Parmi les gens
que je rencontre, qu’il s’agisse de dirigeants, d’entrepreneurs,
ou de régulateurs, je constate toujours cette difficulté
à comprendre la différence entre barrières à
l’entrée et avantages comparatifs. D’ailleurs, la
différence fut aussi obscure pour moi pendant longtemps. Il
m’apparaissait comme évident que les barrières à
l’entrée sur un marché étaient globalement
mauvaises, pour les producteurs comme pour les consommateurs. Les premiers,
protégés, auraient tendance à se reposer sur leurs
lauriers et perdraient en compétitivité. Leur produit deviendrait
relativement cher et la qualité de celui-ci se détériorerait
du fait d’un manque de concurrence. Les consommateurs seraient de ce
fait perdants. Si on faisait tomber les barrières, le producteur devenait
rapidement victime de son inefficience et risquait de disparaître en
même temps que sa protection. Cette vision des choses n’était
pourtant que partielle et j’allais découvrir que toutes les
barrières à l’entrée ne sont pas mauvaises.
Quand un
producteur se fait évincer par un autre sur un marché ouvert,
c’est que son concurrent dispose d’un avantage comparatif qu’on
appelle plutôt avantage concurrentiel. Autrement dit, un producteur est
plus efficient qu’un autre car il produit un bien qui offre le bon prix
pour le bon niveau de qualité. Les combinaisons sont évidemment
très vastes. Le producteur peut, par exemple, produire à
qualité égale, un produit moins cher. C’est typique sur
le marché des produits d’entretien ou sur celui des
denrées alimentaires de base (e.g. farine,
beurre, etc.). Il peut aussi produire un bien moins cher et de meilleure
qualité, ce qui arrive souvent sur le marché des
vêtements et de l’électronique. Parfois, il peut arriver
qu’il produise un bien beaucoup moins cher et de qualité
inférieure. Cela peut suffire à lui donner un avantage
concurrentiel. Le marché de l’électronique est là
encore un bon exemple.
En fait, les
avantages concurrentiels vont dépendre de la nature des
préférences des consommateurs et de la façon dont les
producteurs organisent et déploient leurs ressources pour diminuer
leurs coûts, en fonction de la demande et de la concurrence.
Qu’on
soit salarié, entrepreneur, ou rentier, on a tendance à se
spécialiser là où nos coûts de production sont les
plus bas. Ceci ne veut pas dire pour autant que ce choix vise à
obtenir un avantage absolu.
Il est
évidemment possible de produire un très grand nombre de choses
en plus grande quantité et moins cher. Or, comme la demande
n’est pas aussi intense pour chacune de ces choses et que les
ressources ne sont pas toutes aussi faciles à obtenir, chacun d’entre nous a
intérêt à se spécialiser plutôt que d’essayer
de tout faire. L’idée est de trouver les moyens de produire plus
et à moindre frais ce que d’autres souhaitent obtenir mais ne
peuvent produire en aussi grande quantité et à des coûts
aussi bas. C’est ainsi qu’il est possible d’obtenir davantage
de biens en échange de notre production que si on avait sacrifié
cet avantage productif en essayant de tout faire.
Le principe
des avantages comparatifs permet de comprendre la spécialisation des
tâches. Ce n’est pas qu’un producteur ne puisse pas
produire toutes sortes de biens avec ses ressources, c’est seulement
qu’il découvre qu’il a intérêt à se
spécialiser pour bénéficier d’un avantage par
rapport à ses concurrents. Son avantage repose sur sa
capacité à faire converger sa structure de coûts avec ses
estimations des préférences des consommateurs. Ce faisant, il
va être amené à prendre une position sur le marché
vers le haut, le moyen, ou le bas de gamme. Il pourra aussi décider de
se positionner sur une niche.
Ce qu’il
faut comprendre, c’est qu’un avantage comparatif indique la
capacité d’un producteur à fournir aisément un
bien à son public. Ceci se traduit par des profits supérieurs
à ceux des concurrents, mais ce sont justement ces profits qui lui
permettent d’augmenter sa production, de baisser encore plus ses prix,
ou d’améliorer son offre grâce à la recherche et au
développement de nouvelles idées.
Or, cet
avantage comparatif est souvent assimilé à une barrière
à l’entrée, à une façon de tenir les
concurrents à l’écart. Il est évident que cet
avantage met des concurrents en difficulté mais il serait dangereux de
confondre un avantage
fondé sur une stratégie qui améliore un produit, baisse
son prix, et permet une offre plus abondante et diversifiée et un
privilège qui interdit purement et simplement l’entrée
sur un marché.
Il ne faut
donc pas confondre les deux types de barrière à
l’entrée. Celle qui interdit et limite la concurrence sur un
marché de sorte qu’un producteur ne ressente pas le besoin
d’investir et d’améliorer son offre est évidement
source d’inefficience. C’est le cas des monopoles publics ou
privés protégés par une licence d’État, un
privilège. Dans ces cas, l’entreprise peut bloquer
l’accès à son marché à tout concurrent
potentiel non parce qu’elle est plus compétitive, mais parce
qu’elle détient un privilège.
Évidemment,
un avantage comparatif permet aussi de bloquer l’entrée d’un
concurrent. Qu’elle réalise des économies
d’échelle, bénéficie d’une technologie assurant
une qualité supérieure de son produit face aux concurrents
ou qu’elle ait
été pionnière et bénéficie d’une réputation
difficile à imiter, le résultat est toujours que les
concurrents restent incapables de faire mieux.
La
différence entre la barrière à l’entrée
fondée sur un avantage concurrentiel et la barrière
fondée sur un privilège est cependant fondamentale. La
première décrit une barrière qui résulte de la
capacité d’une entreprise à mieux satisfaire ses clients
en termes de prix et de quantité. La deuxième fait subir un
préjudice aux consommateurs du fait qu’elle empêchera les prix
de baisser et la qualité d’augmenter. L’entreprise
privilégiée n’a aucun effort productif à faire
pour empêcher l’entrée de ses concurrents. Son effort est
purement juridique et politique.
Ceux qui
assimilent les avantages concurrentiels à des barrières
à l’entrée passibles d’une intervention des
pouvoirs publics, sont de fait à la recherche d’un
privilège. Celui qui accuse une entreprise efficiente de jouir
d’un « privilège » grâce à sa
compétitivité, demande, au nom de la concurrence, un
accès garanti au marché sans avoir fait les efforts
nécessaires auprès des consommateurs.
A
suivre : le problème du monopole
« naturel »
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