Éducation, désamour et prospectives

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Published : September 05th, 2013
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Stupeur : par le truchement d’un sondage à la précision millimétrique, on apprend que les enseignants manquent d’amour, qu’ils se sentent mal aimés dans leur profession et qu’ils sont tout « frustré » face à leur métier. Toute la presse bruisse et enquête.

C’est Le Parisien qui le dit, dans un sondage EXCLUSIF avec du rouge et tout et tout : « sur les 499 enseignants de moins de 35 ans qui ont été sondés, la moitié éprouvent de la frustration face à leur métier, 79% se déclarent insatisfaits et ce, aussi bien au niveau symbolique qu’économique », oui oui, ce sont les termes employés. À n’en pas douter, des douzaines de sociologues chevronnés se pencheront sur l’interprétation qu’on peut donner tant au pourcentage recueilli qu’à l’expression « frustré face à son métier », tout comme il faudra sans doute une armée de philosophes du travail et autres penseurs de la société pour analyser l’insatisfaction de 79% au niveau symbolique.

Comme je reste un simple d’esprit ni sociologue, ni philosophe, je me contenterai donc d’enregistrer que nos enseignants s’estiment frustrés et insatisfaits.

L’article du Parisien nous apprend en outre que, je cite,

« Paradoxalement, ce sont les instituteurs qui semblent le plus souffrir de désamour »

Et pour Le Parisien, le paradoxe se situerait dans ce ressenti alors que les Français seraient, eux, majoritairement contents de leur école primaire. En outre, le journal relate que le principal problème de l’enseignant moderne se situerait au niveau de son salaire, évidemment trop faible, et des moyens à disposition, évidemment truffés de manques. Le fait qu’un Manque De Moyen soit maintenant une revendication chez les pompiers, les policiers, les juges, les magistrats, les gendarmes, les enseignants d’écoles et de facultés, et tout le personnel travaillant dans toutes les administrations locales, régionales et nationales, dans toutes ces activités où l’État a mis ses doigts devrait apparaître comme un marqueur typique : ou bien l’État intervient exclusivement dans les domaines où, chroniquement, on Manque De Moyens, ce qui en ferait l’acteur économique le plus malchanceux de la planète, ou bien (et je sais, je vais tenter une hypothèse hardie), les domaines où intervient l’État se retrouvent rapidement en Manque De Moyens. Allez savoir.

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Mais baste, passons : ce n’est pas le sujet. En réalité, si l’on oublie ce Manque De Moyen, il nous reste la question du vilain désamour et de la méchante frustration que nos enseignants ressentent. Ce n’est pas la première fois : à l’occasion de la rentrée scolaire, les marronniers journalistiques sont de sortie en petites foulées élastiques, et j’avais ainsi noté, il y a quelques années, la similitude des titres et traitements qu’infligeaient Libération et Le Monde, par exemple, à ce sujet. Au milieu d’un fleuve de larmes professorales, on apprenait toute l’horreur qui consistait à faire cours, à enseigner et à gérer des classes de maternelles pleines de peinture et de petits doigts couverts de chocolat.

Ceci posé, si l’on écarte prestement l’aspect caricatural des jérémiades relatées, le constat, lui, reste : oui, les enseignants se sentent mal aimés.

Et ils ont raison : à mesure que les années s’écoulent, on observe un décalage croissant entre l’idée qu’ils se font de leur métier au moment où ils le choisissent et leur ressenti après quelques années de pratique. La tendance existe. La question du pourquoi est rarement abordée. J’aimerai tenter d’apporter quelques pistes de réponse.

Tout d’abord, une évidence s’impose : si, il y a quarante ou même trente ans, la majorité des enseignants avait clairement choisi ce métier, il n’en va plus du tout de même à présent. Je ne crois pas me tromper beaucoup en imaginant qu’actuellement, une partie non négligeable d’enseignants est entrée dans la carrière pour, essentiellement, éviter le chômage qui semblait les attendre à la suite de leur formation. On peut s’interroger ensuite sur le niveau de motivation de cette partie là, et, par voie de conséquence, sur la qualité générale de l’enseignement que ces personnes seront capables de fournir.

Comme on peut s’en douter, le nombre toujours croissant d’enseignants recrutés par les pouvoirs publics, hors de toute considération de marché et en déconnexion totale des besoins réels et des affectations pragmatiques à des postes précis, a des effets délétères sur la profession que les individus qui l’exercent ressentent maintenant de façon grandissante.

Bien sûr, et c’est d’autant plus vrai pour les instituteurs que pour les autres, on pourrait noter qu’avec la démocratisation du savoir, la place de l’enseignant a perdu de sa superbe. Là où, en 1913, le Hussard Noir de la République, cher à Ferry, était l’ilot de connaissances dans le village avec le curé et le maire, un siècle plus tard, il n’en va plus du tout de la même façon.

Bien sûr, les profonds changements sociétaux des années 60 et 70 ont marqué la profession plus qu’elle n’aurait sans doute voulu l’admettre. Certes, on aura gagné sur la rigidité des cours et des méthodes des années précédant mai 68, et en « plaçant l’élève au cœur des préoccupations », on aura probablement permis d’assouplir la relation du maître ou de la maîtresse avec l’élève.

24hGold - Éducation, désamour ...

Mais on aura aussi largement désacralisé la fonction, à force de tutoiement, de référentiel bondissant, de méthodes aussi novatrices que catastrophiques ; et l’introduction de myriades de matières périphériques aux enseignements de base aura largement contribué à transformer, de façon inexorable, les classes de primaire en garderies ludiques où le calcul, l’écriture et la lecture sont coincés au mieux dans les ateliers de poterie, les cours de civisme, l’histoire créative, les leçons de choses, la piscine, le poney, les bricolages, les visites de musées, de théâtre, les dessins et activités diverses par lesquelles passe de nos jours toute remuante classe de France.

Ce changement aura été de surcroît largement accéléré avec le dogme idiot des 80% d’une classe d’âge menée au bac (« menée » ici comme on mène les veaux à l’abattoir) : puisqu’il est rapidement apparu qu’il n’était pas possible d’augmenter sensiblement l’intelligence des gens sans utiliser un eugénisme un peu trop voyant, on aura choisi, pour remplir le même objectif, de diminuer le niveau. Si l’on y ajoute l’uniformisation léni(ni)fiante du collège « unique », et l’absolue nécessité de ne faire redoubler qu’en dernier recours, tout en imposant de conserver tout le monde, y compris les éléments les moins motivés, aussi longtemps que possible (tant pour des raisons sociales d’alphabétisation et d’encadrement que pour de basses-œuvres statistiques sur l’emploi), on obtient un tableau désastreux où, progressivement, le niveau général s’effondre. Le cercle vicieux se referme proprement lorsqu’arrivent devant les élèves des enseignants chargés d’apprendre la lecture, l’écriture et le calcul ayant des difficultés à rédiger une phrase complète sans faute d’orthographe ou qui peinent sur des fractions ou des proportions (la règle de trois n’étant plus franchement maîtrisée).

Education

En quelques décennies, le travail de sape s’est opéré de deux façons.

D’une part, en cédant à toutes les revendications corporatistes d’embaucher toujours plus de personnel, l’Éducation Nationale a mécaniquement dévalué la profession. Eh oui ! Chassez le marché par la porte, il revient par la fenêtre, avec une vengeance : moins une ressource est rare, moins elle est chère. L’Éducation Nationale a ainsi transformé la profession en une véritable voie de garage pour l’énorme production d’étudiants perpétuels qu’elle produit dans ses usines facultaires. Et sous forme de vengeance, cet afflux d’enseignants a mécaniquement réduit la proportion de ceux qui étaient là avant tout par motivation interne, pour qui le salaire, le nombre de jours de vacances ou les éventuels avantages ne sont rien à côté de la joie que peut procurer le sourire d’un enfant qui s’épanouit sous leur enseignement.

D’autre part, en acceptant d’abaisser le niveau, on l’a abaissé pour les élèves, et on l’a abaissé, en quelques générations, pour les enseignants. Immanquablement, les parents, confrontés à l’inadéquation grandissante entre les savoirs dispensés à leurs enfants et les besoins évidents du marché, ont très logiquement réévalué le prestige de la fonction.

Pendant ce temps, le reste du monde change. Drastiquement. Dans des proportions que les petits soldats du laïcardisme et du républicanisme à la Peillon ne peuvent soupçonner. D’une façon qui échappe totalement à la dogmatique porte-parlote du gouvernement et qui va modifier de façon profonde et irrémédiable la société française et mondiale, ainsi que l’acquisition du savoir.

Ce quatre septembre, la Khan Academy ouvre son site en Français. Comme j’en parlais dans un précédent billet, la Khan Academy met sur internet un contenu d’une incroyable richesse allant de l’arithmétique jusqu’aux intégrales et nombres complexes, en passant par la géométrie, balayant toute l’Histoire de l’Humanité, l’économie, la banque, la finance, la biologie, la physique, la chimie, l’informatique, l’astronomie, la médecine, les statistiques, et d’autre sujets encore, … sous forme de vidéos didactiques. Espérons que la richesse de la bibliothèque française sera à la hauteur de la bibliothèque anglaise, mais il suffit d’aller sur le site pour constater par soi-même le plaisir que peut avoir un enfant, un adolescent ou un adulte, à disposer d’une vidéo claire sur un sujet de son choix, au moment où il le veut, avec le temps qu’il veut : la vidéo est interruptible à tout moment et on peut faire répéter le prof autant de fois qu’on le veut. On peut l’interrompre, passer lorsque le sujet est trop simple, y revenir plus tard, …

Gratuitement.

En France, au moins, on a tout bien compris et on va donc passer la surmultipliée en décidant que si la situation empire, c’est qu’on n’a pas fait assez de ce qu’on vient déjà de faire. Autrement dit, on va embaucher encore plus et on va introduire encore plus de paillettes et d’alternatif dans le corpus de savoirs.

Le succès est assuré.

parabole de l'aspirine (c) Maître Du Monde


Source : h16free.com
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H. Seize rédige sur http://h16free.com ses chroniques humouristiques d’un pays en lente décomposition, et apporte des solutions dans son livre, Egalité, Taxes, Bisous. Dans un monde toujours plus dur, et alors que la crise, la vilénie, les aigreurs et les misères allant de la maladie aux bières tièdes font rage, un pays fait courageusement face et propose toute une panoplie de mesures plaisamment abrasives qui permettront d'aplanir les aspérités, gommer les difficultés et arrondir les angles. Ce pays, rempli de gentils et d'aimables tous les jours mieux pensant, est devenu un véritable phare scintillant dans la nuit noire de l'obscurantisme des méchants et des vilains. Et pour mieux scintiller, il s'est doté d'une devise qui est parvenue à se hisser au rang de slogan, d'accroche et de modus vivendi : pour chacun et pour tous, il faudra de l'égalité, des taxes, et des bisous.
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Le plus terrible dans tout cela est que l"ecole de la Republique a ete creee dans un objectif egalitaire pour elever les enfants au rang de citoyens. Son fonctionnement hautement meritocratique a permis d'identifier les meilleurs sur tout le territoire et de les faire entrer dans l"ascenseur social.

Quel desastre. Ce n'est plus aujourd'hui, pour reprendre le titre du livre de Jean Paul Briguelli, qu'une fabrique de cretins, une garderie de moutons encadres par des anes.
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Vous ne croyez pas si bien dire. ANE est l'anagramme de ENA.
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