Dans le billet
de janvier 2018, j'ai eu l'occasion d'écrire que :
"le problème de la science économique n'est pas sa refondation par des savants
borgnes dont les critiques acoquinés n'évoquent jamais cette dernière
'qualité'…
La vraie question de l'économie politique est la dérive, depuis le XIXème
siècle, de cette science par des savants qui en arrivent au 'n'importe quoi'
actuel."
et ai développé
une certaine direction, suite au billet de décembre
2017.
J'ajouterai aujourd'hui qu'il conviendrait de remarquer que, depuis le début du
XXème siècle, l'économie politique est, en particulier, écartelée entre
- la sociologie (dont l'absurde notion de "société") et
- la psychologie (dont les fausses notions en relation avec la "préférence" ou
l'"indifférence"),
deux sciences postérieures à l'économie politique quand celle-ci n'était pas
évincée par l'une d'elles ou par leur réunion sous l'intitulé
"psychosociologie".
Les savants de la sociologie ont fait disparaître l'être humain de chair
et de sang, de corps et d'âme, pour y introduire à la place la "société", une
"société" ... imaginée par le savant ou des statisticiens non sevrés de
données.
Rappelons que:
… "La société humaine est une construction de l’esprit.
La coopération sociale est tout d’abord pensée et seulement ensuite voulue et
réalisée en fait.
Ce ne sont pas les forces productives matérielles, ces entités nébuleuses et
mystiques du matérialisme historique, ce sont les idées qui font
l’histoire.
Si l’on pouvait vaincre l’idée du socialisme et amener l’humanité à comprendre
la nécessité de la propriété privée des moyens de production, le socialisme
serait contraint de disparaître.
Tout le problème est là." (Mises, 1938, Le socialisme, étude
économique et sociologique).
Les savants de la psychologie n'ont pas fait disparaître l'être humain de chair
et de sang, de corps et d'âme, mais ils ont cherché à entrer dans son intimité
et ont tendu à généraliser ce qu'ils croyaient y découvrir alors qu'à
juste raison, selon Frédéric Bastiat (1801-50) :
… « Besoin, effort, satisfaction, voilà l’homme, au point de vue
économique. […]
Son action se borne à soumettre les substances répandues autour de lui à des
modifications, à des combinaisons qui les approprient à son usage (J.-B. Say).
[…]
C’est par pure métonymie qu’on a attribué la valeur à la matière elle-même, et,
en cette occasion comme en bien d’autres, la métaphore a fait dévier la
science.» (cf. Bastiat,
1850)
Rien à redire,
tout cela est juste, peu importe l'intimité de l'être humain
recherchée...
1. Deux remarques.
Soit dit en passant, on ne peut que s'étonner qu'au tournant du XXème siècle,
Vilfredo Pareto (1848-1923) ait abandonné dans ses travaux économiques l'ode à
la liberté qui le menait au XIXème siècle pour s'enfermer dans la récente
sociologie à partir de 1905 et y demeurer jusqu'à sa mort.
Peut-être est-ce son choix de s'intéresser aux résultats économiques et sa
méthode mécaniciste qui l'y ont conduit, l'un confortant l'autre.
Autre remarque à propos de Thorstein Veblen (1857-1929) et
des limites de la lecture veblenienne : le cas de Carl
Menger.
["Tandis qu’il procède à une déconstruction méthodique des théories de J. B.
Clark (267),
267. L’attention particulière que Veblen porte à J. B. Clark s’explique par sa
position de premier plan dans la science économique américaine, au tournant des
XIXe et XXe siècles.
En effet, Clark fut le principal acteur du développement de la pensée
marginaliste aux États-Unis et l’un des économistes américains les plus estimés
de son époque [Henry, 1995 ; Leonard, 2003a].
Rappelons, par ailleurs, que Clark a enseigné l’économie à Veblen lors de son
passage à Carleton College. Veblen fut d’ailleurs un étudiant particulièrement
apprécié de son professeur [Dorfman, 1934, p. 54].
Veblen [1908a] conclut pour le moins hâtivement que celles-ci sont
représentatives de toute la pensée marginaliste.
C’est, dit-il,
« comme un système habile et cohérent de théorie économique actuelle, que nous
avons l’intention de discuter ici l’œuvre de M. Clark, non comme un corps de
doctrines qui lui est propre ou qui diverge de la tendance principale » (268)
[1908a, p. 182].
268. « It is as such, as a competent and consistent system of current economic
theory, that it is here intended to discuss Mr. Clark’s work, not as a body of
doctrines peculiar to Mr. Clark or divergent from the main current
».
Dans cette orientation dominante de la pensée économique, Veblen situe
notamment « l’école autrichienne » dont il identifie le 'porte-parole' en la
personne de Carl Menger [Veblen, 1898a, p. 73].
Or, il serait faux d’affirmer que Veblen ait présenté, en quelque endroit de
son œuvre, une véritable analyse des théories autrichiennes en général,
mengeriennes en particulier (269).
269. Le seul examen que Veblen ait fait des théories autrichiennes est un court
essai [1892b] consacré à Positive Theorie des Kapitales, l’ouvrage
maître d’Eugen von Böhm-Bawerk paru en 1889.
Toutefois, cet article (l’un des tous premiers écrits économiques que Veblen
ait publiés) ne s’inscrit nullement dans la perspective d’une interprétation
générale de la pensée autrichienne.
Son objet est circonscrit à la question de la source du salaire, posée dans les
termes d’un débat entre
- la théorie du fonds des salaires et
- la distinction entre « capital social » et « capital privé » telle qu’elle
est définie par Böhm-Bawerk.
Celui-ci n’est, d’ailleurs, pas même présenté dans l’article comme un membre de
« l’école autrichienne ».
Ainsi se borne-t-il à répéter que 'l’école autrichienne' perpétue
- la conception taxinomique de la science et
- la représentation hédoniste de l’être humain
qui étaient celles de 'l’économie classique' [1898a, p. 73 ; 1908a, pp. 181-182
; 1908e, pp. 163-164].
Cette interprétation occulte l’importance accordée par Menger aux problèmes
d’information auxquels les agents font face dans un environnement économique
qu’il juge incertain. […]
Ce survol de la pensée de Menger suffit à montrer que Veblen a homogénéisé des
approches très différentes de l’être humain et de la société.
On peut alors se demander si la recherche d’un dénominateur commun à de
multiples théories, défini en des termes très généraux sinon équivoques, ne
conduit pas nécessairement à donner de celles-ci (ou au moins certaines d’entre
elles) une image excessivement déformée car trop irrespectueuse de leurs
spécificités."]
2. Mises et les savants économistes.
En vérité, tous ces savants sont passés à côté de l'accent qu'a donné ou
donnera Ludwig von Mises (1881-1973) - photographie ci-jointe - à la science
économique, par exemple en 1962 (cf. le billet de janvier 2018
ci-dessus):
"La science économique ne porte pas sur les biens et services, elle porte sur
les actions des hommes en vie.
Son but n'est pas de s'attarder sur des constructions imaginaires telles que
l'équilibre.
Ces constructions ne sont que des outils de raisonnement.
La seule tâche de la science économique est l'analyse des actions des hommes,
c'est l'analyse des processus." (Mises, 1962, cf.
ce texte),
après qu'il avait écrit, en 1949, dans le livre intitulé L'action humaine, que
la science économique avait pour domaine les phénomènes de marché expliqués par
les actes des êtres humains et était une:
[...] branche de la connaissance [...]
pour étudier les phénomènes de marché, c'est-à-dire
- la détermination des rapports d'échange mutuel entre les biens et services
négociés dans les marchés,
- leur origine dans l'action humaine et
- leurs effets sur l'action ultérieure.
étant donné
que:
"Le point de départ de la praxéologie n'est pas
- un choix d'axiomes ni une décision sur des méthodes de procédure,
- mais une réflexion sur l'essence de l'action." (Mises, 1962, cf.
ce texte).
Mises a répondu
d'ailleurs à leur démarche, en particulier en 1962 (cf. ce billet d'octobre
2009) en écrivant:
… "Les auteurs qui pensent avoir substitué, dans l'analyse de l'économie de
marché, une approche holistique ou sociale ou universaliste ou institutionnelle
ou macro-économique à ce qu'ils dédaignent comme l''approche individualiste
fallacieuse', s'illusionnent, eux et leur public.
Car tout raisonnement concernant l'action doit traiter de la valorisation et de
l'aspiration à des fins définies, comme il n'y a pas d'action non orientée par
des causes finales."
3. Relire Mises.
Pour mettre un terme, une bonne fois pour toutes, à la situation désastreuse
que nous connaissons, qui consiste à rendre transparente l'économie politique,
à mettre au premier plan la sociologie ou la psychologie, voire les
deux, et à laisser les hommes de l'état faire ce qu'ils jugent bon, il
faudrait que chacun relise ce que Mises narrait, en 1962, à propos du
"soutien épistémologique au totalitarisme" par les gens, un soutien tacite et
détestable (cf. ci-dessous ma traduction, les sous-titres sont de mon
crû):
"[1. l'innovation].
Chaque nouveau pas sur le chemin de la substitution de méthodes de production
plus efficaces aux méthodes obsolètes des âges pré-capitalistes se heurtait à
une hostilité fanatique de la part de ceux dont les intérêts étaient à court
terme lésés par toute innovation.
L'intérêt foncier des aristocrates n'était pas moins soucieux de préserver le
système économique de l'ancien régime que ne l'étaient les ouvriers émeutiers
qui détruisaient des machines et démolissaient des usines.
Mais la cause de l'innovation était soutenue par la nouvelle science de
l'économie politique, tandis que la cause des méthodes de production obsolètes
manquait d'une base idéologique tenable.
[2. l'idée syndicaliste]
Au fur et à mesure que toutes les tentatives d'empêcher l'évolution du système
d'usine et de ses réalisations technologiques avortaient, l'idée syndicaliste
commença à prendre forme.
Ejectez l'entrepreneur, ce parasite paresseux et inutile, et reversez-en toutes
les recettes - le «produit entier du travail» - aux hommes qui les créent par
leur labeur!
Mais même les ennemis des nouvelles méthodes industrielles les plus sectaires
ne pouvaient manquer de se rendre compte de l'insuffisance de ces
systèmes.
Le syndicalisme est resté la philosophie des foules analphabètes et a reçu
l'approbation des intellectuels seulement beaucoup plus tard sous l'apparence
de
- du socialisme de guilde britannique,
- du fascisme stato corporatif italien, et
- de l’«économie politique du travail» du vingtième siècle et de la politique
syndicale
Le grand dispositif anticapitaliste était le socialisme, non pas le
syndicalisme.
Mais il y avait quelque chose qui embarrassait les partis socialistes dès les
débuts de leur propagande, leur incapacité à réfuter les critiques que leurs
projets rencontraient de la part de l'économie politique.
[3. la sociologie de la connaissance]
Pleinement conscient de son impuissance à cet égard, Karl Marx a eu recours à
un subterfuge.
Lui et ses disciples, jusqu'à ceux qui appelaient leur doctrine «so-ciologie de
la connaissance», ont tenté de discréditer l'économie politique par leur
concept idéologique fallacieux.
Comme le voient les marxiens, dans une «société de classe», les hommes sont
intrinsèquement incapables de concevoir des théories qui soient une description
substantiellement vraie de la réalité.
Les pensées d'un homme sont nécessairement «idéologiquement» entachées.
Une idéologie, au sens marxien du terme, est une fausse doctrine qui, justement
à cause de sa fausseté, sert les intérêts de la classe dont son auteur est
issu.
Il n'est pas nécessaire de répondre à une critique des plans
socia-listes.
Il suffit simplement de démasquer l'arrière-plan non prolétarien de son
auteur
[4. le polylogisme]
Le polylogisme marxien est la philosophie vivante et l'épistémo-logie de notre
époque.
Il vise à rendre la doctrine marxienne imprenable, car il définit implicitement
la vérité comme un accord avec le marxisme.
Un adversaire du marxisme a nécessairement toujours tort à cause du fait même
qu'il est un adversaire.
Si le dissident est d'origine prolétarienne, il est un traître;
s'il appartient à une autre «classe», il est un ennemi de «la classe qui tient
l'avenir entre ses mains».
Le sortilège de ce tour marxien éristique était et est si énorme que même les
étudiants de l'histoire des idées échouèrent longtemps à réaliser que le
positivisme, à la suite de Comte, offrait un autre moyen de discréditer le gros
de l'économie politique sans entrer dans une analyse critique de son
argumentation.
[5. les positivistes]
Pour les positivistes, l'économie politique n'est pas une science parce qu'elle
ne recourt pas aux méthodes expérimentales des sciences de la nature.
Ainsi, Comte et ceux de ses disciples qui, sous l'étiquette de la so-ciologie,
prêchaient l'état total, pouvaient considérer l'économie politique comme un
non-sens métaphysique et se libérait de la né-cessité de réfuter ses
enseignements par un raisonnement discursif.
Lorsque le révisionnisme de Bernstein avait temporairement af-faibli le
prestige populaire de l'orthodoxie marxiste, certains membres plus jeunes des
partis marxistes commencèrent à chercher dans les écrits d'Avenarius et de Mach
une justification phi-losophique du credo socialiste.
[6. le matérialisme dialectique]
Cette défection de la ligne droite du matérialisme dialectique est apparue
comme un sacrilège aux yeux des gardiens intransigeants de la doctrine non
corrompue.
La contribution la plus volumineuse de Lénine à la littérature so-cialiste est
une attaque passionnée contre la «philosophie bour-geoise» de
l'empiriocriticisme et ses adeptes dans les rangs des partis socialistes.
Dans le ghetto spirituel où Lénine s'était confiné pendant toute sa vie, il ne
pouvait pas prendre conscience du fait
- que la doctrine de l'idéologie marxienne avait perdu son pouvoir de
persuasion dans les cercles des scientifiques naturels et
- que le panphysicalisme du positivisme pouvait rendre de meil-leurs services
dans les campagnes de diffamation de la science économique aux yeux des
mathématiciens, des physiciens et des biologistes.
Cependant, quelques années plus tard, Otto Neurath instilla dans le monisme
méthodologique de la «science unifiée» sa note anti-capitaliste définie et son
néo-positivisme converti en un auxiliaire du socialisme et du communisme.
[7. le polylogisme marxien et le positivisme].
Aujourd'hui, les deux doctrines, le polylogisme marxien et le po-sitivisme,
rivalisent amicalement pour apporter un soutien théo-rique à la «gauche».
Pour les philosophes, les mathématiciens et les biologistes, il y a la doctrine
ésotérique du positivisme logique ou empirique, tandis que les masses moins
sophistiquées sont nourries encore d’une variété confuse de matérialisme
dialectique.
[8. l'empirisme radical]
Même si, pour le bien de l'argument, nous pouvons supposer
- que le rejet de l'économie politique par le panphysicalisme était motivé par
des considérations logiques et épistémologiques seu-lement et
- que ni les préjugés politiques ni l'envie des personnes ayant des salaires
plus élevés ou une plus grande richesse ne jouaient un rôle en la
matière,
il ne faut pas passer sous silence le fait que les tenants de l'empi-risme
radical refusent obstinément de prêter attention aux ensei-gnements de
l'expérience quotidienne qui contredisent leurs pré-dictions socialistes.
Ils ne négligent pas seulement l'échec de toutes les «expériences» avec les
entreprises nationalisées dans les pays occidentaux.
Ils se moquent du fait indiscutable que le niveau de vie moyen est
incomparablement plus élevé dans les pays capitalistes que dans les pays
communistes.
S’ils sont acculés, ils essaient de mettre de côté cette «expérience» en
l'interprétant comme une conséquence des prétendues machinations
anticommunistes des capitalistes.
Quoi que l'on puisse penser de cette pauvre excuse, on ne peut nier que cela
équivaut à une répudiation spectaculaire du principe même qui considère
l'expérience comme la seule source de con-naissance.
Car, au regard de ce principe, il n'est pas permis d'évoquer un fait
d'expérience en se référant à des réflexions prétendument théo-riques. "
(https://mises.org/library/ultimate-foundation...ence/html/p/222
)
A chacun de tirer les conséquences de ce texte qu'il jugera s'imposer, à la
lumière des grèves "perlées" actuelles des cheminots en France - de grosses
perles -.