"De la propriété" de Adolphe Thiers

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Published : November 09th, 2011
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Category : Fundamental

 

 

 

 

Le texte ci-dessous est paru dans le périodique de l'aleps – association pour la liberté économique et le progrès social

 -, 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris (ci-contre).

dont les références sont : Liberté économique et progrès social, n°136, juillet 2011, pp. 43-46.

Comment situer le socialisme et le communisme l’un par rapport à l’autre ?
Comment situer les socialistes par rapport aux communistes ?

A cette double question de méthode, le XXème siècle a apporté des réponses factuelles terrifiantes… N’y revenons pas, tout le monde les connaît désormais vraisemblablement.

Mais la question est malheureusement toujours bien vivante en France, en particulier à chaque élection politique où, malgré tout, socialistes et communistes rivalisent entre eux, voire avec les politiques d'autres partis du moment quand ces derniers ne teintent pas certaines de leurs propositions de leurs couleurs et quand, alors là, l'électeur non averti n'y comprend plus rien.

Adolphe Thiers (1797-1877) a pourtant apporté une réponse limpide à la question à l’époque où celle-ci fleurissait : c’est le présent livre intitulé De la propriété avec le sous-titre « du communisme, du socialisme et de la fiscalité », publié pour le première fois en 1848, que viennent de rééditer les Editions du Trident.

La réponse est certes indirecte car le fond du livre est le bien, la propriété et sa mise en question dans la première moitié du XIXème siècle par les idéologies communistes ou socialistes, mais elle est complète car, à la destruction de la propriété par le communisme et le socialisme qu’il explique, le livre juxtapose l’impôt, ce « vol légal » comme l’a dénommé Vilfredo Pareto, né justement en 1848 – mort en 1923 -, dans le Cours d’économie politique (1896-97) qu’il donnait à l’université de Lausanne (Suisse) .

Après une première partie – en quatorze points - où il fait un tour complet - de la question - de la propriété…, A. Thiers étudie, dans une deuxième, la négation de la propriété par le communisme, en six points, puis, dans une troisième, sa première manipulation par le socialisme, en dix points, et enfin, dans une quatrième, sa seconde manipulation par l’impôt, en six points.
Le développement est d’une éminente clarté qui n’est pas sans faire penser à celle des écrits de son contemporain, Frédéric Bastiat (1801-50), tant sur le fond que sur la forme.

Il ressort de l’analyse que le communisme n’est pas réductible à un « caractère », au sens de La Bruyère, c’est d'abord la négation absolue de la liberté humaine.
Thiers considère en particulier que, pour la propriété, la discussion du communisme, c’est la même chose que, pour le mathématicien, la preuve par l’absurde (ibid. p.114).


Il en va tout différemment du socialisme et du « caractère » qu’est le socialiste et à qui Thiers réserve une peinture au point « dix » de la troisième partie (ibid. p.251-4).
A défaut de nier absolument la propriété, des adversaires de celle-ci en dénoncent des effets néfastes qu'elle aurait et affirment avoir trois grands remèdes pour les corriger, à savoir l’association, la réciprocité et le droit au travail.
Tout cela constitue, aux yeux de Thiers, le socialisme qu’il décrit en détails.
On remarquera en passant qu'en 1850, par exemple dans les Harmonies économiques, Bastiat a eu, lui aussi, en ligne de mire l’association et le droit au travail, mais pas la réciprocité.

Thiers considère que les socialistes, qui veulent se démarquer des communistes, sont en définitive plus inconséquents et moins sincères.
Et notre auteur, de donner l'exemple suivant :

« … les seuls [socialistes] qui fassent quelque chose de sérieux pour la classe dont ils s’occupent, sont ceux qui tout simplement proposent de la payer à tant par jour, comme l’avait imaginé M. de Robespierre, afin de l’avoir à sa disposition.
[…] les socialistes ont la prétention d’être des esprits plus pratiques et ils ne justifieraient à mon avis cette prétention qu’en s’avouant factieux, car je ne saurais définir autrement la volonté de payer à tant par jour pour ne leur donner rien à faire, cent mille ouvriers à Paris, cinq à six mille à Rouen et un nombre proportionné à Lille, à Lyon, à Marseille » (ibid., p.254)


Et l’impôt, étant donné tout cela, me demanderez-vous ?
C’est, selon Thiers, le moyen d’atteindre la propriété.

Reste que, pour lui, l’impôt doit atteindre tous les genres de revenus, ceux de la propriété et ceux du travail. Il doit être proportionnel et non pas progressif.
Il ne faut pas (se) tromper, comme il le souligne : en se répartissant à l’infini, l’impôt fait que chacun en supporte sa part en raison de ce qu’il consomme (ibid. p.239).
Parce que les réformes fiscales l’oublient, elles ne sont pas dans l’intérêt des classes laborieuses qu’elles disent vouloir satisfaire ou défendre.

Conclusion de Thiers :

« Entre les systèmes nouvellement inventés, y en a-t-il un seul qui pourrait guérir [le] mal, le convertir en bien ?
Est-ce le communisme […]
Est-ce le socialisme […]
Est-ce l’association […]
Est-ce cette singulière réciprocité […]
Est-ce le droit au travail […]
Serait-ce enfin en bouleversant les impôts […] » (ibid. pp.315-6)

Sa réponse liminaire à toutes les interrogations se veut factuelle et est interro-négative :

« Huit mois de misère n’ont-ils pas répondu à ces vaines théories?».

J’ajouterai aujourd’hui, en 2011, les interrogations se posant presque à l’identique : cent soixante trois ans de socialo-communismes plus ou moins achevés, ici ou là, mal finis ou en cours, n’y ont-ils pas répondu?
Le dernier argument en date au terme de quoi « la situation des Français serait pire si l’euro n’existait pas » n’y englue-t-il pas ?

En 1900, Pareto a écrit pour sa part :

« Etant donné l'absence de toute résistance de la part des libéraux, il se pourrait qu'un jour les socialistes orthodoxes [i.e. les communistes dans sa typologie] demeurassent les seules défenseurs de la liberté et que ce fût à leur action que notre société dût son salut.
Déjà en Allemagne […], en Italie […]
Aujourd’hui les socialistes orthodoxes étant opprimés réclament la liberté, mais nous la donneraient-ils s'ils étaient, demain, les maîtres?»

La réponse principale de Thiers à la question est :

« […] on a trompé ce peuple sur la nature du mal qu’il éprouve » (ibid. p.319).

Ce mal, c’est la « terrible égalité de souffrance » (ibid. p.323).
On peut bien sûr considérer qu’il a un auteur qui est un tyran et que le régime imposé à tous, c’est l’égalité de la tyrannie, c’est la douleur.

Mais, selon Thiers, « la religion va plus loin que la philosophie » (ibid. p.324).

Je paraphraserai son propos très résumé, trop résumé à mon goût, de la façon suivante : il en est ainsi car la religion tire une sublime conjecture des besoins de l’âme humaine.
Cette conjecture est un désir pour celui qui ne croit pas complètement, elle est une certitude pour celui qui a la foi entière.

De plus, seule la religion qu’est le Christianisme a donné un sens à la douleur.

« L’esprit humain a eu plus d’une contestation avec elle sur ses dogmes, mais aucune sur sa morale, c’est-à-dire sur sa manière d’entendre le cœur humain » (ibid. p.325).

Dans ces conditions, solution de Thiers au mal dénoncé par les uns et les autres, à quoi est censé faire face un type de communisme ou un type de socialisme ou un type de fiscalité, il faudrait parler au peuple comme la religion.
En vérité, le communisme l’avait compris et l'Histoire le montrera.
Mais Thiers ne l'écrit pas expressément.

Au lecteur de mettre le doigt sur l’idée, ce qu’il peut faire étant donné le point « six » de la deuxième partie où Thiers explique que le communisme est une imitation à contre sens de la vie monastique, impliquant des contradictions qui la rendent impossible (ibid. p.149).

Au XXème siècle, dans plusieurs écrits, Ludwig von Mises développera un argument semblable, mais plus spécifique car articulé à l’absence des prix en monnaie du marché dans un régime communiste, une absence qui rend le calcul économique et celui-ci impossibles.

Et il y aura la disparition de la plupart des « grands » régimes communistes au XXème siècle.


A l’orée de la campagne pour l’élection présidentielle en France, programmée pour 2012, le livre d’Adolphe Thiers est d’une actualité brûlante quoique plus d’un siècle et demi nous sépare désormais de sa première édition.
Le temps a passé, les idées communistes, socialistes ou fiscales sont restées les mêmes malgré tout, mais la vérité elle aussi reste la même.


Georges Lane

Principes de science économique

  

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.


Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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