Après d’interminables heures de discussions en commission spéciale, plus d’une centaine d’heures de débats en séance publique, l’exécutif français constate, groggy, qu’il pourrait ne pas obtenir la majorité pour faire voter la Loi Macron, petit texte guilleret de plus de 200 articles (simplification administrative, bonjour !). La décision est donc prise d’utiliser l’article 49-3, c’est-à-dire d’engager la confiance du gouvernement pour faire passer la loi en force.
Le surfing échevelé du gouvernement sur la vague 11 janvier prend donc fin plus d’un mois après, le 17 février, sur le sable râpeux de la réalité parlementaire : les députés, qui n’ont jamais vraiment été Charlie, ne le sont définitivement plus du tout. Avec le 49-3, le gouvernement Valls sait pertinemment ne prendre aucun risque : il y a d’abord les menaces d’exclusion de tout député qui viendrait à refuser sa confiance au gouvernement en votant pour l’inévitable motion de censure que vont déposer des parlementaires de l’opposition (et les communistes, jamais en mal d’une fourberie), et ensuite le fait que, de toute façon, la loi aurait probablement pu passer sans trop de souci, à une poignée de voix près.
Si le risque parlementaire est nul, le risque politique est lui assez mesurable, et il est déjà en train de se concrétiser puisqu’il n’a pas été compliqué d’exhumer les positions antérieures des différents membres de ce que la France prétend avoir pour gouvernement. Et ces positions sont on ne peut plus claires : tant Valls que Hollande étaient farouchement opposés à toute utilisation de ce passage en force.
Valls, par exemple, c’est l’un des députés qui déposa, en mai 2008, un amendement dans le cadre de la modernisation de la vie publique, visant à supprimer la plupart des usages de l’article 49-3. Manifestement, les arguments de l’époque ont été habilement dilués dans la soupe clairette de couleuvres qu’il lui a fallu avaler pour devenir Premier ministre. Ou, plus prosaïquement, disons que les convictions du député ont su s’effacer devant les impératifs du ministre et son besoin d’autorité.
Et puis, difficile d’oublier que François Hollande lui-même s’était vertement prononcé contre l’usage de cette facilité lors du vote du CPE. Finalement, Le Changement, C’est Pratique™ et ça permet d’oublier assez vite des positions qu’on aurait pu avoir précédemment et qui encombreraient maintenant le passage. Et puis, ce n’est pas comme si le président en était à son premier gros bobard. L’habitude est maintenant largement installée, un de plus ou de moins ne changera rien à l’opinion désastreuse des Français à son égard. Dès lors, pourquoi s’en priver ?
Ces considérations politico-politiciennes mises à part, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi nos loustics font un tel assaut d’autoritarisme pour sauver la Loi Macron ? Parce qu’à bien y regarder, elle a beau s’étaler langoureusement sur des pages et des pages, la réalité, aussi morne et plate que le papier sur laquelle elle est écrite, est que cette loi a été, progressivement mais sûrement, vidée de toute sa substance.
J’évoquais la question dans un précédent billet : chacune des « courageuses réformes » du turbo-libéral de Bercy aura été lentement dégonflée et bordée de tant de précautions qu’à la fin, il n’en reste plus grand chose. Le gouvernement nous promettait le Pérou, il nous a présenté un projet qui atteignait à peine Maubeuge, et tout indique qu’on devra s’estimer heureux si on parvient à Sèvre-Babylone.
La poignée de dimanches ouvrés, dans une France où plus de 30% de la population active travaille de toute façon le dimanche, ne changera rien. Les notaires, les dentistes, les pharmaciens ont largement eu gain de cause et les petits bricolages qui restent auront des conséquences minimes sur leurs activités. La libéralisation du transport routier de passagers est une blagounette réservée aux lignes de plus de 100 km, et encore. Les assouplissements pour l’obtention du permis de conduire et les allègements fiscaux pour les PME sont parfaitement anecdotiques face aux graves problèmes économiques de la France. Quant aux retouches du code du travail et les règles de licenciement, c’est tellement barbouillé de conditionnel, de précautions et de possibilités reléguées aux différents partenaires (syndicaux notamment) que l’impact de la loi sera diaphane ou neutre, au mieux.
Et c’est ça qui est particulièrement consternant : même vidée de sa substance, même lorsque la loi présente des petits ajustements micrométriques sur un maquis de règlements, de décrets et de textes touffus et confus, même si tout le monde sait qu’elle ne représente même pas une réforme profonde de quoi que ce soit mais plutôt un outil de communication à l’usage bruxellois pour apaiser nos créanciers, même sachant tout cela, il lui faut le 49-3 pour passer.
Ceci montre clairement deux choses.
D’une part, le parlement est de moins en moins acquis à la cause hollandesque ; le PS est déchiré intérieurement, probablement autant que l’UMP, mais avec une façade à peine plus solide. En deux ans et demi, François Hollande, qui tenait une majorité dans les villes, les départements, les régions, au Sénat, à l’Assemblée Nationale, se retrouve donc dans la situation où plus rien ne semble acquis. Les deux prochaines années ne pourront donc pas se passer sur le velours (déjà lui-même fort relatif) du passé. On voit mal comment ceci peut être pris pour autre chose qu’un échec d’autant que si les députés se comportent ainsi, c’est essentiellement parce qu’ils sont en décalage de plus en plus fort avec leur électorat, et sentent de plus en plus nettement le vent du boulet Front National leur raser la nuque. Bref, le pays n’est plus ni gouverné, ni présidé, et les responsables politiques semblent tous sur le mode « Sauve qui peut ».
D’autre part, et c’est encore plus navrant, ce 49-3 dégainé dans la douleur montre que personne n’est plus prêt à réformer la France, même un peu. Il n’y a qu’un vaste champ de couards et de pleutres, mobilisés pour leur mandat qu’ils sentent compromis. La réforme ? Malheureux, vous n’y pensez pas, des élections approchent !
Les politiciens du pays, élus au départ sur la promesse du changement, illustrent ici, tous autant qu’ils sont, qu’ils n’ont absolument pas l’étoffe des hommes de réforme, de leaders capables de sortir le pays de l’ornière, et ceci est vrai tant du côté du gouvernement qui n’a pas arrêté de reculer devant les pressions des lobbies, de la rue, des syndicats et des partis de gauche, que du côté des parlementaires qui se dissocient de plus en plus de toute velléité de mettre à plat un système qui nous a conduit au bord de l’abîme. Le gouvernement et les parlementaires, dans une espèce de course mortelle à celui qui bougera le moins, ont donc déjà scellé notre avenir.
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