Les
débats sur la pertinence de la démocratie remontent à l’antiquité. Les
régimes démocratiques émergent, disparaissent, et
reviennent. Même ses défenseurs finissent par avoir des
réserves. Ce fut le cas de Jean-Jacques Rousseau. Après avoir
expliqué dans le Contrat social les mérites de
la démocratie comme manifestation de la volonté sociale, il
reconnait ensuite qu’un territoire vaste et peuplé se doit
d’être centralisé autour de l’autorité
d’une aristocratie ou d’un monarque.
Plus
récemment, la remise en question de la démocratie a
gagné du terrain avec l’échec de plus en plus
évident de l’expérience démocratique en
Afghanistan et la désillusion du printemps arabe. En outre, les
dérives ponctuellement autoritaires des gouvernements
démocratiques occidentaux en inquiètent plus d’un. La
question se pose également du mérite d’un système
qui permet à une majorité relative
de la population citoyenne de disposer de la propriété des
autres.
Avant
d’entrer dans le vif du sujet, il est important de remarquer que la
démocratie n’organise pas à proprement parler la
façon dont les ressources publiques et privées sont
distribuées ou redistribuées. La démocratie n’est
en fait qu’une méthode d’élire les membres de
l’État ou alors, dans son état le plus pur, une
manière plébiscitaire d’approuver ou pas une proposition
de loi ou une action proposée par les membres d’un gouvernement.
Ainsi, un système démocratique ne règle pas en soi la
question du rapport entre le gouvernement et les libertés
individuelles des citoyens, d’où de nombreuses critiques pas
toujours bien étayées.
Les
détracteurs de la démocratie avancent ainsi souvent que
celle-ci serait une illusion. Elle ne serait ni participative ni
représentative, car une majorité relative peut arriver à
imposer sa vision au détriment du reste de la population.
Si
l’argument est vrai, il est néanmoins naïf car quelles sont
les alternatives ? La
première est tout simplement l’absence de démocratie dans
un régime autocratique. Dans ce cas-là, aucune participation ni
représentativité ne peut être imaginée. Une autre
alternative est la sécession individuelle. Elle incarne en quelque
sorte la représentativité absolue. Elle est cependant
très limitée car pratiquement impossible dans un monde
où les propriétés et copropriétés
abondent, du domicile aux voies publiques, en passant par la
sécurité. Une hiérarchie devient alors nécessaire
pour garantir une prise de décision efficace lorsque le veto
individuel et la sécession sont rendus impossibles par la
complexité croissante d’une copropriété
pratiquement indivisible. Reste l’émigration qui permet
d’opter pour une démocratie plus participative et
représentative. L’individu vote avec ses pieds et quitte le pays
avec ses talents et ses biens. Il est intéressant de remarquer que
c’est la seule alternative viable à la démocratie
aujourd’hui car elle reste relativement accessible aux citoyens.
Une autre
critique souvent avancée par les détracteurs de la
démocratie est qu’elle ne garantirait pas à elle-seule
les libertés individuelles. Les exemples en la matière
abondent : l’Allemagne entre 1933 et 1944, le Venezuela et ses
alliés depuis l’élection d’Hugo Chavez, les
États-Unis et nombre de pays développés à propos
desquels on a récemment découvert l’ampleur des
programmes de surveillance informatique de leur population respective.
Personne ne
nie que des gouvernements au sein de démocraties puissent abuser de
leur mandat. Cependant, tant que la dénonciation, voire
l’arrêt de ces abus reste possible, c’est que ces
« démocraties » gardent justement un minimum de
semblant de représentativité citoyenne. C’est seulement
quand la démocratie disparait complètement que cette
dénonciation n’est plus possible. Peut-on imaginer une
dénonciation ouverte de la surveillance du gouvernement chinois en
Chine ? Ou en Corée du Nord ? L’opposition au
Venezuela reste audible, malgré l’autoritarisme du gouvernement
car celui-ci veut garder un fondement démocratique – même
faible – à son
régime. De même, aux États-Unis, les critiques de
l’administration Obama au sujet de l’alerte lancée par Snowden ne cessent de monter à travers la presse
et autres organismes civiques.
La
démocratie est également attaquée dans sa dimension
économique. Elle serait propice à la croissance de
l’État, pour preuve l’endettement des démocraties
occidentales. L’argument laisse penser que toutes les
démocraties sont également endettées ou se
révèlent incapables de contrôler leurs finances
publiques. Or, le problème du surendettement public est aussi
vieux que l’État
lui-même. Une des principales causes de la Révolution
française n’était-elle pas déjà le
surendettement de la monarchie absolue.
Une autre
critique de nature économique consiste à affirmer que
c’est la concurrence – et non la démocratie – qui
permet de sauvegarder les libertés individuelles des citoyens. Selon
cette hypothèse, les États se concurrenceraient entre eux pour
proposer les meilleures conditions d’accueil du capital et des citoyens
productifs. Or, l’Histoire de l’humanité nous montre que
la concurrence entre États s’est surtout
concrétisée par des guerres, au temps, par exemple, des
cités-états gréco-romaines ou entre pays européens depuis la chute
de l’Empire Romain et ce jusqu’à la moitié du 20ème
siècle. L’Histoire montre aussi un aspect
particulièrement intéressant pour le sujet qui nous occupe,
à savoir que les pays les plus puissants étaient aussi les
cités-états ou pays qui respectaient le mieux les
libertés individuelles: Athènes, Rome, les Pays-Bas,
l’Angleterre, les États-Unis… Or, ces pays ou concurrents
pratiquaient justement la démocratie sous une forme ou sous une autre.
En fait, le
critère de la prospérité économique ne suffit pas
pour distinguer entre différents régimes. Il y a sans doute
autant d’exemples de démocraties prospères que de
régime autocratiques. Il est donc très difficile de
déterminer le rôle bénéfique ou pernicieux de la
démocratie sur le développement socio-économique
d’un pays.
C’est
pourquoi nous voulons suggérer que la question du rôle de la démocratie
dans l’évolution socio-économique d’un pays est mal
posée. Il se pourrait qu’elle ne soit pas un principe fondateur
des libertés individuelles mais qu’elle en soit plutôt
conséquence.
À
suivre.
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