Rhétorique, monnaie et comptabilité : comment s'en sortir.

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Published : November 23rd, 2011
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1. La rhétorique.

On voudrait que les socialismes - la démocratie sociale que nous connaissons en est un type - soient des formes atténuées des communismes, voire n'aient rien à voir avec ces derniers.

En vérité, ils sont pires comme s'y attendaient qu'ils le seraient, par exemple, Adolphe Thiers, 1848 ou Vilfredo Pareto dans la décennie 1890,

Ils sont pires, en particulier, car ils n'appellent pas "chat" un chat, mais "chien" ... Les communistes font certes de même, mais c'est plus pataud, moins insidieux.

C'est ainsi qu'ils sont pires car ils dénomment en effet "incivilités" des violences éhontées faites aux personnes, "justice sociale" l'injustice, "dépenses fiscales" des vols légaux d'un montant moindre que le montant attendu, pour ne pas parler des "techniciens de surface" ou des "agents d'ambiance" pour quoi aucune "traduction" de bon aloi en "non socialisme" n'est disponible.

Et tout cela est destiné à faire imaginer, rêver ou cauchemarder selon les sensibilités, les uns et les autres pour mieux les conditionner.


En d'autres termes, les destructions qu'occasionnent les socialismes commencent par celle du sens des mots, par la rhétorique au mauvais sens du mot, et s'y articulent.

Aussi faut-il en finir avec cette rhétorique ... au mauvais sens du mot.


2. La rhétorique de la monnaie.

La rhétorique au mauvais sens du mot dans le domaine de la monnaie est particulièrement développée et destructrice comme nous pouvons le constater aujourd'hui, et comme chacun devrait s'en rendre compte étant donnée la réalité à quoi elle a finalement contribué à conduire.

Malgré cette réalité, certains continuent à soutenir, explicitement ou non, par exemple, qu'une banque centrale - la banque centrale européenne par exemple - est un "facteur de stabilité économique" et que, sans banque centrale, tout irait à vau-l'eau, ce serait pis...

Dans le meilleur des cas, ils taisent dans leur prétendu raisonnement pour parvenir à ce jugement, que la banque centrale est un monopole étatique obligatoire, donc violent.
Et ils n'hésitent pas à dire que, dans les autres domaines économiques sur quoi ils s'apesantissent, les monopoles sont déstabilisants, des facteurs d'instabilité.
Et ils ne se rendent pas compte du chaos intellectuel où les propos qu'ils tiennent les situent.

Dans le pire ? N'en parlons pas trop. 
Disons qu'ils font des arabesques sur le thème de "la monnaie, un bien pas comme les autres" ... dont les hommes de l'Etat doivent être maîtres.


3. Qu'est-ce que la monnaie ?

Dans le Journal des économistes, Joseph Garnier écrivait en 1864 :

"La notion de la monnaie est une des plus fondamentales en économie politique [...]
L'idée qu'on s'en est faite a conduit aux formidables erreurs du système mercantile et de l'exclusivisme commercial, aux altérations et spoliations de plusieurs siècles de générations, au papier monnaie qui a fait tant de ruines dans le passé et qui est encore une plaie de l'économie contemporaine" ( J. Garnier, 1864, p.253)

Peu de choses ont changé dans le bon sens depuis lors en dépit de la longue série de changements tant techniques que scientifiques qui ont vu le jour, jusqu'à aujourd'hui inclus.

Il faut se rendre à l'évidence : l'idée de la monnaie est fondamentalement ravagée par la rhétorique et la réglementation que celle-ci propulse.  Dans un billet précédent du 17 octobre 2011, j'ai déjà eu l'occasion de le signaler.

Mais la réglementation est multiforme et il convient de cibler son plus gros vecteur, à savoir la comptabilité bancaire.


4. Il y a comptabilité et comptabilité. 

La comptabilité bancaire actuelle est une comptabilité réglementaire dont les manipulateurs n'ont tiré les conséquences ni de l'interdiction de la convertibilité intérieure en monnaie or des billets et dépôts à vue bancaires - i.e. des "substituts de monnaie bancaires" (S.M.B.) comme les dénommait avec perspicacité Ludwig von Mises -, dans la décennie 1930, ni de l'abandon de la convertibilité extérieure depuis 1971-73.


Curieusement, les substituts désormais ... de rien, au lendemain des interdictions, sont restés inscrits, comme si de rien n'était, au passif du bilan des banques, au passif du bilan des  banques centrales en ce qui concerne les billets dont celles-ci ont, chacune, reçu le privilège de monopole d'émission, et en ce qui concerne les dépôts à vue, au passif du bilan des banques de second rang .

Et certains ont cru se tirer de ces mauvais pas en y voyant des dettes des banques, des créances de ceux qui en sont titulaires sur ces dernières.
Jacques Rueff avait mis le doigt sur le point à l'occasion de la perspective, à la fin de la décennie 1960, de l'allocation des droits de tirages spéciaux (D.T.S.) par le Fonds monétaire international en dénommant « néant habillé en monnaie » ceux-ci.


Hier, parler de monnaie, de crédit
et de liquidité situaient du côté "actif" du bilan, parler des "substituts de monnaie bancaires" situaient du côté "passif"...
Aujourd'hui, liquidité et crédit situent du côté "actif" et "substituts de rien bancaires" - "billets et dépôts" bancaires" - du côté "passif".

Ce qu’on dénomme « monnaie » aujourd’hui n’est donc pas comparable à ce qu’on dénommait ainsi il y a un siècle.
La monnaie au sens d’hier n'existe plus car elle a été détruite entretemps.

De fait, ils se situent d'abord "hors droit"... et, sans se soucier des contradictions, ils font allusion à des notions juridiques (créances - actifs - pour les uns et dettes pour les autres autres) qui ont perdu toute signification.


Aujourd’hui, "monnaie" est le nom donné à l’ensemble des billets et des dépôts bancaires.
Celui-ci a toujours une contrepartie comptable bancaire mais cette contrepartie ne saurait avoir la signification de "couverture" qu'elle avait antérieurement …

Il y a un siècle, « monnaie » désignait la monnaie or ou argent et les billets émis, voire les dépôts bancaires, i.e. les « substituts de monnaie bancaires » convertibles en or ou en argent.
Et les S.M.B. étaient couverts comptablement dans une certaine proportion par la monnaie or ou argent.


La réglementation qu'est l'interdiction de la convertibilité des S.M.B. ne doit pas cacher le fait que les règles de la comptabilité bancaire n'ont pas été modifiées en conséquence et créer des illusions ou fait entrer dans la magie.
La monnaie ne procède plus du droit, mais de la comptabilité réglementaire et d'une fixation a priori sans raison de la structure de l'actif comptable.


En toute rigueur, on ne devrait plus parler de "monnaie".
C'est une hérésie comptable.
C’est un abus de langage qui atteste de l’abus de droit ou du coup d’Etat qu'a été l’interdiction de convertibilité.

La modification de la réglementation bancaire en matières de convertibilité et de couverture comptable, appuyée sur une constance des règles de la comptabilité bancaire, contre toute attente, a contribué en effet au
déplacement du sens du mot « monnaie » au XXème siècle .

Comment peut-on voir dans les billets et les dépôts bancaires, des créances des agents économiques sur les banques, des dettes de celles-ci ?
Le prétexte qu'ils sont restés inscrits au passif du bilan des banques est un leurre qui dure depuis l'interdiction de convertibilité.



La comptabilité bancaire cache aujourd’hui une réglementation qui fait qu'elle est différente de la comptabilité du passé quoique son apparence n'ait pas été modifiée.
Elle donne lieu à soi seule à une rhétorique au mauvais sens du terme qui se répercute sur la compréhension que chacun peut avoir de la monnaie.
 

En définitive, nous vivons aujourd'hui les effets à long terme des interdictions de la convertibilité et de la cuisine inadmissible à quoi celles-ci ont donné lieu et dont est issu ce qu'on dénomme l'euro.



5. L'échange synallagmatique.

Il faut réhabiliter l'échange synallagmatique comme concept d'analyse économique central et ne pas le laisser caché par le concept de "marché" tant perverti ou ceux, fondamentalement comptables, d'"exportations" ou d'"importations".

La "valeur économique" résulte de l'échange synallagmatique et de rien d'autre.
En particulier, elle ne résulte pas de "consommations obligatoires", ni de "productions subventionnées" par l'Etat.

Quand les prix en monnaie des biens résultent d'échanges libres (cf. Pareto, 1896/97), ils sont des indicateurs de la "valeur économique" des biens, ils informent sur celle-ci et permettent à chacun d'en tirer des conséquences.

Il ne faut pas tomber dans le piège rhétorique qu'il y aurait des biens échangeables ou "marchands" et des biens qui ne le sont pas et qui sont donc "non marchands".
Il faut s'opposer à ce que les hommes de l'Etat ou des entreprises qu'ils privilégient disent qu'ils produisent des "biens non marchands" et qu'ils imposent leurs consommations.

Il faut seulement reconnaître que l'échange est une action humaine comme une autre - comme le sont la production, la consommation, etc. -, "qu'on ne fait rien sans rien", que l'échange fait intervenir des ressources - à commencer par du temps - dont dispose chacun et qu'à ce titre, l'échange est coûteux, comme toute action économique d'ailleurs.

Alors ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui n'est plus magique, mais retrouve sa raison d'être. 
La "monnaie" a en effet contribué, sans que personne ne le veuille d'une façon centrale et délibérée, à diminuer le coût de l'échange. 
Et ce n'est pas fini car le coût résiduel atteint n'est pas  nul.

Seulement, à cause de la pluie de réglementations nécessairement aveugles qui s'est abattue au XXème siècle sur la "monnaie", ce coût est largement supérieur à ce qu'il devrait être.


6. Ne pas les écouter.

A l'opposé, les économistes socialistes, à commencer par Léon Walras au XIXème siècle, mettent à l'écart sinon le concept d'échange, au moins celui de "coût d'échange" ou, à défaut,  le supposent "nul", pour résoudre plus aisément leurs systèmes d'équations linéaires en quoi ils décomposent l'économie.
Certes, aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ont abandonné la théorie des systèmes en question et font confiance à la topologie, mais cela ne change rien : soit le coût d'échange est mis de côté, soit il est supposé nul.

Vilfredo Pareto (1896/97), successeur de Walras à l'université de Lausanne, avait remis en jeu l'échange dans toute sa réalité, mais sa pensée a été déformée par le "Pareto revival" aux Etats-Unis, à partir de la décennie 1930.

Irving Fisher avait aussi affirmé son rôle avec son "équation des échanges" (1911), mais celle-ci a été mise en pièces par les macroéconomistes à partir de la même décennie 1930.

Ne parlons pas de John Maynard Keynes qui n'a pas hésité, dans sa Théorie générale... (1936) à laisser de côté le concept et à parler de "liquidité" plutôt que de monnaie, à confondre "liquidité" et monnaie ! Sa confusion a été renforcé depuis lors et est, aujourd'hui, d'une actualité brûlante.

Ne parlons pas non plus de Milton Friedman (1956) et des monétaristes qui ont eu l'audace de remplacer dans l'équation fisherienne les échanges par le "revenu réel", indicateur de la production !

Ne parlons pas enfin  des économistes néo classiques français qui, loin de prendre en considération toute la mesure de l'acte d'échange dans l'économie, affublent, comme leurs collègues étrangers, les droits de propriété ou le droit des contrats qui l'encadrent, d'"imperfections" - quand ils n'observent pas dans l'organisation économique depuis Hicks (1935) des "frictions" -, et donnent pour dénomination générique aux unes et aux autres la dénomination "coût de transaction", merveilleux anglicisme. 
Ils oublient qu'en français, la transaction n'est qu'un moment déterminant de l'échange, celui qui suit le contact mais précède l'accord et le prix et le règlement/livraison, si tant est qu'il y aura accord


Georges Lane

Principes de science économique

  

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.


Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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Un grand merci à M. Lane de dévoiler la mécanique intime de la comptabilité vaudou bancaire.
Monsieur Toulemonde peut-il faire aussi du hors bilan créatif ?
Quand est-il de l'égalité fiscale , qui est , me semble-t-il inscrite dans la constitution ?
Tout à fait excellent !
Un autre terme détourné est : "spéculation". Le matin poser le pied parterre hors du lit est déjà un spéculation. Décider d'y rester aussi d'ailleurs. La spéculation suit le résultat de l'analyse de la situation et entraîne une prise de décision. Nous faisons tous cela dans la vie et tout le temps. En matière financière c'est exactement la même chose pour la défense de ses économies ou de son travail. Un industriel, un commerçant, spécule aussi lorsqu'il prend position sur une fabrication ou un prix de vente. La gauche a détourné le sens de ce mot afin de culpabiliser ceux qui dépassent le QI moyen de la moule du moins en économie. Leur nombre semble augmenter en France ce qui serait une meilleure nouvelle pour l'avenir.
Spéculer sur la baisse ou même la disparition de l'euro est une hypothèse hasardeuse qui peut conduire à la fortune ou à la ruine. Cette spéculation a aussi un effet bienfaisant (tout comme les agences de notations) en faisant prendre conscience aux dirigeants des pays concernés que leurs erreurs pourraient être dramatiques sans elles car encore bien plus profondes.
Le véritable problème n'est pas la spéculation mais bien le délit d'initié. Mais c'est une autre histoire !
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Un grand merci à M. Lane de dévoiler la mécanique intime de la comptabilité vaudou bancaire. Monsieur Toulemonde peut-il faire aussi du hors bilan créatif ? Quand est-il de l'égalité fiscale , qui est , me semble-t-il inscrite dans la constitution ?  Read more
D. - 11/24/2011 at 7:28 PM GMT
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