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La guerre n'est pas qu'une
période d'anéantissement massif de vies et d'infrastructures physiques.
C'est aussi une période d'abrutissement général de la
pensée. Tout à coup, l'État et les politiciens
acquièrent une aura de grandeur et de gloire en tant que
défenseurs de notre liberté et protecteurs de notre
sécurité, et il faudrait se rallier à eux et contenir
toute critique. La Nation (la nôtre, avec un N majuscule) se pare tout
à coup de qualités surhumaines, pendant que l'ennemi est
réduit au rang de bête sauvage à éliminer. Ceux
qui refusent d'être embrigadés dans cette hystérie
guerrière sont considérés comme des traîtres et
– ce fut le cas lors des deux dernières guerres mondiales
– on les empêche de s'exprimer et on les emprisonne.
L'économique est un autre domaine qui subit le
contre-choc de ce sentiment belliciste. De façon tout à fait
absurde, un processus qui se définit essentiellement par la
destruction en vient à être considéré comme une
source de prospérité et de croissance.
Karl Marx croyait que les guerres étaient une façon pour les
États capitalistes de contrer les effets des crises économiques
qu'ils subissaient périodiquement. Au 20e siècle, Keynes et ses
émules ont popularisé l'idée qui veut que les
dépenses militaires, comme toute forme de dépenses des gouvernements,
permettaient de « stimuler » l'économie et donc de sortir
de la crise. L'hypothèse a semblé se confirmer lorsque le
chômage de la Dépression des années 1930 s'est
résorbé pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont ces
détritus théoriques qui sont à l'origine de la croyance
populaire selon laquelle « Il nous faudrait une bonne guerre pour
relancer l'économie ».
La vitre cassée
revisitée
Cette croyance n'est en fait qu'une
version du célèbre sophisme de la vitre cassée (voir LA
VITRE CASSÉE, OU COMMENT CRÉER DE LA RICHESSE EN
DÉTRUISANT, le QL, no 83), sophisme
démoli par Frédéric Bastiat il y a plus de 150
ans.
Les
illettrés économiques qui acceptent cette « logique
» pensent comme suit: lorsque le gouvernement se met à dépenser
pour acheter des canons, des jets, des frégates, etc., il emploie un
tas de gens et provoque des investissements massifs dans l'industrie
militaire; ces nouveaux employés et nouveaux facteurs de production
à leur tour occasionnent des dépenses dans d'autres secteurs
non militaires qui vont aussi engager du personnel et investir, etc., ce qui
fait rouler l'économie encore plus. De la même façon, la
vitre cassée procure un marché au vitrier qui augmente son
chiffre d'affaire, crée de l'emploi, dépense ses revenus, etc.,
ce qui provoque un mini boom économique.
Comme
l'explique Bastiat, voilà ce qu'on voit dans l'immédiat. Ce
qu'on ne voit pas, ou ce qu'on refuse de considérer parce que
ça demande un effort intellectuel de plus que quelques secondes, c'est
ce qui aurait pu être produit à la place de la vitre. Le
propriétaire de la vitre cassée est en effet perdant. L'argent
qu'il doit consacrer au remplacement de la vitre ne sera pas
dépensé, par exemple, sur une nouvelle paire de chaussures, ce
qui ne fera pas augmenter les ventes du cordonnier, etc., ce qui
contrebalancera négativement le mini boom dans l'industrie de la
vitre. Le résultat net est simplement que le propriétaire de la
vitre cassée aura une nouvelle vitre – bref, sera au même
point qu'avant – mais n'aura pas la paire de chaussures qu'il aurait pu
s'acheter avec ce montant. Bref, il sera plus pauvre.
Que se
passe-t-il lorsque le gouvernement investit dans l'industrie militaire? Il
retire simplement de l'économie les fonds qui auraient permis
d'investir dans l'industrie de la construction, dans l'industrie
pharmaceutique, ou dans l'industrie touristique. Les ressources sont
limitées – une réalité qu'il faut constamment
répéter, même si c'est une évidence. Un
travailleur ne peut pas à la fois construire des bombes et construire
une maison. Les fonds investis dans les objets de guerre proviennent des
taxes – c'est de l'argent que le contribuable ne pourra pas
dépenser ailleurs. Toute dépense du gouvernement fait en sorte
de déprimer l'activité économique dans d'autres secteurs
qui voient leur capital, leur main-d'oeuvre ou leur
matériaux devenir plus chers et difficile à obtenir à
cause de cette réallocation majeure des ressources.
Tous plus pauvres
Loin de créer un boom
économique, la guerre appauvrit tout le monde. Au lieu de servir
à produire des biens que les consommateurs veulent avoir, les facteurs
de production (capital, matériaux, main-d'oeuvre)
servent à construire des objets de destruction qui n'augmentent
aucunement le bien-être ou la richesse de qui que ce soit. Pendant
toute la période de la Seconde Guerre mondiale, presque tout le monde
travaillait (même les femmes qui auparavant restaient à la
maison pouvaient se trouver un emploi dans une usine), mais presque personne
n'avait les moyens de s'acheter une nouvelle maison, une nouvelle voiture, de
nouveaux appareils ménagers, ou de se payer un voyage à
l'étranger, etc. La nourriture et d'autres biens essentiels
étaient rationnés et bien que la grosse misère de la
Dépression se soit résorbée, ce n'est pas la
prospérité qui l'a remplacée.
Le fait
que le chômage semble se résorber pendant une guerre est en fait
une illusion: il est très facile pour le gouvernement
d'éliminer le chômage lorsque la main-d'oeuvre
est conscrite, dans l'armée ou dans l'industrie, comme en
période de guerre. Si le gouvernement forçait par exemple
demain matin tout le monde au-dessus de 18 ans qui ne travaille
pas à creuser des trous pour un salaire de pitance, le chômage
disparaîtrait comme par enchantement. Serions-nous plus riches?
Certainement pas. Des facteurs de production seraient gaspillés pour
produire des biens absolument inutiles – des trous – au lieu de
servir à produire des biens en demande. La même chose se produit
en période de guerre.
Cette
explication n'est pourtant pas si compliquée. Malgré tout, de
prétendus économistes tels Paul Krugman
aux États-Unis affirment sans rire que les dépenses massives
des gouvernements à la suite des attentats du 11 septembre –
elles ont déjà commencé, alors que nous ne sommes
techniquement même pas en guerre – auront au moins l'avantage de
nous sortir de la morosité économique des derniers mois.
Les
imbéciles qui nous gouvernent au Québec n'ont évidemment
jamais entendu parler de Bastiat et n'y comprennent strictement rien eux non
plus. « Chaque fois qu'il y a malheureusement un drame
comme celui-là, ça génère par ailleurs d'autres
types d'investissements. Et si on a un creux temporaire, il y a une
remontée de la croissance et donc une croissance du PIB »,
affirme celle qui est censée gérer les finances de la province,
Pauline Marois. (Le Devoir, 14
septembre)
Son patron n'est pas en reste et
dit s'attendre lui aussi à ce que cette tragédie ait des effets
positifs. Le jour où il annonçait une série de projets
d'investissement dans le but de contrer le ralentissement économique,
Bernard Landry déclarait: « C'est paradoxal, dans
ces grandes tragédies humaines, des contrecoups économiques
survenant plus tard prennent parfois des allures positives. »
(La Presse, 28 septembre) C'est le même homme qui, lorsqu'il
occupait le poste de sa collègue Marois il y
a quelques années, affirmait que la crise du verglas allait avoir des
effets bénéfiques pour les régions touchées.
Rien pour aider
Les dépenses, «
investissements » et autres « programmes d'aide
» des gouvernement en période de
crise, loin d'atténuer les effets du malaise économique
provoqué par l'incertitude et les préparatifs de guerre,
aggravent en fait la situation.
Oublions le fait que les investissements des gouvernements sont de toute
façon toujours inutiles (s'il s'agissait de projets vraiment
utiles et rentables, le secteur privé aurait pu les financer; sinon,
c'est de l'argent jeté par les fenêtres) et admettons que la
guerre est inévitable et qu'il faut se défendre. Qu'on le
veuille ou non, cela implique une réorganisation majeure de
l'activité économique, qui se doit de refléter la
nouvelle demande pour des biens reliés aux activités
militaires. Cette réorganisation ne peut se faire sans bouleversements
majeurs, sans mises à pied ou fermetures d'usines. Les facteurs de
production qui serviront à la fabrication d'armes doivent en effet
venir de quelque part et ils viendront inévitablement des secteurs qui
connaissent subitement une demande réduite, l'aviation civile par
exemple.
En
renflouant à coups de milliards des compagnies aériennes au
bord de la faillite, en devançant la réalisation de programmes
d'infrastructures, en investissant massivement dans des projets industriels
qui ont une pertinence moindre en situation de crise, on engage des
ressources qui seraient plus utiles ailleurs et qui devront
éventuellement être détournées au profit des
nouvelles priorités. On démarre la construction d'usines qui
resteront vides pendant des années, de centrales
hydroélectriques qui ne produiront pas d'électricité
avant des années, de stations de ski qui ne verront pas de skieurs
avant des années. Et lorsque la guerre surviendra, nos gouvernements
à cours d'argent (après cette orgie de dépenses et d'«
investissements ») n'auront pas le choix d'augmenter les
impôts de façon drastique pour financer les dépenses
militaires.
Comme
l'explique Ludwig von Mises (voir THE ECONOMICS OF WAR),
la réaction typique des gouvernements en période de guerre est
d'imposer un contrôle bureaucratique sur la plupart des secteurs
économiques, au lieu de laisser l'économie de marché
s'adapter à la nouvelle situation avec les mécanismes habituels
que sont la vérité des prix, la concurrence et l'entrepreneurship. Si l'on ne peut éviter les
bouleversements entraînés par la guerre, on peut pourtant le
faire avec le moins de dislocation physique et humaine et le plus
d'efficacité possible. Aveuglés par la vague d'hystérie
guerrière, les gouvernements s'imaginent qu'ils peuvent commander
à l'économie de la même façon qu'ils commandent
à leurs généraux et que les ressources se mettront en
place comme une rangée de soldats dociles et bien
entraînés. Nul doute que nous verrons la même chose se
produire dans les prochains mois si ce conflit
dégénère.
Stimuler la dépense
La stupidité de nos
dirigeants ne s'arrête cependant pas là. Non seulement
veulent-ils se donner les moyens de stimuler l'économie et de se
préparer à la guerre en même temps, mais ils encouragent
la population à dépenser parce qu'il s'agirait là d'un
comportement « patriotique »!
George
W. Bush invite ainsi les Américains à prendre l'avion et
à visiter Disneyland; Rudolph Giuliani
affirme que New York a besoin que les « meilleurs
acheteurs du monde » retournent dans ses restaurants,
magasins et spectacles sur Broadway; Tony Blair invite les Britanniques
à reprendre leurs habitudes de magasinage et Jean Chrétien dit
aux Canadiens que « c'est le temps d'aller se prendre une
hypothèque, de s'acheter une maison, de s'acheter une voiture ».
(National Post, 28 septembre)
Inutile
de chercher l'explication bien loin, ce sont encore les mêmes mythes
économiques qui sous-tendent ces déclarations: si les
consommateurs dépensent, ça crée de l'emploi et de
l'investissement, ça fait rouler l'économie, etc.
N'importe
qui peut pourtant comprendre qu'en période d'incertitude, le
comportement prudent et rationnel à adopter est d'économiser et
de se préparer à des périodes plus difficiles, pas de se
lancer dans des dépenses qui semblent tout à coup moins
importantes ou même frivoles. Tant pis si cela signifie que des
compagnies devront s'ajuster en réduisant leur production et en
mettant des employés à pied. Ce sont les producteurs qui
doivent s'adapter aux besoins des consommateurs, pas ces derniers qui doivent
dépenser même s'ils préféreraient ne pas le faire
de façon à maintenir une production devenue inutile. La
production n'est pas une fin en elle-même, elle n'est qu'un moyen de
combler les besoins des consommateurs.
Qui
plus est, même si les gens dépensent moins et
préfèrent économiser pour se préparer à
des temps plus difficiles, cet argent ne reste pas caché sous les
matelas, il est déposé en banque ou dans des placements quelconques
et donc, c'est de l'épargne qui sert aux investissements. C'est
d'autant plus important d'avoir des fonds disponibles pour les
investissements en période de bouleversements et de
déplacements de la production comme en ce moment. Les
keynésiens ne comprennent pas cela et croient que l'épargne,
c'est comme de l'argent qui « dort » inutilement. Il faut donc
éviter cela et inciter les gens à dépenser pour faire «
rouler » l'économie. Pour eux, il suffit que la banque
centrale (sous contrôle étatique) baisse les taux
d'intérêt et fasse couler le crédit à flot pour
qu'il y ait des fonds disponibles pour les investissements (ce que fait
Greenspan depuis des mois, encore plus au lendemain des attentats).
Évidemment, ces fonds ne sont pas de la véritable
épargne, ce n'est que de l'argent artificiel, i.e. de l'inflation, une
autre façon de voler la richesse des contribuables.
Ce sont
des illettrés économiques qui nous gouvernent, et en conjuguant
leur ignorance et leur stupidité à l'abrutissement de la
pensée qui règne en période de guerre, on peut
être certain que le résultat sera désastreux. En faisant
comme si on pouvait préparer la guerre et en même temps jouir du
niveau de vie auquel nous sommes habitués en temps de paix, ils nous
garantissent des bouleversements économiques pires que ce qui est
nécessaire.
Il y a
évidemment une solution bien simple pour éviter tous ces
bouleversements, économiques et autres: ne pas s'engager dans un
affrontement qui n'a aucune logique militaire, aucun fondement moral, et qui
n'est aucunement nécessaire pour attraper et punir les instigateurs
des attentats du 11 septembre.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
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