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L’indécision érigée en politique

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Paul Jorion.
Published : March 17th, 2010
2040 words - Reading time : 5 - 8 minutes
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Les ministres des finances européens nous offrent actuellement une image saisissante de l’indécision générale qui s’est instaurée en Europe, que ce soit à propos des priorités économiques à adopter ou des réformes financières à entreprendre ou faire valoir.

A court terme, à l’épreuve du feu dans le cadre de la crise grecque, tiraillés entre des impératifs contradictoires, les ministres laissent le gouvernement grec fragilisé sur le fil du rasoir. Minimisant l’éventualité de leur intervention, ils poursuivent une discussion sans fin à propos d’un hypothétique plan de soutien financier et se réfugient derrière l’argutie que les Grecs ne sont pas demandeurs (ils demandent pourtant une solidarité qui leur fait défaut concrètement), pour en reporter à plus tard la décision finale.

Pis, ils laissent planer la plus grande ambiguïté sur les conditions financières dans lesquelles le gouvernement grec pourrait accéder à des prêts bilatéraux, refusant de confirmer clairement – ou affirmant même le contraire – que leurs taux pourraient être inférieurs à ceux auquel ce dernier doit consentir aux marchés, afin de soulager son plan global de résorption du déficit.

En attendant, les Grecs vont devoir très prochainement poursuivre leurs opérations de refinancement de leur dette, sans aucune lisibilité sur leurs conditions. Laissant subsister un facteur d’incertitude non seulement sur leur situation propre, mais par ricochet sur celle de toute la zone euro. Ce qui représente une incontestable incitation à la poursuite de la crise que connaît l’euro.

Sous la contrainte, après qu’il ait été tardivement compris qu’un lâchage de la Grèce n’était pas dans les moyens de la zone euro, le tandem franco-allemand parvient difficilement à accoucher d’un semblant d’accord, qui devra encore être finalisé et adopté par les Chefs d’Etat ou de gouvernement. C’est un tout petit pas vers l’adoption de mesures de renforcement de la cohésion de la zone euro. Vu les conditions dans lequel il a pu être effectué, on mesure tous ceux qui restent à accomplir afin qu’un dispositif permanent puisse être mis en place, afin de faire face aux inévitables crises futures qui vont la secouer. Le système d’aides bilatérales finalement adopté est en effet le degré le plus élémentaire des différentes options possibles.

Le lancement d’une discussion à propos d’un Fonds monétaire européen a dans l’immédiat tourné court, alors qu’il apparaissait de plus en plus que ce projet avait comme vocation essentielle d’instaurer un système de contraintes et de sanctions au profit d’une politique économique ayant comme seul objectif d’imposer à tous les pays de la zone euro les stricts paramètres de déficit que l’Allemagne a décidé de se donner pour elle-même.

On comprenait même, au fil des déclarations en provenance de son initiateur, Wolfgang Schäuble (le ministre des finances allemand), que la mise sur pied du FME pourrait aller de pair avec une reconfiguration de la zone euro, après exclusion de celle-ci de ses mauvais élèves. Le tout témoignant d’une logique incontestable bien qu’aveugle, car aboutissant inévitablement à l’approfondissement de la crise économique européenne (et pénalisant d’autant, par voie de conséquence, le commerce européen allemand).

Dans ces conditions, il était impossible d’éviter que n’éclatent au grand jour des désaccords jusque là masqués à propos de la politique économique européenne à suivre dans le cadre de la crise actuelle. D’accusatrice, l’Allemagne devenait accusée. Pourfendeuse du laxisme budgétaire des autres, elle est mise en cause en raison d’un modèle économique reposant sur une modération salariale favorisant ses exportations, créant au sein de la zone euro une situation intenable à terme. Permettant d’identifier comme pathologique un déséquilibre interne à l’Europe de même nature que celui qui préside aux relations commerciales sino-américaines !

Les pays exportateurs sont désormais mis au ban des accusés. Tant en raison de leur politique salariale que – pour la Chine – de sous-valorisation de leur devise. Magnifique paradoxe de cette crise que de voir comment ce qui était hier considéré comme signe d’excellente santé économique – la puissance exportatrice d’un pays – est aujourd’hui analysé comme l’une des causes de déséquilibres devant être résorbés dans un monde devenu globalisé  !

Paradoxe non moins étonnant, le remède qui est proposé repose sur une réorientation de la croissance économique de ces pays afin qu’ils s’appuient sur leur marché intérieur, ce qui implique une élévation du pouvoir d’achat ! Pour le moins un virage à 180 degrés par rapport aux décennies qui viennent de s’écouler ! Une même question ne pouvant manquer d’être posée dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, où il est établi que la croissance économique reposait pour l’essentiel sur la consommation des ménages. Celle-ci n’étant possible que grâce à l’échafaudage d’un crédit qui n’est plus envisageable de relancer à l’identique.

La recherche d’un moteur à la croissance économique va progressivement s’imposer comme sujet d’interrogation, la seule lutte contre les déficits publics ne pouvant d’évidence faire office de politique économique. En réalité, c’est à cela que nous assistons, sous couvert des polémiques franco-allemandes que Christine Lagarde a initiées en accordant son interview au Financial Times critiquant l’orientation économique allemande. Il est au passage significatif qu’un étrange mode de discussion sur les questions essentielles semble s’être instauré entre les gouvernements européens, qui utilisent le canal de la presse financière internationale pour débattre entre eux (après le lancement du FME par Wolfgang Schäuble selon un mode identique ).

Or, il est trivial que le développement économique à l’exportation n’est pas en soi une réponse globale à cette question : le commerce international est par définition un jeu à somme nulle, qui repose en dernière instance sur la consommation intérieure. Pour que les exportations des uns se développent, il faut que la consommation des autres en fasse autant. L’ajustement des parités monétaires peut contribuer à équilibrer les flux internes, mais pas à assurer une croissance globale  !

Les marchés pèsent de tout leur poids actuellement, afin que les gouvernements occidentaux adoptent comme credo la lutte prioritaire et drastique contre le déficit public. Faisant preuve du même aveuglement en la circonstance que celui qui a été le leur pour aboutir au déclenchement de la crise, ils ne peuvent que créer les conditions de sa poursuite et son approfondissement.

Une note de l’agence Moody’s mérite à cet égard d’être longuement citée. Evoquant le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis, et l’Allemagne, l’agence de notation délivre son oracle  : « Il n’y a pas de risque immédiat de dégradation des grands pays AAA, mais le mince risque qu’ils ne parviennent pas à maintenir leurs finances sous contrôle, et soient donc dégradés, a augmenté ». L’agence estime en conséquence qu’il n’est pas possible « d’esquiver la nécessité de baisser les dépenses », car laisser en place les plans de relance dans l’espoir de la relance « mettrait à l’épreuve la patience et la confiance des marchés financiers ou des banques centrales, qui pourraient se mettre à combattre les attentes d’inflation en élevant les taux d’intérêt ».

La suite de la note est toute aussi explicite : « La croissance ne résoudra pas à elle seule l’équation de plus en plus compliqué de la dette. Maintenir la dette à des niveaux compatibles avec une notation AAA nécessitera inévitablement des ajustements budgétaires d’une ampleur telle que, dans certains cas, cela pourra mettre en cause la cohésion sociale. Nous ne parlons pas de révolution, mais la gravité de la crise va forcer les gouvernements à faire des choix douloureux qui vont fragiliser la société ».

Que faire, dans ces conditions ? L’OCDE est venue de manière nettement plus nuancée à la rescousse des gouvernements dans son rapport annuel, intitulé avec optimisme « objectif croissance ». En le présentant, Pier Carlo Padoan, son économiste en chef, a expliqué que « la reprise est en route mais nous ne savons pas si elle est encore tirée par les politiques de relance ou si elle a acquis sa propre dynamique ».

En conséquence, si l’assainissement des finances publiques est « un enjeu majeur », il va falloir mettre fin aux mesures de relance, mais de manière graduelle, chaque pays à son rythme en évitant une trop grande « synchronisation » des coupes budgétaires qui aurait des répercussions négatives. La prudence est par ailleurs également de mise sur la manière d’y procéder. L’arrêt des plans de relance ne suffira pas, des réformes structurelles étant « un élément fondamental de la gestion de la sortie de crise ». Elles doivent privilégier un accroissement de l’emploi, qui aboutira à réduire le coût des prestations sociales et à diminuer ainsi le déficit. Il faudra également augmenter les impôts, précise le rapport. En ce qui concerne les dépenses publiques, les « plus productives » devront être ménagées : éducation, santé, recherche et développement, transports et infrastructures de communication. Pour un peu, on s’attendrait à voir préconisée la réduction des dépenses militaires !

Entre Moody’s et l’OCDE, c’est donc le grand écart ! A quel saint les gouvernements doivent-ils se vouer dans ces conditions ?

De la même manière que les Allemands tentent d’imprimer leur marque en matière de politique économique européenne, les Britanniques procèdent de même à propos des projets de régulation financière. Dans les deux cas, cela ne mène pas très loin !

La question de la régulation des hedge funds a ainsi été retirée à la dernière minute de l’ordre du jour de la réunion des ministres des finances, devant les désaccords persistants, pour l’essentiel avec les Britanniques, ce dont Alistair Darling, le ministre britannique des finances s’est félicité, estimant que « la sagesse » avait prévalu. Il avait été envisagé par certains un passage en force, renvoyant ensuite le dossier pour adoption des mesures envisagées devant le Parlement européen, qui aurait pu l’adopter. Ce n’est pas la voie qui a été choisie, non sans rapport probablement avec la récente rencontre à Londres de Nicolas Sarkozy et Gordon Brown.

Le projet de la Commission européenne envisage d’encadrer les fonds spéculatifs, mais aussi ceux de capital-risque ou d’investissement. En échange d’une plus grande transparence et du respect de certaines règles, les fonds européens pourraient exercer dans toute l’UE. Mais le traitement des fonds basés hors l’UE, notamment dans des paradis fiscaux, fait débat. L’AIMA, le lobby international des hedge funds dénonce pour sa part les aspects « protectionnistes » du projet, tandis que Timothy Geithner a écrit au nom du gouvernement américain pour protester contre des mesures qui seraient selon lui discriminatoires à l’égard des fonds américains.

Sur la régulation des produits dérivés, l’autre sujet d’importance de la régulation, on en est aux entrechats diplomatiques entre Michel Barnier, commissaire chargé des affaires financières, et Gary Gensler, président de l’autorité américaine de régulation des marchés à terme de matières premières (CFTC), car toute régulation de ce gigantesque marché de 600 mille milliards de dollars n’a de sens que si elle est décidée des deux côtés de l’Atlantique, alors qu’il est estimé que « 80% de celui-ci échappe à toute transparence, à toute standardisation, à tout enregistrement » a estimé à Bruxelles Michel Barnier.

Des paroles aimables et des déclarations de bonne volonté réciproque ont été échangées, sans qu’aucune disposition tangible n’ait été évoquée. Afin de mettre en perspective ces conversations, il n’est pas sans intérêt de rappeler que le projet de loi de régulation financière, enfin présenté lundi dernier au Sénat par Christopher Dodd, se contente d’évoquer la nécessité que les produits dérivés « standards » passent par des chambres de compensation. Détail qui n’est pas sans importance : aucune autre définition de ceux-ci n’est disponible, si ce n’est qu’ils sont considérés standards… parce qu’ils passent par une chambre de compensation !





Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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