Nous avions
conclu le précédent article sur ce thème en
présentant la version – assez cynique – de Bernard Lugan quant à la mort des deux journalistes au
Mali. L’historien français « reprochait »
à ces derniers d’avoir bravé les consignes de
sécurité de l’armée.
Il est vrai
que l’État français avait donné aux journalistes
des instructions sécuritaires extrêmement strictes, ce qui avait
été, à juste titre, mal
vécu par la profession qui avait demandé la fin du blackout,
dénoncé également par certains hommes politiques
maliens, comme Oumar Mariko. Le même blackout qui sévit quant
à la réalité du paiement
des rançons aux terroristes…
De plus, les
militaires maliens, téléguidés en cela par les forces
françaises – dont les exactions commencent à se
faire savoir – mais peut-être aussi par leurs propres crimes,
ne facilitent pas non plus la tâche des journalistes qui se retrouvent
englués dans de multiples checkpoints
et écartés
des zones de conflit.
C’est,
en effet, oublier que le métier de journaliste est
nécessairement risqué et que l’indépendance
à l’égard des forces armées s’impose dans un
tel cas de figure. Les journalistes sont vus par le grand public comme des
tiers aussi impartiaux que faire se peut,
contrairement à l’armée dont les campagnes de propagande
sont de moins en moins convaincantes.
À condition justement de ne pas obéir aux desideratas
des soldats, soucieux de ne pas montrer une image
« véridique » de leur armée.
En
l’espèce, il n’est ni opportun, ni digne de reprocher
à Ghislaine Dupont et Claude Verlon leur
manque de prudence dans la conduite de leurs missions, même si, de
l’autre côté, on peut également rétorquer,
comme le fait ce blogueur, que les contribuables français n’ont
pas à subir les conséquences de la
témérité desdits journalistes par le biais de
rançons occultes. Il est aussi évident que si les journalistes
prennent des risques inconsidérés pour couvrir au mieux
l’information, ils ne doivent pas non plus s’attendre en retour
à ce que l’armée mette sa mission en péril pour
les sauver.
Malheureusement,
les journalistes tendent de plus en plus à devenir des
« auxiliaires des forces armées », pour
reprendre l’expression de Brian MacArthur :
il est vrai que, pendant la guerre froide, nombre d’entre eux
étaient, en réalité, des agents de la CIA. Les
États-Unis ont commencé à voir cette profession
d’un mauvais œil à compter de la guerre du Vietnam qui
avait profondément écorné leur image. Il fallait donc
faire preuve de plus d’opacité et les Américains ont
alors matérialisé ce principe lors de la guerre du Golfe où
presque aucune photo de cadavre ne fut diffusée.
En France,
l’indépendance n’est pas toujours de mise et la collusion
touche même les journalistes les plus prestigieux, à commencer
par Pierre Péan, l’homme qui avait ébranlé la
présidence de Valéry Giscard D’Estaing. Il entretenait
des liens
amicaux avec le peu libéral Omar Bongo à l’égard
duquel les critiques journalistiques étaient de toute façon peu
aiguisées.
Quant à
ceux qui ne rentrent pas dans le rang, ils peuvent être pris pour
cibles, comme ce fut le cas, à la fin du XXème
siècle, à l’occasion de certains conflits africains
(notamment en Somalie)
et latino-américains (notamment en Colombie).
Ce fut aussi en Irak où l’armée américaine a
tué, accidentellement selon la version officielle, mais
délibérément selon Reporters sans frontières, des
journalistes postés dans l’hôtel Palestine de Bagdad. Sans
oublier les bombardements du bureau d’Al-Jazeera dans la capitale
irakienne dont on peut difficilement douter qu’ils sont la faute
à « pas de chance ».
Israël,
fidèle allié de Washington et censément avec l’armée
la plus démocratique et la plus morale du monde selon ses aficionados les plus
zélés, se rend tout aussi coupable de crimes contre les
journalistes.
Le
développement du droit pénal international a eu pour triste
conséquence collatérale d’inciter les belligérants
à se débarrasser des journalistes. Les États-Unis et Israël
– qui se targuent continuellement d’être de grands
défenseurs des droits de l’homme –
n’échappent malheureusement pas à ces dérives, ce
qui alourdit le passif inhérent à leur bilan de guerres.
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