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L’un des éléments les plus frappants,
bien que très peu discuté, de la nouvelle série House of Cards
disponible sur Netflix, est qu’à
chaque fois qu’un personnage décroche son téléphone,
quelque chose de mal se produit. Les téléphones des personnages
les plongent dans le désarroi tel des jumeaux diaboliques, ce qui
donne au spectateur l’impression que le gouvernement et tout ce qui se
trouve dans son orbite est dirigé non pas par des êtres humains
mais par des téléphones cellulaires, et que les personnages qui
les décrochent n’en sont que les pantins.
Je ne pense pas qu’il s’agisse là
d’un signe de cette ‘singularité’ tant clamée,
de l’idée que les Hommes et les machines vivent ensemble une
fantaisie harmonieuse. C’est plutôt la démonstration
même de ce que j’aime à surnommer les retombées de
la technologie – ou comment penser intelligemment vous rend en
réalité plus bête que vous ne l’êtes. Il est
clair que politiquement, notre nation est bien plus abrutie aujourd’hui
qu’elle ne l’était avant l’âge des textos, des drones et du négoce à haute
fréquence.
Je n’ai aucune idée de ce que seront les
effets des réductions de dépenses gouvernementales qui se
verront appliquées vendredi prochain. Mais quelque chose me dit que
cette claque portée sur le crâne tatoué de notre grande
nation s’avèrera salutaire, si ce n’est dans le sens
où elle ouvrira les yeux aux masses et à leurs escrocs de
dirigeants que quelque chose qui ne peut durer indéfiniment doit un
jour prendre fin.
Ce qui m’inquiète, en tant qu’opposant
aux idées de droite, est que le gouvernement des Etats-Unis ne devrait
pas tenter d’intervenir sur une économie basée sur les
échanges volontaires, particulièrement lorsque les circonstances
invitent cette économie à se transformer. C’est là
ce que notre gouvernement a tenté de faire des décennies
durant, et qui nous a jeté avec abandon dans les bras d’une
nouvelle ère de contraction permanente qu’aucune figure
politique ne parvient plus à comprendre. Ces derniers temps, cette
tendance s’est développée avec l’idée
qu’une nouvelle technologie salvatrice ou qu’une recette
financière secrète viendra un jour rétablir notre bon
vieux nirvana techno-industriel, si tant est que nous soyons assez
‘intelligents’ pour cela. C’est pour moi une utopie
similaire à la bulle sur le gaz de schiste (‘Nous serons
bientôt indépendants sur le plan
énergétique’) et à l’idée que la
construction de nouvelles usines Apple qui emploient une majorité de
robots pourront sauver les cols bleus Américains de leur
destinée en tant qu’employés fainéants de
boutiques de quartier.
Nous aurons bien entendu beaucoup de travail à
faire avant que les Etats-Unis puissent entrer dans la prochaine phase de
leur Histoire, mais nous ne voulons pas en entendre parler, parce que cette
idée viole notre étroite zone de confort. La
vérité, c’est que nous avons besoin de fermiers locaux.
Lorsque l’industrie agricole s’effondrera, les réseaux de
distribution et les supermarchés s’effondreront avec elle. Les
dirigeants politiques des Etats-Unis n’en informeront pas leurs sujets
citoyens, ni ne cesseront de supporter politiquement leurs patrons de
l’industrie alimentaire. A dire vrai, les citoyens Américains ne
parviennent pas à s’imaginer travailler
dans les champs. Ils préfèreraient mourir de faim plutôt
que faire le travail que les immigrés Mexicains font maintenant depuis
plusieurs générations – immigrés Mexicains qui
finiront eux-aussi par mourir de faim, avec The Real Housewives of Beverly Hills sur écran plat comme toile de fond.
Si nous étions plus que de stupides esclaves de nos
téléphones ‘intelligents’, nous reconstruirions les
réseaux de voies ferrées en prévision du jour où
l’ère motorisée prendra soudainement fin pour une majorité
de la population. Notre manque d’intérêt pour de tels
projets nous retomberont un jour dessus. Les hommes
politiques qui cessent systématiquement de financer les voies
ferrées, comme c’est le cas dans le Nord-Est, le font parce
qu’ils ignorent tout autant que leurs constituants ce qui est sur le
point de leur tomber sur le coin du nez. Les hommes politiques, tout autant
que le public, continuent de rêver à l’ère des
voitures sans chauffeur alimentées par un nouveau carburant que
personne ne connaît encore. Nous ressentirons les effets de cette
stupidité lorsque nos enfants et petits-enfants n’iront leur vie
durant pas plus loin qu’à quelques kilomètres de leur
ville natale.
Ce qui me frappe aussi, pour en revenir à la
série House of Cards, est que les dirigeants sont transportés
au travers de Washington en limousine, même les représentants du
Congrès venus d’Etats où personne ne manque encore avec
un couteau et une fourchette. Avachis dans leur siège en cuir, ils
regardent amoureusement l’écran de leur téléphone,
rendant la vie incessamment plus difficile pour tout le monde dans notre
triste pays. Quelle tragique nation de cancres nous sommes-nous
construite…
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