ambages. Différentes suggestions
émergent, soit qu’elles bénéficient de la garantie
de l’Etat quand elles souscriront à de nouvelles obligations
grecques, les leurs arrivant à maturité, soit que les nouvelles
obligations soient assorties d’un coupon plus avantageux… Dans le
premier cas, cela reviendrait à ce que tout le fardeau du nouveau plan
de sauvetage repose sur l’Etat, dans l’autre qu’un
coût supplémentaire serait imposé aux Grecs, chargeant
encore le plateau de la balance.
Quand aux banques françaises,
elles ne s’expriment pas publiquement, muettes par constitution.
Wolfgang
Schaüble, le ministre allemand des finances,
n’a pas attendu pour déclarer que de telles incitations
n’étaient pas nécessaires, « tout le monde
ayant intérêt au développement stable de la
Grèce », mais il ne fallait pas accepter de se placer dans
cette position de demandeur vis à vis des banques… Leur
participation volontaire va être durement monnayée et la rendre
absurde à l’arrivée. Les créanciers
n’ignorent pas, en effet, ce qui les attend au bout du chemin :
une décote en bonne et due forme.
Il
en a été pourtant été tenu compte autrement par
les ministres, qui le savent également. Une décision prise
durant leur longue réunion nocturne de 7 heures de dimanche à
lundi aurait pu passer inaperçue, et cela aurait été
bien dommage. Le futur Mécanisme Européen de Stabilité
(MES), qui verra le jour en 2013 après adoption d’un amendement
au Traité de Lisbonne sur lequel les ministres se sont mis
d’accord, n’aura pas le statut de créancier
privilégié, ce qui signifie qu’il sera placé au
même rang que les créanciers privés en cas de
problème.
Cette
modification aux conditions initialement envisagées est
présentée comme devant faciliter le retour sur le marché
des pays bénéficiant des prêts du MES. Elle
prélude en réalité au partage des pertes qui devront
être constatées un jour ou l’autre. Nos ministres voient
loin, quand il s’agit de faire des cadeaux.
Ils
tendent aussi le cou pour tenter d’apercevoir, non plus les jeunes
pousses de la reprise, comme dans l’épisode
précédent, mais les signes avant-coureurs de l’extension
de la zone des tempêtes à de nouveaux pays. Une
compétition d’un genre nouveau est à ce propos
engagée, pour savoir qui de l’Espagne ou de l’Italie y entrera
en premier. Les inconvénients des deux solutions sont
soupesées, ayant en commun de rendre obsolète le
mécanisme sur lequel repose ce MES qui n’est pas encore
opérationnel. Les besoins financiers correspondant au sauvetage
de chacun de ces deux pays ne seraient pas dans ses moyens et imposeraient
l’adoption d’un nouveau mécanisme financier.
Sous
les auspices de la BCE et de Jean-Claude Trichet, le débat sur la
relance de l’intégration européenne est parti sur les
bases étriquées, inconvenantes et économiquement
injouables d’un renforcement de la discipline budgétaire. De
timides tentatives apparaissent ici ou là pour essayer de le
déplacer au moins partiellement sur un autre terrain.
Didier
Reynders, le ministre belge des finances, a
apporté sa pierre en déclarant « on a une banque
européenne mais on n’a pas vraiment de politique
budgétaire et ça, c’est ce qui nous manque ».
Guy Verhofstadt, ex-Premier ministre de la Belgique, a expliqué que
« chaque jour rend plus urgent le passage à une
étape supérieure avec notamment la création d’un
grand marché obligataire unique pour les dettes publiques des
Etats » (impliquant la création d’euro-obligations).
Les
socialistes allemands et français se réveillent de leur
côté, Sigmar Gabriel et Martine Aubry co-signant un article dans la Frankfurter
Allgemeine. Ils reprennent leur proposition de taxe sur les transactions
financières, l’inscrivant dans la perspective d’une
politique fiscale européenne commune, et l’assortissent
d’un plan destiné à renforcer les pays les plus faibles.
Enfin, ils estiment à la fois nécessaire la création
d’euro-obligations et la participation des créanciers
privés à l’effort.
Venant
de représentants de partis pouvant prétendre accéder aux
affaires (comme ils disent) dans les deux pays piliers de la zone euro et de
l’Union européenne, cette prise de position pourrait amorcer une
réflexion, une fois sorti des généralités et
entré dans le vif du concret. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres
avec les partis de gouvernement, comme l’on sait.
L’agence
Fitch vient d’apporter sa contribution au
très délicat exercice d’équilibre que les
dirigeants européens ont engagé, mettant à son tour en
garde à propos de tout ce qui pourrait être de près ou de
loin considéré comme un événement de
crédit, apportant de l’eau au moulin de banques
déjà portées à la surenchère. Les
négociations ne sont pas gagnées d’avance, les ministres
ont eu raison de se repasser un deuxième coup de fil.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
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