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Lors de son
discours du 8 avril dernier devant l’Assemblée nationale, Manuel Valls a
inclus la réforme des collectivités territoriales dans son plan d’économies de
50 milliards d’euros. Mesure louable, mais difficile à mettre en place.
Tout d’abord
parce que le Premier ministre n’a pas été clair sur la façon dont la
simplification territoriale du pays allait permettre de dégager des
économies. Concrètement, il a mentionné un redécoupage régional qui ferait
passer le nombre des régions de 27 à 20 (la France d’outre-mer incluse). Il a
également mentionné la suppression des conseils départementaux (anciens
conseils généraux), ainsi que la fin de la clause de compétence générale.
Cette dernière permet à une collectivité d’intervenir lorsque l’intérêt de
son territoire peut être invoqué, sans qu’on vérifier au préalable si
l’intervention est justifiée ou pas. Le résultat est un enchevêtrement
d’actions territoriales et de financements croisés typiques du gaspillage
public.
Tableau 1: Collectivités, populations et territoires
(Sources : instituts nationaux de statistiques de chaque pays)
Pays
|
Collectivités
|
Population
|
Territoirea
(km2)
|
Habitants/
Collectivité
|
km2/
Collectivité
|
Allemagne
|
12.497
|
80.585.700
|
357.114
|
6.448,40
|
28,58
|
Brésil
|
5.597
|
190.800.000
|
8.515.767
|
34.089,69
|
1.521,49
|
Chine
|
43.684 b
|
1.344.130.000
|
9.706.961
|
30.769,39
|
222,21
|
Espagne
|
8.181
|
47.100.000
|
505.992
|
5.757,24
|
61,85
|
États-Unis
|
87.576
|
317.800.000
|
9.629.091
|
.628,85
|
109,95
|
France
|
39.296
|
66.394.000
|
640.679
|
1.689,59
|
16,30
|
Italie
|
8.177 c
|
60.626.442
|
301.336
|
7.414,26
|
36,85
|
Japon
|
1.766 d
|
127.650.000
|
377.930
|
72.281,99
|
214,00
|
Royaume-Uni
|
426
|
63.182.000
|
242.900
|
148.314,55
|
570,19
|
a Surface totale (terrestre et
maritime).
b N’inclut pas les 704.386 villages
ruraux chinois, car division plutôt informelle.
c Actuellement en processus de réduction
du nombre de collectivités.
d Selon le nouveau redécoupage
territorial approuvé en 2014.
Le tableau 1
ci-dessus nous donne une indication de ce phénomène français. S’il est vrai
que la France n’a pas en absolu le plus grand nombre de collectivités au
monde, quand on rapporte ce nombre à sa population et à l’étendue de son
territoire, le résultat est tout à fait différent. Il y a tout simplement
trop d’entités administratives par personne et par km2. Or, qu’il
s’agisse de l’Allemagne, du Japon ou du Royaume Uni, ces pays arrivent à
administrer leur population et leur territoire avec moins de
collectivités.
Il n’est
cependant pas simple de localiser les doublons caractéristiques du
millefeuille territorial français. Les différentes collectivités (l’État, les
régions, et les départements) se
renvoient la balle la plupart du temps. Un premier niveau d’analyse vise la
fonction publique d’État. En effet, l’État central emploie un nombre de
fonctionnaires supérieur à celui des régions, départements, et municipalités
réunis alors qu’il est bien plus éloigné de la vie des citoyens.
Tableau 2: Effectifs
de la Fonction Publique Française (Source : INSEE)
Versant de la fonction publique
|
Effectifs
|
Effectifs par région
|
Effectifs par département
|
Effectifs par commune
|
Fonction Publique de l’État
|
2.466.200
|
91.341
|
24.417
|
67
|
Fonction Publique Territoriale
Régions
Départements
Communes
|
1.881.800
80.500
363.200
1.438.100
|
2.981
|
3.596
|
39
|
Fonction Publique Hospitalière
|
1.145.200
|
42.414
|
11.338
|
31
|
Comme nous
pouvons le constater dans le tableau 2, l’État central emploie 30% de
personnes en plus que les collectivités territoriales. Les effectifs de
l’État central distribués par commune dépassent de 71% le nombre de
fonctionnaires qui travaillent au sein de ces dernières, un chiffre
ahurissant compte tenu du fait que les fonctionnaires de l’État ne
participent pas directement au quotidien du citoyen. Qui sont ces
fonctionnaires de l’État ? Rendez-vous au tableau 3.
Tableau 3: Effectifs
de la Fonction Publique de l'État (Sources : INSEE, Ministère de
l’Education, Enseignement Supérieur et Recherche, Ministère de l’Intérieur,
Ministère de la Défense)
Ministères et établissements publics à caractère administratif
|
Effectifs
|
Education, enseignement supérieur et recherche
Dont
enseignants (tous degrés confondus, privé sous contrat inclus)
|
1.362.500
841.700
|
Economie, finances et industrie
|
219.900
|
Intérieur
Dont la
Police Nationale
|
290.700
144.858 a
|
Logement, transports et développement durable
|
86.300
|
Justice
|
77.000
|
Affaires sociales, santé et travail
|
50.000
|
Défense
|
292.900
|
Autres
|
87.100
|
Sous-total : Ensemble des ministères
|
1.969.000
|
Sous-total : Etablissements publics à caractère
administratif
|
497.200
|
Total fonction publique de l’État
Dont
militaires b
|
2.466.200
318.300
|
a Ce chiffre inclut le personnel
administratif de la Police Nationale, à peu près 35.000 personnes.
b Les militaires incluent également la
gendarmerie et les pompiers militaires (5% des effectifs de pompiers en
France).
En ignorant
les militaires, les enseignants, les policiers et le personnel de la Justice,
il reste encore 1.229.200 de fonctionnaires de l’administration centrale en
France. Un chiffre presque aussi élevé que le nombre de fonctionnaires
communaux en France. Il ne s’agit pas d’une indication précise, mais assez
révélatrice des possibilités de doublons
administratifs en France du fait de la présence d’un très grand nombre de
fonctionnaires administratifs dans l’État central.
L’État central
n’est cependant pas le seul fautif. Les collectivités territoriales
participent aussi au problème. La fonction publique d’État (FPE) a, en effet,
baissé ses effectifs au cours des dernières années par rapport à la fonction
publique territoriale (FPT), comme nous montre le graphique ci-dessous du
Ministère de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction
publique. Il est évident que le Premier ministre est en bonne voie quand il
invoque le millefeuille territorial.
Néanmoins, il
devrait nous dire comment sa réforme territoriale pourrait-elle réduire les
dépenses dans leur ensemble. Car une fois le nombre des collectivités réduit,
il faudra faire face à la baisse des effectifs qu’elle supposera. En effet,
il n’y aura plus assez de postes pour tous les fonctionnaires territoriaux et
le nombre élevé de fonctionnaires administratifs de l’État central sera bien
plus difficile à justifier. Le Premier ministre n’entend certainement pas
faire des économies grâce à la baisse du nombre de ramettes de papier,
d’imprimantes ou de tampons utilisés.
Certaines
mesures d’économies, proposées ici et là, concernant les fonctionnaires
consistent à augmenter le service hebdomadaire de ces derniers sans
augmentation de salaire pour atteindre progressivement les 39 heures
hebdomadaires, à geler les augmentations et les promotions des
fonctionnaires, ou même à désindexer leurs salaires. Il est vrai que par
rapport à la situation actuelle, ces mesures représenteraient bien une baisse
des dépenses. Cependant, ces mesures, ajoutées à la réforme territoriale,
n’apportent toujours pas de réponse au problème du nombre. Comment justifier
le maintien du même nombre de fonctionnaires s’il s’agit de fournir moins de
services ? Il faudra trancher dans le vif et reconnaitre la réalité :
Il y aura tout simplement trop de fonctionnaires par rapport aux services
demandés. Le gouvernement Valls, est-t-il vraiment prêt à faire une réforme
territoriale ?
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