L'Irlande et l'Etat européen potentiel.

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Published : June 18th, 2008
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Category : Fundamental

 

 

 

 

Les électeurs irlandais ont rejeté le 12 juin 2008, par référendum, le projet de traité convenu à la réunion du Conseil des Chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne le 13 décembre 2007, et réformant les règles juridiques de l'Union européenne : 

                53,4% de "Non" contre 46,6% de "Oui".


1. Pour fixer les idées.

Soit dit en passant, cette prétendue révision en 277 pages des documents fondateurs de l'Union européenne est pour le moins curieuse.

Le nouveau traité n'est en effet qu'une version reconditionnée d'une constitution élaborée entre 2002 et 2003 par une convention dirigée par l'ancien président de la République française, Valéry Giscard d'Estaing, et inspirée par la rédaction de la Constitution de Philadelphie des États-Unis en 1787.
Le document, avait dit Giscard, tiendrait 50 ans. Au lieu de cela, il s'est effondré, condamné en 2005 par veto lors des référendums organisés en France et aux Pays-Bas.

Des partisans de la Constitution n'ont pas renoncé et ont visé à la ressusciter, enveloppant une grande partie du contenu dans le traité dit de Lisbonne. Selon l'estimation de Daniel Gros, directeur du Centre for European Policy Studies à Bruxelles, 90 % du nouveau traité est la constitution précédente mais dénommée autrement (opinion que je partage entièrement comme vous pouvez le lire).

Le prétexte souvent avancé est le suivant :
"Nous ne sommes pas un petit club de 12 qui peuvent s'asseoir ensemble autour d'une table et discuter de choses et d'autres'', comme le partage Sara Hagemann, une analyste au European Policy Centre à Bruxelles .

Selon certains commentateurs ou politiques, le traité vise à aider l'U.E. à faire face à son expansion en Europe de l'Est.

Le Traité est le "point culminant des efforts visant à réorganiser l'U.E. après la chute du communisme et l'élargissement à de nouveaux membres d'Europe de l'Est,'' déclare John K. Glenn, directeur de la politique étrangère au German Marshall Fund à Washington.  "Il permet à l'UE d'avoir une action d'ensemble sur des questions telles que la sécurité, le terrorisme et l'immigration.''

L'U.E. demeure nettement en deçà de l'État fédéral imaginé par Jean Monnet, ce vendeur de cognac français qui s'est transformé en homme politique et a exposé des visions européennes audacieuses dans les décennies 1940 et 1950.

Le colosse commercial qu'est l'U.E. reste un nain géopolitique.  Deux exemples : les divisions de l'UE ont précipité l'effondrement de la Yougoslavie au début des années 1990, laissant aux États-Unis le soin de mettre fin au bain de sang. Le bloc vola en éclats lorsque le George W. Bush, président des Etats-Unis d'Amérique, a décidé d'envahir l'Irak en 2003.

Les ambitions de construire une force européenne de réaction rapide pour le maintien de la paix et des missions humanitaires ont trébuché sur l'égotisme national et un manque de fonds. Un objectif de 2003 de projeter une force de 60000 hommes dans des zones de conflit en 60 jours reste insatisfait.

Le traité prévoit ainsi une rationalisation de la Commission européenne , la suppression du veto national dans plusieurs domaines, davantage de pouvoir pour les parlements démocratiquement élus des pays membres, une réforme de la présidence du Conseil des Chefs d'Etat et de gouvernement et un poste des affaires étrangères renforcé.


2. Réactions à chaud.

Le vote irlandais est une belle gifle aux dirigeants de l'U.E. qui est composée désormais de 27 nations et dont les règles exigent que tous ses membres ratifient le projet de traité.
Seule l'Irlande a appelé cette fois le peuple à voter ! Le referendum est obligatoire pour tout sujet amendant la constitution irlandaise.

La Commission européenne a déjà dit que les autres pays devraient continuer à ratifier le traité qui, selon elle, vise à rationaliser la prise de décision. Soit dit en passant, cette déclaration montre le grand cas que les bureaucrates d'icelle font des choix des gens qui ne sont pas de leur avis.

Les dirigeants de la "campagne pour le Non" ont dit, pour leur part, que le vote était un "très bon résultat pour l'Irlande".
Un projet antérieur et plus vaste de Constitution européenne avait échoué après que les Français et les Hollandais l'eurent rejeté en 2005 par referendum.


3. "Eaux inconnues".

La "campagne pour le Non" l'a remporté par

                                   862 415 voix contre 752 451,

le taux de participation a été de 53,1%.

Evénement du résultat selon certains commentateurs, Dermot Ahern, le ministre de la Justice irlandais, a déclaré que le vote "Non" qui était prévu… laisserait l'U.E. dans des "eaux inconnues".

Brian Lenihan, le ministre des Finances irlandais, a déclaré pour sa part :
«Je suis très, très déçu de ce résultat. Je pense que c'est un triste jour pour l'Europe aussi bien que pour notre peuple."

Avant d'écrire une longue déclaration, José Manuel Barroso, le Président actuel de la Commission européenne, avait déclaré qu'il avait parlé au Premier ministre irlandais, Brian Cowen, et était convenu avec lui que ce n'était pas un vote contre l'UE.
"L'Irlande reste attachée à une Europe forte", a-t-il dit.
"Les ratifications devraient continuer à suivre leurs cours."

La France et l'Allemagne ont rapidement publié une déclaration conjointe exprimant leur regret sur le résultat irlandais.

L'Espagne a dit qu'une solution sera trouvée.

Mais Vaclav Klaus, le président de la République tchèque, a déclaré que désormais la ratification ne pouvait pas se poursuivre.

M. Barroso a informé que les dirigeants de l'UE devraient décider la semaine prochaine, lors d'un sommet, de la manière de procéder .
Il a appelé l'UE à maintenir l'attention sur les questions d'intérêt pour les gens comme l'emploi et l'inflation, la sécurité énergétique et le changement climatique.

Soit dit en passant, Oana Lungescu de la BBC à Bruxelles remarque que ce troisième échec référendaire - en trois ans - sur le traité de constitution de l'Union européenne souligne seulement l'écart grandissant entre les peuples et leurs dirigeants.
Antérieurement, les dirigeants européens avaient dit qu'ils n'avaient pas de "plan B" pour savoir comment procéder si l'électorat de l'Irlande votait "Non".

Declan Ganley du groupe anti-traité "Libertas" a dit que c'était un "grand jour pour être irlandais".
"Les gens de l'Irlande ont montré un courage énorme et une grande sagesse dans l'analyse des faits qui leur ont été présentés et dans la décision qu'ils ont prise", a déclaré M. Ganley.

La campagne pour le "Non" a été une vaste coalition allant de Libertas au Sinn Fein, le seul parti représenté au Parlement opposé au traité.
Gerry Adams, le président du Sinn Fein, a déclaré:
«Les gens se sentent en sécurité au cœur de l'Europe, mais ils veulent s'assurer qu'il y a un pouvoir démocratique maximum."


4. Confusion

Les partisans irlandais de l'accord, y compris le Premier ministre, Brian Cowen, et le principal parti d'opposition, essaient de neutraliser les critiques que le traité transférerait trop de pouvoir à l'UE, inonderait le marché irlandais d'aliments étrangers bon marché, ferait que l'U.E. s'empare du taux d'imposition de 12,5 % des entreprises d'Irlande, ou même ferait glisser le pays dans des guerres étrangères.

Les attitudes irlandaises soulignent les paradoxes qui ont marqué l'intégration européenne.
L'Irlande a tournoyé dans un filet de 55 milliards d'euros de subventions européennes depuis son adhésion au bloc en 1973, simultanément avec le Royaume-Uni et le Danemark.
L'aide au développement et l'accès au marché libre de frontière ont contribué à ce qu'elle devienne l'économie de l'Europe occidentale avec la plus rapide croissance dans la dernière décennie, et 74 % des Irlandais évaluent l'adhésion à l'UE comme une "bonne chose".

Beaucoup de commentateurs considèrent que de nombreux électeurs ne comprenaient pas le traité en dépit de la campagne de haut niveau qu'avait menée M. Cowen et qui avait le soutien de la plupart des principaux partis du pays.
Reste que, pendant la majeure partie de la campagne, les sondages avaient montré une pluralité de votes en faveur du "Oui" au traité. Mais l'opposition a augmenté progressivement, et un sondage de l'Irish Times / TNS MRBI publié le 6 Juin avait donné pour la première fois une avance aux "Non", 35 pour cent contre 30 pour cent. Un sondage publié par le Sunday Business Post montrait néanmoins le 7 juin que les supporters menaient par 42 % contre 39%, dans la marge d'erreur, avec 19 % indécis.

M. Cowen a accusé le "camp du Non" de "fausse déclaration" en disant que les électeurs avaient exprimé leur inquiétude sur "des questions qui n'étaient clairement pas du tout dans le traité ", a rapporté l'Irish Times.


5. 2008, Iliade ou Odyssée de l'Etat européen rêvé par certains.

Le traité devait entrer en vigueur le 1er janvier 2009. Quinze pays sur les vingt sept ont achevé sa ratification à ce jour.
Dans trois autres, celle-ci est actuellement en cours : le mercredi 11 juin dernier, le parlement grec a d'ailleurs entériné la réforme par :

                            250 voix "pour" et 42 "contre" !

Il y avait un peu plus de trois millions d'électeurs irlandais inscrits - certes, dans une Union européenne de 490 millions de personnes.

Soit dit en passant, alors que le boom immobilier semble se terminer en Irlande, la croissance de celle-ci est estimée par l'UE à 2,3 % en 2008, le taux de chômage à 5,6 %.

Pour sa part, avec un produit intérieur brut de 12,8 milliards d'euros ($ 19,8 milliards), l'U.E. est un grand bloc économico-juridique, disposant d'une banque centrale, d'une autorité de commerce et de régulation, et de près de cent mille pages de lois qui régissent un "marché commun" qui s'étend de l'Atlantique à la frontière avec la Russie.

Quant à l'euro , la monnaie d'une partie des pays de l'U.E., après avoir atteint un prix record cette année, il vaut actuellement spot aux environs de 1,55 $, à comparer à 1,17 $, son prix en dollar quand il a vu le jour, comme unité de compte des marchés financiers, le 1er janvier 1999.
Partagé par 15 pays de l'U.E., l'euro a écorné la domination du dollar en tant que monnaie de réserve. Il représente 26,5 % des "réserves de change mondiales", alors que le dollar en représente 63,9 %, soit le pourcentage le plus bas jamais atteint par celui-ci si on en croit le Fonds monétaire international.

L'Irlande avait refusé le traité de Nice instituant les premières réformes de l'Union européenne (créée par le Traité de Maastricht) lors d'un premier référendum en 2001.

Mais le gouvernement s'était employé à organiser rapidement un second referendum pour faire adopter le texte.

Le conditionnement ambiant explique aujourd'hui que le premier référendum avait rejeté le traité à cause de la préoccupation qu'il mettrait fin à la tradition de neutralité militaire de l'Irlande.
L'approbation "au second tour" suivit une déclaration de l'UE selon quoi rien de ce genre ne se produirait.

Cette fois, ce sont les interventions étrangères qui sont mises en cause.  Souvent vécues comme une "ingérence", les déclarations de dirigeants étrangers favorables au "oui", en particulier de ministres français, ont été du pain béni pour les opposants au traité de Lisbonne, selon le camp du "non".

"Je me demande parfois si certaines personnes en Europe ne faisaient pas exprès de provoquer un non", observe John McGuirk, porte-parole de Libertas, qui estime avoir reçu une aide inattendue pour obtenir le rejet du traité.

Les commentaires de Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères français, ont notamment eu un effet retentissant sur l'île de 4,2 millions d'habitants.
Le 9 juin, trois jours avant le vote, le chef de la diplomatie française avait estimé que les Irlandais "seraient les premières victimes" s'ils votaient "non". "Ils en ont profité plus que les autres", avait-il estimé à RTL.

La presse tabloïde s'était emparée de ces commentaires. L'Irish Sun avait publié à la "Une" une photo du visage de Bernard Kouchner (ci-contre une photo d'un autre grenouillage), sur laquelle avaient été apposés une grenouille ainsi que le titre : "Va grenouiller ailleurs".

Selon un sondage publié récemment dans l'Irish Times, 17 % de ceux qui se disaient prêts à voter "non" citaient comme raison principale qu'ils "n'aimaient pas qu'on leur dise ce qu'il faut faire".
L'enquête ne précisait pas s'il s'agissait des appels à voter "oui" en provenance de l'étranger ou du gouvernement à Dublin mais, selon le porte-parole de Libertas, les déclarations des autres pays européens ont eu "un impact significatif".

M. McGuirk cite aussi les propos rapportés par la presse en avril de Christine Lagarde, le ministre des Finances français, soulignant l'intention de Paris de pousser à une harmonisation de la fiscalité lors de la présidence de l'Union européenne qu'elle entamera en juillet.
Cette déclaration avait touché une corde sensible en Irlande, faisant craindre une volonté de Paris de remettre en cause le taux exceptionnellement faible de l'impôt sur les sociétés (12,5%) et qui est jugé sur l'île comme une des clefs de son formidable développement économique.
"Les commentaires de Christine Lagarde ont été un véritable cadeau", a déclaré M. McGuirk à l'AFP.

Tout au long de la campagne, les partisans du "oui" savaient qu'ils marchaient sur des oeufs quand un responsable européen venait soutenir leur camp. La venue de José Manuel Barroso avait ainsi été déplorée par l'ancienne députée européenne des Verts, Patricia McKenna, favorable au "non".

Mais Dick Roche, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, avait rejeté ces accusations, les estimant "déplacées et agressives".  Micheal Martin, le ministre des Affaires étrangères irlandais , avait également défendu les interventions étrangères, peu après les propos de son homologue français, Bernard Kouchner.
"C'est leur droit car notre décision va les concerner", avait dit M. Martin.

Mais l'effet peut jouer dans les deux sens. Le camp du "non" avait ainsi frémi quand un cercle estudiantin de Dublin avait invité en début d'année Jean-Marie Le Pen, opposant au traité de Lisbonne. Les "nonistes" irlandais avaient dit alors craindre que la venue du Français ait l'effet inverse sur leur camp...

"Il n'y aura pas de second référendum cette fois-ci", a assuré le gouvernement irlandais.

 

Georges Lane

Principes de science économique

  

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Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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