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Je vais vous conter ici une histoire vraie, riche
d'enseignements, qui montre notamment qu'il peut être utile et productif de
s'attacher au détail et de ne rien laisser passer, tel un mathématicien
scrupuleux, par définition rigoureux. Ce fut l'attitude de ce comptable à la
retraite qui est venu, un jour, se plaindre au directeur de sa banque car il
avait remarqué une erreur de 15 centimes sur les intérêts versés sur son
compte d'épargne. Malheureusement, le directeur de la banque ne l'a pas pris
au sérieux. L'histoire se déroule en 1990 à Paris. Nullement découragé, le
retraité, que nous appellerons Monsieur Durand, décide de se rendre à la
police pour porter plainte.
Il est reçu par l'inspecteur Lucchino en poste dans le
quinzième arrondissement de la capitale. Stupéfait, l'inspecteur tente de le
raisonner : - "Voyons, cher monsieur, vous n'allez pas porté plainte
pour une erreur de 15 centimes" ; - "Si une erreur de 5 centimes
est possible, alors une erreur de 5 millions aussi !", rétorque Monsieur
Durand, vexé. Mais l'inspecteur Lucchino refuse d'enregistrer la plainte,
ayant bien d'autres chats à fouetter. Un mois passe... L'inspecteur est alors
reçu, à sa demande, par le directeur de la banque. Ce dernier n'en revient
pas : - "Vous n'allez pas me dire que vous faites une enquête pour 5
centimes ?!" ; - "Si ! Monsieur Durand a pris un avocat et n'a pas
l'intention de lâcher le morceau ; il en fait une question de
principes", répond l'inspecteur. - "Dans ce cas, que voulez-vous
savoir ?", répond le banquier autant amusé qu'irrité. L'inspecteur
demande alors qui aurait pu commettre cette erreur au sein de l'agence. -
"Cela ne peut pas venir de chez nous. Les intérêts sont calculés
automatiquement au siège central", répond sans hésiter le banquier. -
"Par combien de personnes ?" ; - "Ils ne sont pas très nombreux,
ce sont des spécialistes très recherchés" ; - "Mais vous ne
vérifiez jamais ?" s'étonne l'inspecteur Lucchino.
Alors le banquier se lance dans une explication aussi
technique qu'ennuyeuse. Puis, le banquier invite l'inspecteur à se rapprocher
d'un ordinateur pour lui faire une démonstration. Il lance une simulation et
le calcul des intérêts prend quelques longues minutes. Quand, soudain, c'est
la consternation sur le visage décomposé du banquier : - "Que se
passe-t-il ?", demande, intrigué, l'inspecteur. Alors, le banquier répond
: - "Je ne comprends pas, il manque... 5 centimes !". Un silence
glacial fige les deux hommes qui se regardent dans les yeux. Ils ont compris
qu'ils pensent tous les deux exactement à la même chose, une chose effarante
qui donne le vertige.
Alors, l'inspecteur de police demande : -"Combien de
calculs de ce genre fait-on au siège central dans une journée ?" ; -
"Je ne sais pas : dix mille, vingt mille...", répond le banquier.
L'inspecteur Lucchino calcule à haute voix: - "20 mille fois 5 centimes,
soit 1000 francs par jour, ce qui représente... 30 000 francs par mois
!!". L'inspecteur Lucchino fonce alors au siège central, où il est reçu
très sérieusement cette fois par le directeur général. Et c'est ainsi que fut
démasqué, puis arrêté, Patrick Chevalier, un petit génie de l'informatique,
qui détournait, à la barbe de tout le monde, 30 000 francs par mois, sans que
cela n'inquiète personne... Personne ? Sauf Monsieur Durand, le retraité
râleur à cheval sur ses principes.
Alors, permettez-moi de vous donner un conseil. Si vous
découvrez qu'il manque 5 centimes sur le montant de vos intérêts, ne dites à
personne que j'ai croisé un jour, dans mes cours de finances, un certain
Patrick Chevalier.
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