Thomas Jefferson est né en
Virginie en 1743 d’une famille riche et respectée. Sur des
terres héritées de son père à Monticello, il
s’établit comme planteur de tabac et construit lui-même sa
propre maison. En tant que politicien, il n’était pas un grand
orateur. En revanche, il avait une bonne plume. Rédacteur de la
Déclaration d'indépendance, ses écrits sont encore lus
et admirés aujourd'hui. Après avoir été
gouverneur de Virginie, ambassadeur en France puis premier secrétaire
d’État, Jefferson devient le troisième président
des États-Unis en 1801 et accomplit deux mandats successifs (1801
à 1809). Il meurt en 1826. Jefferson a consacré sa vie à
la défense et à la mise en œuvre des idéaux de la
Déclaration d'indépendance.
Thomas Jefferson
L’essence
de l’identité américaine
Le 4 juillet 1776, après quelques
modifications de John Adams et Benjamin Franklin, la Déclaration
d’indépendance est adoptée par les treize colonies en
assemblée à Philadelphie.
En voici un passage
célèbre :
Nous tenons pour
évidentes
pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes
sont créés égaux ; ils sont doués par le
Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se
trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les
gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits,
et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.
Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but,
le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un
nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en
la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la
sûreté et le bonheur.
Leonard Read (créateur de
l’institut de recherche Foundation for Economic Education) a
écrit un jour que l’essence même de la Révolution
américaine était contenue dans un morceau de phrase de la
Déclaration d’indépendance. « Je ne pense pas que la
révolution américaine réelle se confonde avec le conflit
armé des colonies contre le roi George III. La vraie
révolution américaine consiste dans un nouveau concept ou une
idée qui rompt avec toute l'histoire politique du monde ».
Selon Read, « cette nouvelle idée est la suivante : Tous
les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par
le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits
se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. C'est tout.
C'est l'essence même de l’identité américaine.
C'est le roc sur lequel l'ensemble du ‘miracle américain’
a été fondé ».
Ce concept révolutionnaire, poursuit
Leonard Read, est à la fois spirituel, politique et
économique :
·
Il
est spirituel en ce que le rédacteur de la Déclaration
reconnaît et proclame publiquement que le Créateur est la source
des droits de l'homme, et donc le Créateur est souverain.
·
Il
est politique en ce qu’il nie implicitement que l'État soit la
source des droits de l'homme, déclarant ainsi que l'État n'est
pas souverain.
·
Il
est d'ordre économique en ce sens que si une personne a droit à
la vie, il s'ensuit qu'elle a le droit de conserver sa vie, de la nourrir par
les fruits de son propre travail.
Les
origines philosophiques de la Déclaration d’indépendance
Thomas
Jefferson a expliqué que la Déclaration d'indépendance
était fondée sur des « livres
élémentaires de droit public, comme ceux d’Aristote, de
Cicéron, de Locke, etc. »
Pour
Aristote, le droit naturel a une fonction critique vis-à-vis de la loi
positive, il fonde l’autorité des lois (le droit positif) en
garantissant leur justice. Pour Cicéron, il s'agit d' « une seule
loi éternelle et invariable, valide pour toutes les nations et en tout
temps ». Enfin, pour Locke le droit naturel est la reconnaissance
par l’ordre politique des droits personnels naturellement
possédés par chacun, en particulier le droit de
propriété : droit à la vie et à la
liberté (propriété de soi) et droit à la
possession des biens acquis par le travail (propriété des
choses).
Déjà en
1721, les Cato’s Letters de John Trenchard et Thomas Gordon,
dans le droit fil des whigs anglais, affirmaient l’existence de droits
naturels de l'homme qu'aucun gouvernement ne peut violer. Pour eux, le
gouvernement existe uniquement pour défendre « les personnes ou
les biens des citoyens », idée que l’on retrouve dans
la Déclaration d’indépendance. Ils expliquent
comment le pouvoir a tendance à s’accroître naturellement
au détriment des citoyens, ce qui nécessite des
élections fréquentes et une surveillance étroite des
élus.
Une
certaine conception de la nature humaine
La plupart des
Père fondateurs croient, avec John Adams, que « les passions
humaines sont insatiables », que « l'intérêt,
l'avidité, l'ambition et l'avarice existent dans tous les états
de la société et sous toutes les formes de gouvernement »
et que « la raison, la justice et l'équité n'ont jamais
eu assez de poids sur la surface de la terre pour gouverner les hommes. »
C’est pourquoi Adams est un ferme partisan d’une
république aristocratique et non démocratique.
Jefferson ne
partage pas cette vision pessimiste de la nature humaine. « J'ai
une telle confiance dans le bon sens des hommes », écrit-il
à propos de la Révolution française, « que je
n'ai pas peur de ce qui peut arriver quand la raison s’exerce
librement. » Selon lui, les « personnes les plus
cultivées » n’ont aucun privilège pour se
prononcer sur les affaires publiques. Jefferson a notamment une grande
confiance en la sagesse des petits propriétaires, agriculteurs et
planteurs comme lui.
La
meilleure forme de gouvernement
Selon
Jefferson, le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins. À
la suite de Montesquieu et de Rousseau, il estime que la liberté
individuelle est mieux défendue par des petits États aux
pouvoirs limités. Pour conserver le gouvernement national le plus
petit possible, il recommande une interprétation stricte de la
Constitution. Pour donner au citoyen les moyens de se défendre contre
les abus de pouvoir, Jefferson plaide également en faveur d’une
Charte des droits (Bill of rights). Celle-ci est rédigée par
James Madison, un proche de Jefferson, et adoptée en 1789 par le
Congrès. Le Bill of Rights est essentiellement une série
d’amendements à la Constitution américaine. Il s’agit d'interdictions,
protégeant le peuple contre un gouvernement illimité.
C’est aussi Jefferson lui-même qui
introduit le terme « annulation »
(« nullification » en anglais) dans le lexique
politique américain. Par ce terme il entend « le pouvoir
légitime pour un État de refuser l’exécution
d’une loi fédérale inconstitutionnelle à
l’intérieur de ses frontières ». Autrement dit, une
minorité (en l'occurrence un État fédéré)
pourrait annuler des décisions de l'État fédéral
si celles-ci sont contraires à sa propre législation.
Un
idéal économique
Jefferson est
un homme du Sud, méfiant envers les banquiers et les hommes
d’affaires. « Ceux qui travaillent la terre »,
écrit-il, « sont le peuple élu de Dieu, si jamais il
y a un peuple élu. » Sa doctrine économique se
résume à celle des libéraux classiques du XVIIIe
siècle, celle des Physiocrates et des Idéologues, qui tient
tout entière dans une formule : « Laissez-faire,
laissez-passer : le monde va de lui-même ».
L'esprit de ce libéralisme a
imprégné Jefferson lors de son long séjour en France. La
position de son ami Antoine Destutt de Tracy dans son Traité
d’économie politique était que le commerce est la
source de tout bien humain, il est la force civilisatrice, rationalisatrice
et pacificatrice du monde. Destutt de Tracy écrit :
« l'échange est une transaction admirable dans laquelle les
deux contractants sont toujours gagnants ». Le Traité
d’économie politique, censuré par Napoléon,
fut traduit et publié aux États-Unis par Thomas Jefferson avant
sa publication en France. Ce qui plaisait particulièrement à
Jefferson, c’était la condamnation par son ami du gaspillage des
richesses de la société sous forme de dette publique,
d’impôts, de monopoles bancaires et de dépenses
excessives.
Comme l’a écrit l’historien
Thomas Di
Lorenzo, il existe un Thomas Jefferson contemporain en la personne de Ron
Paul. En effet, lorsque Ron Paul propose l'abolition de la Federal Reserve
(banque centrale américaine) et le retour à l'étalon-or,
il rejoint la position de Jefferson dans son opposition à Alexander Hamilton
sur la légitimité d'une banque nationale. Dans un prochain
article, nous traiterons de ce grand débat entre Jefferson et
Hamilton.
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