Bastiat a oublié quelque chose ! Il y a certes ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, mais il y a aussi ce qu’on voit mais qu’on fait semblant de ne pas voir : on ne dépense pas ce qu’on ne peut pas payer. La nature dépensière de l’État a été minimisée pendant des décennies grâce aux discours favorables aux interventions coûteuses des États développés occidentaux. Une minimisation fondée surtout sur l’idée illusoire qu’un État ne fait jamais défaut. Cette illusion a été entretenue par des relations viciées entre l’État, sa Banque centrale (BC) et les banques commerciales.
Un État ne pourrait jamais faire défaut sur sa dette car il peut en principe faire usage de deux de ses privilèges. Le premier repose sur son monopole de taxation de la population pour obtenir des fonds supplémentaires. Le second vient de son monopole sur la production monétaire. L’État peut toujours créer plus de monnaie pour payer ses obligations. Reste que pour que l’illusion opère, faut-il encore que la population soit assez riche (et donc productive) pour supporter des taxes de plus en plus lourdes et que la dette soit principalement libellée en monnaie domestique. L’absence d’au moins une de ces conditions explique pourquoi cette illusion n’opère pas dans les pays en développement.
Néanmoins, l’utilisation explicite des monopoles supra-cités est immédiatement dangereuse et impopulaire. Une taxation excessive appauvrit la population et incite à l’émigration ; toute expansion monétaire excessive crée une pression inflationniste qui nuit au pouvoir d’achat et appauvrit aussi la population. Il faut donc trouver un moyen de financer les dépenses publiques par des biais moins explicites.
Quels sont-ils ? Le premier biais consiste à légaliser la pratique des réserves fractionnaires – les réserves de liquidité de la banque sont une « fraction » de ses dépôts à vue, laissant ceux-ci à découvert. La création monétaire ainsi autorisée permet aux banques d’augmenter facilement leurs profits et leur patrimoine. Les profits augmentent grâce à l’expansion fiduciaire du crédit. Plus de crédits implique plus d’intérêts reçus par la banque. Le patrimoine de la banque peut éventuellement augmenter car si les crédits sont effectivement remboursés, ce qui était un simple jeu d’écriture sur les registres comptables deviendra à terme des actifs réels.
Si les banques ont une grande incitation à pratiquer la réserve fractionnaire, l’État a aussi de bonnes raisons pour l’autoriser. Évidemment, en s’endettant, l’État évite de taxer immédiatement la population ou de produire explicitement plus de monnaie. De plus, la création de crédit fiduciaire par les banques commerciales permettrait d’éviter que les besoins de financement de l’État entraînent un assèchement des fonds disponibles pour les entreprises, le fameux effet dit d’éviction.
En effet, pour obtenir des financements des banques, les États, connu pour leur gestion non lucrative, ont toujours offert toutes sortes de privilèges politiques et commerciaux à leurs financiers de sorte que les entreprises privées ne pouvaient pas rivaliser. Le privilège de création monétaire donné aux banques aurait au moins cet avantage de profiter aussi aux entreprises.
Finalement, ce privilège donné aux banques repose aussi sur la croyance que les banques commerciales, spécialisées dans l’intermédiation entre épargnants et entreprises, seraient mieux placées pour attribuer des fonds que l’État. Leur connaissance des clients alliée à leur intérêt de se faire rembourser fournirait une réponse plus appropriée aux « besoins du commerce » qu’une création monétaire directement orchestrée par l’État.
Dans une deuxième partie, on verra que les « avantages » de la réserve fractionnaire sont en réalité une source de problèmes. Le système instauré par l’État pour soulager ses besoins financiers ne fait qu’aggraver la situation.
A suivre…
Gabriel Gimenez-Roche