Dans un
précédent article
nous avons étudié la composition de la dette publique
française. Nous avons ainsi pu constater qu’elle était
majoritairement constituée (à plus des trois quarts) de la
dette souveraine, à laquelle nous allons nous intéresser dans
cet article. Il existe un élément qui est moins souvent
évoqué et qui pourtant risque d’être capital dans
les mois et les années à venir. Il s’agit du profil
d’amortissement des dettes, c’est-à-dire
l’échéancier auquel le débiteur devra rembourser ses
dettes.
L’obligation
arrivée à échéance il faut en effet la
rembourser, sous peine de défaut. Ceci ne peut se réaliser que
de deux manières : avec un excédent budgétaire ou
alors grâce à l’argent d’un nouvel emprunt. Dans ce
deuxième cas on dit que l’emprunteur rolle
[1] la dette, ou qu’il pratique de la cavalerie financière. Dans
l’exemple de l’État français, qui
n’a pas équilibré un budget depuis 1974, c’est ce
deuxième moyen qui est employé. Et lorsqu’il y a un
déficit budgétaire, non seulement faut-il prolonger les dettes
arrivant à échéance, mais il y a en plus
nécessité d’emprunter davantage pour combler ce nouveau
déficit.
Le
gouvernement français dévoilait le 28 septembre dernier le
projet de loi de finances pour 2013. Celui-ci prévoit un montant
d’émissions de dette à moyen et long terme (BTAN, OAT)
net des rachats de 170
milliards d'euros. Pour simplifier, ce total se décompose en 109
milliards d’euros d’obligations arrivant à
échéance en 2013 et en 61 milliards d’euros de nouveaux
emprunts pour financer un déficit en hausse. Pour l’Agence
France Trésor (AFT), à qui est confiée la gestion de la
dette souveraine française, la majorité des besoins provient
donc de la dette passée arrivant à échéance,
c’est-à-dire du rolling de la dette.
Ce sont donc
170 milliards d’euros qui vont être émis sur les
marchés à de nouvelles
conditions. C’est précisément là que se trouve le
risque : les prêteurs vont-ils avoir confiance ? Le niveau de
taux d’intérêts pour emprunter sur les marchés
financiers va-t-il baisser ou augmenter ? Les prêteurs vont-ils
demander des taux prohibitifs ? Si l’on étudie
l’histoire économique européenne récente, on
s’aperçoit en effet que l’Italie, l’Espagne,
l’Irlande et le Portugal (sans parler de la Grèce) ont ainsi vu
cette année leurs conditions d’emprunt se dégrader
considérablement, ce qui a amené la BCE à acheter sur
les marchés secondaires des obligations des états
concernés (elle a activé le Securities Markets
Programme en mai 2010) :
Actuellement, l’État français arrive
à se refinancer à des conditions favorables. Par exemple, les
conditions à 10 ans sont de 2,11%, ce qui est historiquement peu
élevé :
Pour autant, comme déjà vu dans un article
précédent, cette baisse de taux ne saurait être
interprétée comme une marque de confiance des investisseurs ou
un témoignage de regain de la solidité de
l’économie. Elle est plus sûrement due à une
méfiance moindre à l’égard de la dette
française que vis-à-vis d’autres émetteurs européens
et aux normes prudentielles bâloises incitant très fortement les
banques à acheter des obligations souveraines pour se constituer des
coussins de liquidité.
Si les obligations arrivant à
échéance ont été souscrites il y a un certain
temps, elles l’ont été à des conditions moins
avantageuses que celles émises récemment. En rollant ses dettes, l’État français
emprunte alors à un taux inférieur, ce qui permet de diminuer
la charge de sa dette. C’est ainsi que l’on peut observer dans le
budget une relative stabilité du poste ‘Charge
d’intérêts de la dette’ malgré une forte
augmentation de l’encours de celle-ci.
Les baisses de taux donnent ainsi une illusion de
sécurité qui pourrait disparaître dès que les taux
augmenteront. Les effets des éléments cités ci-dessus vont
certainement s’estomper et les conditions d’emprunt risquent
alors d’évoluer à la hausse dans les mois ou les
années à venir.
Imaginons que les taux augmentent de 1,00% sur
toutes les maturités en 2013. Le surcoût pour un stock
d’émission de 170 milliards d'euros est de 1,7 milliard d'euros
par an. Cela ne paraît pas insurmontable et semble assez indolore (au
moins à moyen terme), mais il faut tout de même bien avoir
conscience qu’il faudra le payer sur toute la durée de vie de
l’obligation. Il y a un effet d’inertie assez important :
l’augmentation (ou la diminution) des taux
d’intérêts n’impacte que la partie du stock
renouvelée.
Par contre, si l’on regarde les
échéances futures des dettes souveraines, on
s’aperçoit que ce sont plus de 470 milliards d’euros
qu’il faudra renouveler dans les 4 prochaines années, en plus
desquels il faudra emprunter pour les déficits futurs cumulés
de 2013 à 2016.
Il est également
à noter que cette dette est majoritairement
détenue par des non-résidents :
Cette
situation de dépendance par rapport à des financements
étrangers rend l’État particulièrement
vulnérable au renouvellement de la dette. Si le Japon peut se
permettre de dépasser les 230% de dette publique, c’est que plus
de 90% des détenteurs sont des résidents (parmi eux figure en
bonne place la banque centrale).
Ainsi, c’est un véritable mur de la
dette qui s’annonce pour le gouvernement français. Si à
court ou moyen terme une augmentation des coûts d’emprunt semble
peu problématique, l’État
français est face à un véritable effort de
crédibilité pour réaffirmer sa solvabilité,
convaincre les investisseurs et ainsi réussir à franchir ce
mur.
[1] de l’anglais ‘to roll’, qui
signifie rouler
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