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1. La
nature du socialisme
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La nature du socialisme se résume en ceci: tous les moyens de
production sont à la disposition exclusive de la communauté
organisée. Le socialisme n'est que cela et rien d'autre. Toutes les
autres définitions sont fausses. On peut penser que la réalisation
du socialisme n'est possible que dans des conditions politiques et morales
bien précises. Mais cela n'autorise pas à qualifier de
socialisme une forme précise de socialisme et à refuser ce nom
à toutes les autres réalisations possibles de l'idéal
socialiste. Le socialisme marxiste s'est donné beaucoup de mal pour
vanter son idéal socialiste particulier comme étant le seul
socialisme véritable et pour prétendre que tous les autres
idéaux socialistes et tous les moyens employés par d'autres que
lui pour réaliser le socialisme n'avaient rien à voir avec le
véritable socialisme. Du point de vue politique, ce comportement de la
social-démocratie était fort adroit. Si elle avait dû
reconnaître que sur certains points son idéal se rencontrait
avec l'idéal d'autres partis politiques, cela aurait rendu sa
propagande plus difficile. La social-démocratie n'aurait jamais pu
grouper autour de son drapeau des millions d'Allemands mécontents si
elle avait dû avouer publiquement que ses aspirations ne
différaient pas essentiellement du but que les classes dirigeantes de
l'État prussien cherchaient à atteindre. Si avant le mois
d'octobre 1917, on demandait à un marxiste en quoi son socialisme
différait du socialisme d'autres tendances et en particulier du
socialisme des puissances conservatrices, il répondait que dans le
socialisme marxiste la démocratie et le socialisme s'étaient
indissolublement réunis. Le socialisme marxiste était, de plus,
a-étatique, attendu qu'il faisait disparaître l'État.
Nous avons déjà montré ce qu'il faut penser de ces
arguments. Du reste, depuis la victoire bolchévique, ils ont disparu
de la collection des slogans marxistes. Tout au moins, les idées que
les marxistes se font aujourd'hui de la démocratie et de l'a-étatisme
sont-elles tout autres que celles qui prévalaient auparavant.
L'on pouvait
aussi obtenir des marxistes la réponse suivante à ces
questions: leur socialisme était révolutionnaire, en opposition
avec le socialisme réactionnaire ou conservateur des autres. Cette
réponse sert plutôt à expliquer la différence
entre la social-démocratie marxiste et les autres tendances
socialistes. Pour le marxiste, Révolution ne signifie pas simplement
le changement violent d'un état de choses existant, mais au sens du
chiliasme marxiste, une action qui rapproche l'humanité de la
perfection de sa destinée(1). La révolution sociale de
demain, que le socialisme doit réaliser, sera le dernier acte qui
procurera à l'humanité un éternel bonheur. Les
révolutionnaires sont ceux-là que l'histoire a élus pour
être les instruments qui réaliseront son plan. L'esprit
révolutionnaire est l'esprit sacré qui est descendu sur eux et les
rend capables d'accomplir toutes ces grandes choses. C'est dans ce sens que
le socialiste marxiste aperçoit, comme la qualité la plus haute
de son parti, d'être un parti révolutionnaire. C'est dans ce
sens qu'il considère tous les autres partis comme une masse homogène
réactionnaire, parce que ces partis s'opposent à sa conception
d'un éternel bonheur.
Que tout cela n'ait rien à voir avec les concepts sociologiques de la
communauté socialiste, est évident. Qu'un groupement de
personnes s'arroge, en vertu d'une prédestination particulière,
le monopole de nous apporter le salut, est certainement digne de remarque.
Mais si ces personnes ne connaissent pas d'autre chemin menant au salut, que
celui que suivent beaucoup d'autres hommes, il ne suffit pas de mettre en
avant une particulière prédestination pour créer une
opposition foncière entre le but qu'elles se proposent et celui
où tendent les autres hommes.
Pour
comprendre le socialisme étatique, il ne suffit pas
d'expliquer cette expression étymologiquement. L'histoire de ce mot
montre simplement que le socialisme étatique était un
socialisme qu'avaient adopté les hommes au pouvoir en Prusse et dans
d'autres États allemands. Comme ces hommes s'identifiaient avec
l'État, avec la forme de leur État et avec la conception de
l'État en général, il était assez indiqué
d'appeler leur socialisme: socialisme étatique. Cet usage linguistique
s'acclimate d'autant plus facilement que le marxisme avait obscurci la notion
d'État avec sa doctrine de l'État caractérisé par
la division en classes et condamné à la disparition
progressive.
Le socialisme marxiste avait grand intérêt à distinguer
l'étatisation de la socialisation des moyens de production. Les
slogans de la social-démocratie ne seraient jamais devenus populaires,
s'ils avaient indiqué, comme but suprême de l'effort socialiste,
l'étatisation des moyens de production. Car l'État, qu'avaient
sous les yeux les peuples où le marxisme s'était le plus
répandu n'était pas précisément fait pour qu'on
pût attendre grand-chose de son intervention en matière
économique. Les disciples du marxisme en Allemagne, en Autriche et en
Russie vivaient sur le pied de guerre avec les hommes au pouvoir en qui,
à leurs yeux, s'incarnait l'État. L'occasion du reste ne leur
manquait pas de faire la critique des résultats de
l'étatisation et de la municipalisation. Même avec la meilleure
bonne volonté, on ne pouvait pas ignorer les graves défauts de
l'administration étatique et municipale. Il était vraiment
impossible de s'enthousiasmer pour un programme qui avait pour but
l'étatisation. Un parti d'opposition devait avant tout combattre
l'odieux État autoritaire. C'était le seul moyen d'attirer
à soi les mécontents. C'est aussi à des fins d'agitation
politique que la doctrine marxiste de la disparition de l'État doit sa
naissance. Les libéraux avaient demandé la limitation des
pouvoirs de l'État et la remise du gouvernement aux
représentants du peuple. Ils avaient demandé l'État libre.
Marx et Engels, voulant renchérir, et sans y réfléchir
prirent à leur compte la doctrine anarchiste de la suppression de tout
pouvoir étatique, sans se soucier de savoir si la socialisation ne
commandait pas, non point la suppression, mais au contraire le renforcement
incessant de l'État.
La doctrine de l'État qui meurt est, dans le socialisme, aussi peu
défendable et aussi stupide qu'une autre idée, très
voisine de cette doctrine, à savoir la différence scolastique
entre étatisation et socialisation. Les marxistes se rendent
très bien compte de la faiblesse de leur argumentation. Aussi en
général, se gardent-ils d'insister sur ce point. Ils se
contentent de parler toujours de socialisation des moyens de production, sans
définir exactement ce concept, de sorte que la socialisation semble
être une tout autre chose que l'étatisation dont tout le monde a
une idée. Lorsqu'ils ne peuvent éviter ce sujet pénible,
ils doivent reconnaître que l'étatisation d'entreprises est
« le premier pas vers la prise de possession par la
société même de toutes les forces
productives »(2), ou bien « le point de
départ naturel de l'évolution qui mène à
l'association communiste. »(3) Finalement, Engels se
refuse à admettre que toute étatisation soit
« ipso facto socialiste ». Avant tout, il
ne voudrait pas qu'on qualifiât de socialistes les étatisations
faites pour satisfaire aux besoins financiers de l'État et qui n'ont
pour but que « de procurer à l'État une source de
revenus indépendante des décisions du parlement ».
Pourtant traduits en langage marxiste, des actes d'étatisation
accomplis pour de pareils motifs signifieraient que, pour une part de la
production, la prise de possession du bénéfice par des
capitalistes serait supprimée. Il n'en va pas autrement avec les
étatisations faites par politique pure ou par politique militaire,
qu'Engels qualifie également de non socialistes. Pour lui, le
critère des étatisations socialistes est le suivant: lorsque
les moyens de production et de trafic étatisés
« sont développés au point de déborder vraiment le
cadre des sociétés par actions, de sorte que
l'étatisation est devenue, du point de vue économique,
inévitable. » Cette nécessité, pense-t-il,
apparaît d'abord « dans de grandes institutions de trafic:
poste, télégraphe, chemin de fer »(4). Or
justement les plus grandes lignes de chemin de fer du monde, celles des
États-Unis, et les plus importantes lignes
télégraphiques, les câbles sous-marins, ne sont pas
étatisés; par contre, de petites lignes insignifiantes, dans
des pays étatistes, ont été nationalisées depuis
longtemps. Mais qu'est-ce qui a provoqué l'étatisation de la
poste? Des motifs purement politiques. Qu'est-ce qui a provoqué
l'étatisation des chemins de fer? Des raisons militaires. Peut-on
prétendre que ces étatisations étaient, « du
point de vue économique, inévitables »? Du reste,
qu'est-ce que cela veut dire: « du point de vue économique
inévitables »?
Kautsky se contente aussi de combattre l'opinion « que toute
étatisation d'une fonction économique ou d'une entreprise
économique soit un pas en avant vers l'association socialiste et que
celle-ci puisse sortir d'une étatisation générale de
l'ensemble des entreprises économiques, sans qu'on ait besoin de rien
changer à la structure de l'État. »(5) Mais
personne n'a jamais voulu contester que la structure de l'État
subirait une profonde transformation, si par l'étatisation de
l'ensemble des entreprises économiques l'État se transformait
en une communauté socialiste. Kautsky se contente d'ajouter que
« tant que les classes possédantes seront aussi les classes
dominantes » l'on ne pourra parvenir à une
étatisation complète. Celle-ci ne pourra être réalisée
que « lorsque les classes ouvrières seront devenues les
classes dominantes de l'État ». Il est
réservé aux prolétaires, lorsqu'ils auront conquis la
puissance politique, « de transformer l'État en une grande
association économique qui pourra, pour l'essentiel, se suffire
entièrement à elle-même »(6). Kautsky
se garde de répondre à la question capitale: Est-ce qu'une
étatisation complète réalisée par un autre parti
que le parti socialiste provoquerait la fondation du socialisme? Sans doute,
il y a une différence foncière très importante entre
l'étatisation et la municipalisation de certaines entreprises, au
milieu d'une société par ailleurs attachée à la
propriété privée des moyens de production, et la
réalisation intégrale du socialisme, qui ne tolère
aucune propriété privée des moyens de production
à côté de la propriété de la
communauté. Tant que quelques entreprises seulement sont
exploitées par l'État, des barèmes de prix pour les
moyens de production sont encore fixés par le marché. Ainsi est
donnée aux entreprises étatiques elles aussi la
possibilité de compter. Voudront-elles ou pourront-elles prendre les
résultats du calcul comme directives de leur gestion, cela est une
autre question. Cependant, le fait seul que, en une certaine mesure, le
succès d'une entreprise puisse être évalué en
chiffres, fournit à la direction commerciale de ces entreprises
publiques un point d'appui qui fait forcément défaut à
la direction d'une communauté purement socialiste. La manière
dont une entreprise étatique est dirigée, peut être
qualifiée, avec raison, de mauvaise gestion, mais au moins c'est une
gestion. Dans une communauté socialiste, il ne peut y avoir, comme
nous l'avons déjà vu, de véritable gestion
économique(7).
L'étatisation
de tous les moyens de production de l'économie nationale amène
cependant avec elle le socialisme intégral. L'étatisation de
quelques-uns des moyens de production est un acheminement vers la socialisation
complète. Qu'on s'en tienne là ou qu'on aille plus loin ne
change rien au caractère de ces premières étatisations.
Si l'on veut faire passer toutes les entreprises dans la
propriété de la société organisée, on ne
pourra procéder autrement qu'en étatisant chacune de ces
entreprises, ou bien l'une après l'autre, ou bien toutes à la
fois.
L'imprécision que le marxisme avait répandue sur le concept:
étatisation, s'est fait sentir très vivement en Allemagne et en
Autriche, en novembre 1918 après la conquête du pouvoir par les
sociaux-démocrates. Du jour au lendemain, un slogan, qu'on n'entendait
guère auparavant, devint populaire: socialisation. C'était sans
doute une sorte de périphrase destinée à remplacer le
mot allemand: étatisation, par un mot étranger qui faisait plus
d'effet. Que le socialisme ne fût rien de plus que l'étatisation
ou la municipalisation était une idée qui ne pouvait venir
à presque personne. Celui qui avait le malheur de l'exprimer
était considéré comme un homme qui n'entendait rien
à rien, attendu qu'entre l'étatisation et la socialisation il y
avait une différence énorme. Après la conquête du
pouvoir par le Parti social-démocrate, des commissions de
socialisation furent instituées. Elles avaient pour mission de trouver
pour la socialisation des modalités, qui, au moins
extérieurement, la distinguassent des étatisations et des
municipalisations.
Le premier compte rendu de la commission sur la socialisation des mines de
charbon écarte l'idée de réaliser cette socialisation
par l'étatisation des mines à charbon, en montrant les
défauts inhérents à la gestion nationale des mines. Mais
le compte rendu est muet sur la question de savoir en quoi la socialisation
diffère de l'étatisation. Le compte rendu reconnaît
« que l'étatisation isolée des mines, alors que
l'économie capitaliste subsiste encore dans d'autres branches de
l'économie, ne saurait être considérée comme une
socialisation, mais simplement comme le remplacement d'un patron par un
autre ». Mais une socialisation isolée, telle que ce compte
rendu l'a en vue et la propose, étant donné les mêmes
circonstances, eût-elle pu avoir une autre signification?(8) C'est
là une question qui reste sans réponse. On aurait compris que
la commission indiquât, que pour provoquer les effets bienfaisants de
la société socialiste, il ne suffisait pas d'étatiser
quelques branches de la production, mais qu'il fallait que l'État
prît d'un coup en main toutes les entreprises, comme le firent les
bolcheviks en Russie et en Hongrie, et comme les spartakistes voulaient le
tenter en Allemagne. La commission ne l'a pas fait. Au contraire, elle a
élaboré des plans de socialisation qui prévoient
l'étatisation isolée de quelques branches de la production,
d'abord des mines de charbon et du commerce des produits fournis par le
charbon. La commission évite d'employer le mot: étatisation,
mais cela ne change rien au fond de la question. Ce n'est qu'une
subtilité juridique si, d'après les propositions de la
commission, ce n'est pas l'État allemand qui doit devenir
propriétaires des mines allemandes socialisées, mais une
« Association allemande des charbons ».
Lorsque le compte rendu de la majorité de la commission expose que
cette propriété est « conçue seulement dans
un sens formel et juridique », mais qu'il est défendu
à cette association des charbons « d'occuper la place
matérielle du propriétaire privé et que par là
lui est enlevée la possibilité d'exploiter les ouvriers et les
consommateurs » la commission ne fait qu'emprunter les slogans les
plus vides au langage de la rue. Du reste, le compte rendu n'est qu'un
ramassis de toutes les erreurs populaires touchant le système
économique capitaliste. Le seul sur lequel, d'après les
propositions de la majorité de la commission, la gestion
socialisée des charbons se différencierait des autres
entreprises publiques, serait la composition de la direction supérieure.
À la tête des mines de charbon, il ne doit pas y avoir un
fonctionnaire unique, mais un conseil recruté d'une manière
particulière. La montagne accouche d'une souris!
Ce n'est pas un signe caractéristique du socialisme d'État que
ce soit sur l'État que porte toute l'organisation de l'économie,
car in ne peut se représenter autrement le socialisme. Si nous voulons
reconnaître son véritable caractère, il ne faut pas nous
cramponner au nom lui-même. Cela ne nous avancerait pas plus que celui
qui, voulant saisir le concept: métaphysique, croirait le trouver dans
le sens littéral des parties formant ce mot composé. Ce qu'il
faut, c'est nous demander quelles idées recouvrait le mot pour les
partisans de la tendance socialiste étatiste, qu'on appelle
habituellement: étatistes radicaux.
Le socialisme étatiste diffère en deux points des autres
systèmes socialistes. Il est en opposition avec beaucoup d'autres
tendances socialistes qui envisagent une répartition aussi
égale que possible du revenu de la société socialiste
entre chacun de ses membres. Le socialisme étatique, lui, est pour une
répartition proportionnée au mérite de chaque individu.
Inutile de remarquer que cette estimation de la dignité est tout
à fait subjective et n'est pas la suite d'un examen
désintéressé des rapports entre les hommes.
L'étatisme a des conceptions très arrêtées sur
l'estimation morale des différentes couches de la
société. Il est rempli d'estime pour la royauté, la
noblesse, les grands propriétaires terriens, le clergé, le
militarisme professionnel, en particulier le corps d'officiers, et les
fonctionnaires. Sous certaines conditions, il accorde aussi aux savants et
aux artistes une situation privilégiée. Il n'attribue qu'une
place modeste aux paysans et aux petits industriels. Les simples artisans sont
encore plus mal placés. Mais les moins bien traités de tous
sont les éléments peu sûrs qui ne sont contents ni du
rôle, ni du revenu qui doivent leur revenir d'après le plan
établi et qui cherchent à améliorer leur situation
matérielle. L'étatiste classe dans son esprit à
différents échelons tous les membres de son État futur.
Le plus noble doit jouir d'une plus grande influence et recevoir plus
d'honneurs et de revenus que le moins noble. Qu'est-ce qui est noble, qu'est
ce qui n'est pas noble? A la tradition de décider. Le plus grand
reproche que l'étatisme adresse à la société
capitaliste, c'est de ne pas répartir les revenus selon ses
estimations à lui. Il lui paraît intolérable qu'un
marchand de lait ou un fabricant de boutons de culottes puisse jouir d'un
plus gros revenu que le descendant d'une vieille famille de l'aristocratie,
ou qu'un conseiller intime ou un sous-lieutenant. C'est surtout pour
remédier à de pareilles anomalies qu'il lui semble
nécessaire de remplacer la société capitaliste par
l'étatiste.
Désireux de maintenir l'échelle des rangs sociaux
traditionnelle et l'estimation morale des différentes couches de la
société, l'étatisme ne songe pas à bouleverser de
fond en comble l'ordre juridique devenu historique en transformant
expressément la propriété privée en
propriété d'État. Seules doivent être
étatisées les grandes entreprises, étant bien entendu
qu'il y aura des exceptions pour les grandes exploitations agricoles, en
particulier pour les grandes propriétés
héréditaires. Dans l'agriculture, dans la moyenne et petite
industrie la propriété doit être maintenue, du moins pour
la forme. Malgré certaines restrictions, les professions
libérales doivent jouir d'une certaine latitude. Mais toutes les
entreprises doivent, au fond, devenir des exploitations de l'État.
L'agriculteur conservera les honneurs et le nom de propriétaire. Mais
il lui sera défendu « de ne penser égoïstement
qu'au gain mercantile ». Il a le devoir « d'aller
au-devant du but poursuivi par l'État ». Car dans
l'idée des étatistes, l'agriculture est une fonction publique.
« L'agriculteur est un fonctionnaire de l'État. Il doit
cultiver soit de sa propre initiative, soit d'après les prescriptions
de l'État, ce qui est nécessaire au pays. S'il retire de son
exploitation ses intérêts et un traitement suffisant, il a tout
ce qu'il est en droit de demander. »(9) Pour le
commerçant et l'artisan, il ne doit pas en être autrement. Pour
le chef d'entreprise indépendant, qui dispose librement des moyens de
production, il n'y a dans le socialisme étatique pas plus de place que
dans une autre forme de socialisme. Les prix sont réglés par
l'autorité, qui décide de l'objet, de la manière et de
la quantité de la production. Il n'y a plus place pour la
spéculation au gain excessif. Les autorités veillent à
ce que chaque citoyen retire un profit convenable, c'est-à-dire qui
lui permette de vivre conformément à son rang. Le
bénéfice exagéré, l'impôt se chargera de le
supprimer.
On ne doit pas transférer immédiatement les petites
exploitations dans la propriété de l'État, et cela est
même impossible. Le propriétaire de l'exploitation en restera en
principe le propriétaire, mais il sera subordonné à un
contrôle étatique décidant de tout ce qui est essentiel.
C'est la seule manière dont la socialisation puisse être
exécutée, même d'après l'opinion des
écrivains marxistes. Kautsky est d'avis que « aucun
socialiste sérieux n'a jamais demandé que les paysans soient
expropriés ou que leurs biens soient confisqués »(10).
Kautsky ne veut pas non plus exproprier formellement la petite industrie(11).
Le paysan et l'artisan doivent être incorporés dans le
mécanisme de la communauté socialiste et tant que leur
production et la mise en valeur de leurs produits seront soumises aux ordres
de la direction économique; ils conserveront, tout au moins de nom, la
propriété. La suppression du marché libre les transforme
de propriétaires et chefs d'entreprise travaillant à leur
compte, en fonctionnaires de la communauté socialiste, qui ne se
distinguent que par la forme de leur rémunération des autres
camarades de la communauté(12). On ne peut donc voir une
particularité du plan social étatique dans le fait que des
restes de la propriété privée des moyens de production
subsistent ainsi de nom. Seule l'ampleur avec laquelle sera
réalisée cette ordonnance des conditions de production sociales
constitue une particularité caractéristique. Nous avons
déjà mentionné que l'étatisme, d'une manière
générale, a l'intention de laisser à la grande
propriété terrienne – à l'exception
peut-être des latifundia – le caractère de
propriété privée, avec les restrictions
indiquées. Ce qui est plus important, c'est que l'étatisme part
de cette conception que la majeure partie de la population se cantonnera dans
les exploitations de l'agriculture et de la petite industrie, et que le
nombre de ceux, employés dans de grandes entreprises, qui entreront au
service immédiat de l'État sera relativement peu
élevé. Contrairement aux marxistes orthodoxes dans le genre de
Kautsky l'étatisme est d'avis que la petite exploitation rurale n'est
pas inférieure en productivité à la grande exploitation,
et il croit qu'il s'ouvre encore un grand champ d'activité à la
petite industrie à côté de la grande industrie. C'est
là la seconde particularité qui différencie le
socialisme étatiste de toutes les autres formes du socialisme, et
surtout de la social-démocratie.
Il est inutile de considérer plus longtemps l'image que le socialisme
étatiste se fait de la forme d'État idéale. Sur de
vastes étendues de l'Europe il est, depuis des années,
l'idéal auquel aspirent en secret des millions et des millions
d'hommes. Il est connu de tous, quoiqu'on ne l'ait jamais clairement
défini. C'est le socialisme du paisible et loyal fonctionnaire, du
propriétaire de domaine foncier, du paysan, du petit industriel et de
nombreux ouvriers et employés. C'est le socialisme des professeurs, le
fameux socialisme de la chaire universitaire; c'est le socialisme des
artistes, des poètes et des écrivains à une
époque, il est vrai, qui présente tous les caractères
d'une décadence de l'art. C'est le socialisme auquel les
églises de toute confession prêtent leur appui. C'est le
socialisme du césarisme et de l'impérialisme; c'est
l'idéal de la royauté sociale. Il est le but lointain que
visait la politique de la plupart des États européens, et au
premier rang les États allemands. C'est l'idéal social de
l'époque qui a préparé la guerre mondiale et qui s'est
écroulée avec elle.
Un socialisme qui gradue d'après la dignité de l'individu la
part des dividendes sociaux qui lui sera attribuée, n'est imaginable
que sous la forme du socialisme étatiste. La hiérarchie sociale
qu'il veut mettre à la base de la répartition est la seule qui
soit relativement populaire, en ce sens qu'elle ne soulèverait pas
d'opposition trop violente. Moins encore que beaucoup d'autres classements
qu'on pourrait envisager, elle ne résisterait à une critique
rationnelle, mais sa valeur est consacrée par les années. En cherchant
à conserver pour l'éternité la hiérarchie
sociale, en cherchant à empêcher tout changement dans la
hiérarchie sociale, le socialisme étatiste justifie
l'appellation de socialisme conservateur qu'on lui attribue parfois(13).
Plus que toute autre forme de socialisme, ce socialisme d'État croit
qu'il est possible que la vie économique s'immobilise sans plus
progresser. Ses partisans jugent superflu ou même nuisible toute
innovation économique. Les moyens que les étatistes comptent
employer pour arriver à leurs fins, correspondent à ces
conceptions. Dans le socialisme marxiste, nous trouvons l'idéal social
d'hommes qui attendent tout d'un bouleversement brutal de ce qui existe, et
de révolutions sanglantes, tandis que le socialisme d'État est
l'idéal de ceux qui pour remédier à tous les maux
appellent la police à leur secours. Le marxisme est fondé sur
le jugement infaillible des prolétaires animés de l'esprit
révolutionnaire, l'étatisme sur l'infaillibilité des
autorités traditionnelles. Socialisme et étatisme se
rencontrent au moins sur ce point qu'ils admettent tous deux un absolutisme
politique excluant toute possibilité d'erreur.
En opposition avec le socialisme d'État, le socialisme communal ne
représente pas une forme particulière de l'idéal de la
société socialiste. La municipalisation d'entreprises n'est pas
conçue comme un principe général, d'après lequel
on puisse réaliser une nouvelle structure de la vie économique.
Elle ne doit s'étendre qu'à des entreprises dont les
débouchés sont restreints et locaux. Dans le socialisme
d'État réalisé dans toute sa rigueur les exploitations
communales, subordonnées à la direction générale
de l'économie, n'ont pas pour se développer plus de latitude
que les entreprises agricoles et industrielles qui sont encore, de nom,
propriétés privées.
3. Le
socialisme militariste
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Le socialisme
militariste est le socialisme d'un État où toutes les
institutions tendent à la préparation de la guerre. C'est un
socialisme d'État en ce sens que la dignité, qui décide
de la valeur sociale et de la portion du revenu qui revient à chaque
citoyen, est estimée exclusivement, ou principalement, d'après
le rang qu'occupe l'individu dans l'armée. Plus le rang militaire est
élevé, et plus sont élevées aussi l'estimation
sociale et la part des dividendes sociaux.
L'État militaire, État de gens de guerre, où tout est
subordonné à un seul but: la conduite de la guerre, ne saurait
admettre la propriété privée des moyens de production.
L'organisation qui rend l'État toujours prêt à entrer en
guerre à chaque instant est irréalisable si la vie de chacun,
à côté de cet idéal militaire, est encore
attirée vers d'autres buts. Toutes les castes guerrières qui
ont attribué comme moyens d'existence à leurs membres des
revenus seigneuriaux ou fonciers, des exploitations rurales
indépendantes, ou des entreprises industrielles travaillant avec des
serfs, toutes ces castes ont, au cours des ans, dépouillé leur
caractère guerrier. Le seigneur se consacra entièrement
à son activité économique. Il s'intéressa
à d'autres choses qu'à guerroyer et à récolter
des honneurs militaires. Dans le monde entier, la féodalité a
provoqué la démilitarisation des guerriers. Les descendants des
chevaliers sont devenus des gentilshommes campagnards. Le propriétaire
s'intéresse à l'économie et se
désintéresse de la guerre. C'est seulement en écartant
la propriété privée que l'on conservera à
l'État son caractère militaire. Seul le guerrier, qui en dehors
de la guerre ne connaît pas d'autre champ d'action que la
préparation de la guerre, est toujours prêt à la guerre.
Avec des hommes qui pensent avant tout à leur exploitation agricole,
on peut faire des guerres défensives, mais non une guerre de conquêtes
prolongée.
Un État militaire est un État de brigands. Il vit surtout de
butin et de tributs. À côté de ces ressources, le produit
de l'activité économique individuelle ne joue qu'un rôle
de second plan; souvent même ce genre d'activité fait
complètement défaut. Il est évident que le butin et les
tributs venant de l'étranger ne peuvent revenir directement aux
individus, mais au fisc qui ne saurait les répartir que d'après
le rang militaire de chacun. L'armée qui seule assure la
continuité de cette source de revenus ne pourrait concevoir une autre
répartition. Il est donc tout indiqué d'appliquer les
mêmes règles pour la répartition du revenu provenant de
la production intérieure du pays aux tributs et redevances
effectués par les sujets. C'est ainsi que l'on peut expliquer le
« communisme » des pirates grecs de Lipara et de tous
les autres États de pirates(14). C'est un
« communisme de brigands et de guerriers »(15) produit
par la mentalité militaire appliquée à toutes les
relations sociales. César nous rapporte au sujet des Souabes qu'il
appelle la « gens longe bellicosissima Germanorum omnium »
que chaque année ils envoient des troupes au-delà de la
frontière pour en rapporter du butin. Ceux qui restent au pays vaquent
aux travaux agricoles dont le produit est destiné aussi à ceux
qui sont partis en campagne. L'année suivante, les deux groupes
échangent leurs fonctions. Il n'y a point de champs appartenant en
propriété personnelle aux individus(16). Chacun
participe aux bénéfices de l'activité guerrière
et agricole, qui est exercée au compte et aux risques de tous; c'est
ainsi seulement qu'il est possible à l'État guerrier de faire
de chaque citoyen un guerrier et de chaque guerrier un citoyen. Si cet
État laissait les uns être toujours guerriers, les autres
citoyens toujours agriculteurs sur leur propriété propre, des
conflits ne manqueraient point de se produire bientôt entre les deux
castes. Alors, ou bien les guerriers subjugueraient les citoyens, et dans ce
cas pourraient-ils entreprendre leurs razzias, en laissant derrière
eux au pays une masse populaire opprimée. Ou bien les citoyens
l'emporteraient; les guerriers seraient rabaissés au rang de
mercenaires, auxquels on interdirait les razzias, car ils constituent un
danger permanent, et l'on craindrait qu'ils n'acquissent trop de richesse et
d'orgueil. Dans les deux cas l'État serait forcé de
dépouiller son caractère purement militaire. C'est pour cela
que: affaiblissement des institutions communistes signifie: affaiblissement
du caractère guerrier de l'État. Le type de
société guerrière se transforme lentement en type
industriel(17).
Pendant la guerre mondiale, on a pu observer nettement les forces qui
poussent un État guerrier vers le socialisme. Plus la guerre se
prolongeait, plus elle transformait en grands camps de guerre les
États de l'Europe et plus inadmissible apparaissait le contraste entre
le soldat, supportant toutes les peines et les dangers du combat et l'homme,
qui, resté à la maison, tirait profit des conjectures de la
guerre. C'étaient des sorts vraiment trop inégaux. Si avec une
guerre encore plus longue ces différences avaient été
maintenues, les États auraient été infailliblement
déchirés en deux camps, et les armes des armées se
seraient finalement tournées contre leur propre pays. Le socialisme
des armées du service militaire obligatoire demande comme
complément dans le pays le socialisme du service du travail
obligatoire.
S'ils veulent conserver leur caractère guerrier, les États
guerriers ne peuvent avoir qu'une organisation communiste. Et cela ne les
fortifie pas pour le combat. Le communisme est pour eux un mal qu'ils sont
forcés d'accepter avec le reste du système. C'est le communisme
qui les affaiblit et cause finalement leur perte. En Allemagne, on a,
dès les premières années de la guerre, commencé
à marcher dans la voie du socialisme, parce que l'esprit
militariste-étatiste, qui a conduit la politique des États
européens à la guerre, poussait au socialisme d'État.
Vers la fin de la guerre, on a activé toujours plus
énergiquement la socialisation, parce que, pour les raisons que nous
venons d'indiquer, il fallait assimiler le régime de
l'intérieur à celui du front. Cependant, le socialisme
guerrier, au lieu de rendre la situation de l'État allemand plus
facile, n'a fait que la rendre plus difficile. Il n'a pas accru mais
entravé la production. Il n'a pas amélioré, mais
empiré le ravitaillement de l'armée(18). Ne parlons pas
du fait que l'esprit étatiste est responsable si dans les formidables
secousses du temps de guerre et de la révolution qui a suivi, aucune
forte individualité n'est sortie des rangs du peuple allemand.
La faible
productivité de l'économie communiste tourne au
désavantage de l'État guerrier communiste, lorsqu'un conflit se
produit avec des peuples riches, donc mieux armés et mieux nourris,
chez qui existe la propriété privée. Le socialisme
paralyse inévitablement l'initiative de l'individu, de sorte
qu'à l'heure décisive du combat, il manque de chefs pour
indiquer la route qui mène à la victoire, et de sous-chefs
capables d'exécuter les directives des chefs. Le grand empire
communiste-militaire des Incas a été détruit sans peine
par une poignée d'Espagnols(19).
Si l'ennemi que l'État guerrier doit combattre réside à
l'intérieur du pays lui-même, on peut alors dire qu'il s'agit
d'un communisme de conquérants. Max Weber, en pensant à
l'association pour les repas des Syssities, appelle « communisme
de mess » les organisations sociales des Doriens à Sparte(20).
Quand la caste des seigneurs, au lieu d'appliquer des mesures communistes,
attribue à quelques membres, comme bien particulier, les domaines
fonciers, y compris leurs habitants, elle finit, au bout d'un temps bref ou
long, à se fondre, du point de vue ethnique dans la population assujettie.
Elle se transforme en noblesse foncière, qui finalement appelle les
assujettis au métier des armes. Ainsi l'État perd son
caractère d'État guerrier. C'est l'évolution qui se
produisit dans les royaumes des Lombards, des Wisigoths et des Francs et partout
où les Normands avaient pénétré en
conquérants.
4. Le
socialisme d'Église
|
La forme
d'État théocratique demande ou l'économie familiale
autarcique ou l'organisation socialiste de l'économie. Elle est
inconciliable avec une vie économique qui laisse à l'individu
toute latitude pour déployer ses forces. La simplicité de la
foi et le rationalisme économique ne peuvent pas vivre côte
à côte. On ne peut se figurer des prêtres commandant
à des chefs d'entreprise.
Le socialisme ecclésiastique, tel qu'il a pris pied dans ces
dernières dizaines d'années parmi de nombreux fidèles de
toutes les confessions chrétiennes, n'est qu'une variété
du socialisme d'État. Le socialisme d'État et le socialisme
ecclésiastique sont tellement liés ensemble qu'il est difficile
de tracer entre eux une ligne de démarcation et de dire de tels ou
tels politiques sociaux à laquelle des deux nuances ils appartiennent.
Plus encore que l'étatisme, le socialisme chrétien est
dominé par l'idée que l'économie nationale demeurerait
immuable si la chasse au profit et l'égoïsme des hommes qui ne
cherchent à satisfaire que leurs intérêts
matériels ne venaient toujours en troubler le cours paisible.
L'utilité d'une amélioration progressive des moyens de
production, tout au moins dans une certaine mesure, n'est pas
contestée. Mais la faute est de ne pas reconnaître que ce sont
précisément ces innovations qui rendent impossible
l'immobilité de l'économie d'un pays. Le socialisme
ecclésiastique qui a reconnu ce fait préfère à
tout changement nouveau l'immobilité sur les positions
déjà acquises. Les seules occupations qu'il peut admettre sont
l'agriculture, le métier d'artisan, et à la rigueur,
l'épicerie. Le commerce et la spéculation sont
considérés comme superflus et condamnables du point de vue
moral. Les fabriques et la grande industrie sont des inventions nuisibles de
« l'esprit juif ». L'on n'y produit que des
marchandises de mauvaise qualité que les grands magasins et autres
monstres du commerce moderne imposent aux acheteurs trompés. Le devoir
du législateur serait de faire disparaître ces excès de
l'esprit mercantile et de rendre à l'artisanat dans la production la
place d'où il n'a été chassé que par les
machinations des grands capitalistes. Quant aux grandes entreprises de
transport et de communication, qu'on ne peut songer à supprimer, il
n'y aurait qu'à les étatiser.
L'idéal social du socialisme chrétien, tel qu'il ressort de
toutes les démonstrations de ses représentants, est un
idéal « stationnaire ». Aussi dans l'image que
se font ces gens de l'économie nationale, il manque les chefs
d'entreprises, il n'y a pas de spéculation ni de gain
« exagéré ». Les prix et les salaires,
demandés et accordés, sont « justes ».
Chacun est content de son sort parce que le mécontentement serait considéré
comme une révolte contre les lois divines et humaines. Quant à
ceux qui sont incapables de gagner leur vie, les oeuvres de bienfaisance
chrétiennes prendront soin d'eux. Cet idéal avait
été, à ce qu'on prétend, réalisé au
moyen-âge. Seule l'incroyance a pu chasser les hommes de ce paradis
terrestre. Si l'on veut le retrouver, il faut d'abord reprendre le chemin de
l'église. La vulgarisation de la science et le libéralisme sont
les fauteurs de tout le mal qui infeste aujourd'hui le monde.
En général, les champions de la réforme sociale
chrétienne ne tiennent pas le moins du monde pour socialiste
l'idéal social du socialisme chrétien. Ce en quoi ils
s'illusionnent. Leur socialisme paraît être conservateur parce
qu'il veut, en ce qui touche la propriété, maintenir l'ordre
établi, ou plutôt il semble être réactionnaire
parce qu'il veut d'abord rétablir et maintenir une conception de la
propriété, qui, paraît-il aurait existé quelque
part autrefois. Il est exact aussi qu'il s'oppose énergiquement
à tous les plans des autres socialismes tendant à supprimer
radicalement la propriété privée, et que contrairement
à ces partis politiques, il prétend avoir pour objectif, non le
socialisme, mais la réforme sociale. Cependant, le conservatisme ne
peut être autrement réalisé que par le socialisme. Dans
un pays où la propriété privée des moyens de production
existe vraiment, et non pas seulement pour la forme, le revenu ne peut pas
être partagé selon des règles précises,
historiques ou autres. Là où existe la propriété
privée, les prix du marché peuvent seuls décider de la
quotité du revenu. Dans la mesure où cette constatation se fait
jour, les réformistes qui s'appuient sur l'Église sont
poussés pas à pas vers le socialisme, qui pour eux ne peut
être que le socialisme d'État. Ils sont forcés de se
rendre à l'évidence: s'en tenir complètement et immuablement
à la tradition historique, comme l'exige leur idéal, est une
chose impossible. Ils reconnaissent qu'on ne peut songer à maintenir
des prix et des salaires fixes sans une autorité toute-puissante qui
empêche de dépasser ces prix par des ordres donnés sous
menace de châtiments. Mais ils doivent aussi comprendre que les
salaires et les prix ne peuvent pas être fixés arbitrairement
d'après les idées de celui qui prétend améliorer
le monde, alors qu'en s'écartant des prix du marché, on
détruit l'équilibre de la vie économique. Ainsi, ils
sont forcés peu à peu d'exiger d'abord des taxations des prix
et ensuite une direction autoritaire de la production et la
répartition. C'est le même chemin que celui qu'a suivi
l'étatisme pratique. Finalement, on a affaire dans les deux cas
à la réalisation rigoureuse d'un socialisme, qui ne laisse
subsister que de nom la propriété privée, mais qui en
réalité fait passer aux mains de l'État tout pouvoir de
disposer des moyens de production.
Une partie
seulement des socialistes chrétiens s'est ralliée ouvertement
à ce programme social. Les autres ont eu peur de parler franchement.
Ils ont évité anxieusement de tirer les dernières
conséquences de leurs prémisses. Ils prétendent ne
vouloir combattre que les abus et les excès de l'ordre social
capitaliste. Ils disent et redisent qu'ils ne veulent pas supprimer la
propriété privée et ils ne cessent d'affirmer qu'ils
sont opposés au socialisme marxiste. Mais – et cela est assez
caractéristique – cette opposition se manifeste pour eux avant
tout dans des différences d'opinions sur la voie qui doit mener
à l'état social le meilleur. Ils ne sont pas
révolutionnaires et leur espoir c'est qu'on reconnaîtra de plus
en plus la nécessité des réformes. Mais ils ont beau
répéter qu'ils ne veulent pas toucher à la
propriété privée, ce qu'ils veulent en conserver n'est
plus une propriété privée que de nom. Quand la direction
de la production sera passée à l'État, le propriétaire
de moyens de production ne sera plus qu'un fonctionnaire, un employé
de la direction économique.
On voit, sans plus y insister, quelles relations étroites relient ce
socialisme ecclésiastique du temps présent à
l'idéal économique de la scolastique. Tous deux ont un point de
départ commun, la revendication de la « justice »
des salaires et des prix, c'est-à-dire établis d'après
une répartition des revenus fixée par une tradition historique.
Mais cette revendication est irréalisable, si on laisse subsister une
économie nationale reposant sur la propriété
privée des moyens de production et c'est cette constatation qui pousse
le socialisme chrétien moderne vers le socialisme. S'il veut arriver
à ses fins – quand bien même il maintiendrait l'apparence
de la propriété privée –, il lui faut recommander
un certain nombre de mesures qui n'aboutissent à rien moins
qu'à la socialisation complète de la société.
Il faudrait encore montrer que ce socialisme chrétien d'aujourd'hui
n'a rien à voir avec le soi-disant communisme – dont on a tant
parlé – du christianisme originel. L'idée socialiste dans
l'Église est une chose nouvelle. Là-dessus, il ne faut pas se
faire d'illusion sous prétexte que dans son évolution la plus
récente, la théorie sociale de l'Église a admis, comme
principe, le bon droit de la propriété privée des moyens
de production(21), alors que les anciennes doctrines de
l'Église, eu égard aux défenses des évangiles
réprouvant toute activité économique, avaient peur de
trouver un accommodement sans restriction avec le seul nom de
propriété privée. Mais cette reconnaissance du bon droit
de la propriété privée signifie simplement que
l'Église condamne les aspirations de la social-démocratie
tendant au bouleversement violent de l'état de choses actuel. En réalité,
ce que l'Église souhaite, c'est un socialisme d'État d'une
nuance particulière.
Les conditions de la production socialiste sont par essence
indépendantes de la forme concrète dans laquelle on cherche
à les réaliser. Tout effort socialiste, de quelque
manière qu'il soit tenté, est voué à
l'échec, en raison de l'impossibilité qu'il y a à mettre
debout une économie purement socialiste. C'est cela, et non
l'insuffisance du caractère moral des hommes, qui doit provoquer la
ruine du socialisme. Il faut reconnaître que l'Église est
particulièrement apte à développer les qualités
morales qui sont demandées aux camarades de la communauté
socialiste. L'esprit qui devrait régner dans une communauté
socialiste s'apparente le mieux à l'esprit d'une communauté chrétienne.
En tout cas, pour obvier aux difficultés qui s'opposent à
l'établissement d'un ordre social socialiste, il faudrait changer la
nature humaine ou les lois de la nature qui nous entoure. Mais cette
transformation la foi elle-même ne saurait l'accomplir.
L'économie
planifiée est une nuance récente du socialisme d'État.
Tout essai pour réaliser les plans socialistes se heurte très
rapidement à des difficultés insurmontables. On l'a vu pour le
socialisme d'État prussien. L'insuccès de l'étatisation
sautait aux yeux de tous. La situation dans les exploitations
d'économie étatisées n'était pas faite pour
encourager de nouveaux essais de régie étatiste et communale.
On en fit porter la responsabilité au corps des fonctionnaires. On
avait commis une faute, disait-on, en éliminant les techniciens. Il
fallait absolument mettre les forces des chefs d'entreprise au service du
socialisme. C'est de cette idée qu'est née tout d'abord
l'organisation des entreprises d'économie mixte. Au lieu d'une
étatisation ou d'une municipalisation complète, on voit
apparaître une entreprise privée avec participation de
l'État ou de la commune. Ainsi, l'on donne d'une part satisfaction
à ceux qui trouvent injuste que l'État et la commune ne
participent pas aux bénéfices des entreprises qui se trouvent
sur les territoires soumis à leur autorité. Sans doute on
obtiendrait par l'impôt une participation plus efficace, sans que les
finances publiques courussent le risque d'une perte toujours possible. D'un autre
côté, avec ce système on croit mettre au service de
l'exploitation commune toutes les forces des entreprises
particulières. C'est une erreur grossière. Car dès
l'instant que les représentants de l'administration publique
participent à la direction, toutes les contraintes qui paralysent la
force de décision d'employés publics se font sentir. Les
exploitations d'économie mixte permettent au moins pour la forme de ne
pas appliquer aux employés et aux ouvriers les règlements
valables pour les fonctionnaires, et d'atténuer un peu l'effet
nuisible produit par l'esprit fonctionnaire sur la rentabilité des
entreprises. L'exploitation économique mixte a mieux fait ses preuves
que l'exploitation en régie pure. Pour la possibilité de
réalisation du socialisme, cela n'a pas plus d'importance que les
résultats heureux obtenus parfois par telle ou telle exploitation
publique. Qu'avec des circonstances favorables il soit possible de diriger
presque rationnellement une exploitation étatisée au milieu
d'un ordre économique reposant sur la propriété
privée des moyens de production, ne prouve rien quant à la
possibilité d'une socialisation complète de l'économie
nationale.
Pendant la guerre mondiale on a tenté, en Allemagne et en Autriche, un
essai de socialisme de guerre en laissant aux chefs d'entreprises la
direction des exploitations étatisées. La hâte avec
laquelle, au milieu des circonstances les plus difficiles de la guerre, on
procéda à des mesures de socialisation, et le fait qu'avant de
se lancer dans cette voie on ne s'était pas clairement rendu compte ni
de la portée de cette nouvelle politique ni de la limite
jusqu'où on pouvait aller ne permettaient pas qu'on
opérât autrement. On confia la direction des différentes
branches de la production à des associations obligatoires des chefs
d'entreprises, placées sous le contrôle du gouvernement.
Fixation des prix d'un côté, lourdes impositions des gains d'un
autre côté, tout cela était fait pour rabaisser les chefs
d'entreprises au rôle d'employés participant aux
bénéfices(22). Ce système a donné de
très mauvais résultats. Pourtant, à moins d'abandonner
tout essai de socialisation, on était bien forcé de s'y tenir,
faute de mieux. Le mémoire du 7 mai 1919 du ministère de
l'Économie du Reich allemand, rédigé par Wissel et
Moellendorff, dit très nettement que pour un gouvernement socialiste,
il n'y a pas autre chose à faire que de s'en tenir à ce que
pendant les hostilités on a appelé socialisme de guerre. On lit
dans ce mémoire: « Un gouvernement socialiste ne peut pas
assister avec indifférence à l'empoisonnement de l'esprit
public, que, par des préjugés intéressés, on
excite contre une économie dirigée. Le gouvernement socialiste
peut améliorer l'économie dirigée, donner une vie
nouvelle au vieux bureaucratisme. Il peut, sous la forme d'une administration
autonome, faire porter la responsabilité sur le peuple lui-même
chargé de l'exploitation, mais le gouvernement doit se proclamer
partisan résolu de l'économie dirigée, c'est-à-dire
partisan de deux idées très impopulaires: obligation morale et
contrainte. »(23)
Cette économie dirigée est l'esquisse d'une communauté
socialiste qui cherche à résoudre d'une certaine manière
l'insoluble problème de la responsabilité des organes
dirigeants de la société. Non seulement l'idée sur
laquelle repose cette tentative de solution est fausse. La solution
elle-même n'est qu'une pseudo-solution. Que ceux qui ont trouvé
et prôné ce projet ne s'en soient pas aperçus, caractérise
bien l'état d'esprit des fonctionnaires. L'administration autonome qui
doit être accordée aux différentes régions et aux
différentes branches de production, n'a d'intérêt que
pour les choses de second ordre. Ce qui l'emporte de beaucoup dans
l'économie d'un pays, c'est l'équilibre entre les
différentes régions et les différentes branches de la
production. Or, cet équilibre ne peut être obtenu que par des
mesures générales et homogènes. Sinon, tout ce plan n'a
plus rien que de syndicaliste. Et en effet ,Wissel et Moellendorff
prévoient aussi un conseil de l'économie de l'empire, qui a
comme attribution « la direction supérieure de
l'économie allemande en coopération avec les organes
compétents suprêmes du Reich »(24). Ainsi,
toutes ces propositions n'aboutissent qu'à faire partager par une
seconde instance la responsabilité des mesures prises pour la
direction de l'économie par les ministères.
La principale différence entre le socialisme d'État de la
Prusse des Hohenzollern et le socialisme de l'économie dirigée
est la suivante. Dans l'un, ce sont le parti des hobereaux et la bureaucratie
qui avaient la prééminence dans la direction des affaires et
dans la répartition des revenus, fonctions réservées
dans l'autre à ceux qui étaient jusqu'ici les chefs
d'entreprise. Et cela est une innovation due à la transformation de la
situation politique après la débâcle subie par les princes,
la noblesse, la bureaucratie et les corps des officiers. Pour les
problèmes du socialisme, c'est du reste sans importance.
Dans ces dernières années, on a inventé un nouveau mot
pour désigner ce qu'on entend d'ordinaire par économie
dirigée, à savoir le mot: capitalisme d'État. On verra
apparaître encore beaucoup de propositions pour sauver le socialisme.
Nous apprendrons beaucoup de mots nouveaux désignant une vieille
chose. Mais ce ne sont pas les noms qui importent, c'est le fond. Or tous ces
projets ne peuvent rien changer au fond du socialisme.
6. Le
Socialisme des Guildes
|
Dans les
années qui suivirent la grande guerre, le socialisme
corporatif passait en Angleterre et sur le continent pour une
panacée. Aujourd'hui, il est oublié depuis longtemps.
Cependant, dans une étude des différents essais socialistes, on
ne saurait le passer sous silence, ne serait-ce que pour la raison qu'il
représente la seule contribution aux plans socialistes modernes qui
ait été fournie par les Anglo-Saxons qui, en matière
économique, marchent à la tête des nations.
Ce socialisme corporatif est lui aussi un essai pour résoudre
l'insoluble problème de la direction socialiste de l'économie.
Le peuple anglais, habitué à la longue souveraineté des
idées libérales, a été préservé de
la valeur exagérée qu'on accordait, surtout dans l'Allemagne
moderne, à l'État. Le peuple anglais n'avait donc pas besoin
que l'insuccès des tentatives du socialisme d'État lui
ouvrît les yeux. Le socialisme en Angleterre n'a jamais cru que
l'État fût capable de diriger pour le mieux tout ce qui intéresse
les hommes. Alors qu'avant 1914 les autres Européens entrevoyaient
à peine le problème, les Anglais en avaient depuis longtemps
saisi toute l'importance.
Dans le socialisme corporatif, trois éléments différents
doivent être distingués. Le socialisme corporatif veut d'abord
motiver la nécessité de remplacer le système capitaliste
par le socialiste. Théorie éclectique dont nous ne nous
occuperons pas. En second lieu, il indique la voie qui doit mener au
socialisme. Ceci est important, car cette voie menant au socialisme pourrait
fort bien aboutir au syndicalisme. Et enfin, il esquisse le programme d'une
organisation future socialiste de la société. C'est de ce
dernier point que nous devons nous occuper.
Le but du socialisme corporatif est la socialisation des moyens de
production. Nous sommes donc en droit de l'appeler socialisme. Ce qui le
caractérise, c'est l'organisation particulière qu'il entend
donner à l'organisation administrative du futur État
socialiste. La production doit être dirigée par les ouvriers des
différentes branches de la production. Ils nomment les chefs
d'équipe, les contremaîtres et les autres dirigeants de
l'entreprise. Ils règlent directement ou indirectement les conditions
du travail et fixent à la production sa voie et son but(25). En
face des corporations, organisations de ceux qui travaillent dans les
différentes branches de l'industrie, il y a l'État, qui
représente l'organisation des consommateurs et a le droit de lever des
impôts sur les corporations et par là de contrôler leur
politique des prix et des salaires(26).
Le socialisme corporatif s'illusionne fort s'il croit que de cette
manière il serait possible de créer un ordre socialiste de la
société, qui respecterait la liberté individuelle et
éviterait tous les maux causés par ce socialisme
centralisé que les Anglais qualifient de « Prussian
ideas »(27) et qu'ils détestent. Dans le
socialisme corporatif, tout le poids de la direction de la production retombe
aussi sur l'État. C'est lui seul qui assigne son but à la
production et indique les voies pour y parvenir. Par les mesures de sa
politique fiscale il décide directement ou indirectement des
conditions du travail. Il déplace les capitaux et les ouvriers en les
faisant passer d'une industrie à une autre. Il cherche des compromis
et aplanit les difficultés entre les diverses corporations et entre
les producteurs et les consommateurs. Ces tâchent qui échoient
à l'État sont la seule chose qui importe, elles constituent
l'essence même de la direction économique(28). La seule
tâche laissée aux corporations, et à l'intérieur
des corporations aux associations locales ainsi qu'aux exploitations
particulières, c'est d'exécuter les travaux dont l'État
les a chargées. Tout le système est une transposition de la
constitution politique de l'État anglais dans le domaine de la
production des biens; il se modèle sur les rapports entre
l'administration locale et l'administration de l'État. Du reste ce
socialisme tient expressément à être
considéré comme un fédéralisme économique.
Cependant, avec la constitution politique d'un État libéral, il
n'est pas difficile d'accorder une certaine indépendance aux
différentes administrations locales. L'intégration
nécessaire des parties dans le tout est assurée suffisamment
par la contrainte où se trouve, pour régler ses affaires, toute
administration locale de s'en tenir aux lois de l'État. Pour la
production il n'en est pas de même. La société ne peut
pas laisser le soin à ceux qui exercent leur activité dans les
différentes branches de la production de décider
eux-mêmes la quantité et le genre de travail qu'ils ont à
exécuter, ni la dépense en moyens de production
matériels qu'ils entendent faire(29). Quand les ouvriers d'une
corporation travaillent avec peu de zèle, ou que par leur travail ils
gaspillent les moyens de production, ce n'est pas un fait qui
intéresse seulement les ouvriers, mais la société tout
entière. C'est pourquoi l'État qui dirige la production ne peut
absolument pas se désintéresser de ce qui se passe à
l'intérieur des corporations. S'il lui demeure interdit d'exercer
directement son contrôle en nommant les contremaîtres et les
directeurs de travaux, il doit cependant s'efforcer, avec les moyens qu'il a
en main (droit d'imposition, influence exercée sur la
répartition des biens de jouissance), de réduire l'autonomie
administrative des corporations et de n'en laisser subsister qu'une vaine
apparence. L'ouvrier déteste surtout les supérieurs, qu'il rencontre
tous les jours et à toute heure et qui doivent diriger et surveiller
son travail. Des réformateurs sociaux, influencés par
l'état d'esprit des ouvriers, croient qu'on pourrait remplacer ces
supérieurs par des hommes de confiance choisis librement par les
ouvriers. Cette idée est un peu moins absurde que celle des
anarchistes qui se figurent que sans contrainte tout individu serait
prêt à observer les règles indispensables à la vie
sociale, mais elle ne vaut pas beaucoup mieux. La production sociale est un
tout homogène, où chaque partie doit occuper exactement la
place que sa fonction lui assigne dans la l'ensemble de la production. On ne
peut pas laisser les parties choisir à leur guise la façon dont
elles s'adapteront à l'activité générale. Si le
chef librement choisi ne montre pas dans son activité de surveillance
le même zèle et la même ténacité qu'un chef
non élu par les ouvriers, la productivité du travail baissera.
On voit donc que le socialisme corporatif ne résout aucune des
difficultés qui s'opposent à l'établissement d'un ordre
socialiste de la société. Il rend le socialisme plus acceptable
pour les esprits anglais, en remplaçant le mot d'étatisation,
qui leur est antipathique, par le slogan: « Self-Government in
Industry ». Au fond, ce socialisme corporatif n'apporte rien de
nouveau. Il propose la même chose que les socialistes continentaux:
faire diriger la production par des comités composés de
représentants des ouvriers et employés d'une part, des consommateurs,
d'autre part. Nous avons déjà dit qu'ainsi on n'avançait
point d'un pas vers la solution des problèmes du socialisme.
Du reste, le socialisme corporatif devait une bonne part de sa
popularité à l'élément syndicaliste que beaucoup
de ses partisans croyaient y trouver. Le socialisme corporatif, tel que ses
écrivains le conçoivent, n'est certes pas syndicaliste. Mais il
est vrai que la voie qu'il suit pour arriver à ses buts mène
d'abord au syndicalisme. Si, en attendant, des corporations nationales étaient
instituées dans quelques branches importantes de la production, au
milieu d'un système économique encore capitaliste, cela
équivaudrait à une syndicalisation de quelques branches de
l'industrie. Comme partout, l'on voit qu'ici aussi le chemin des socialistes
peut facilement dévier sur la voie syndicale.
1. Sur les
autres sens du mot: Révolution dans les théories marxistes,
voir plus haut, p. 91.
2.
Cf. Engels, Herrn
Dührings Umwältzung der Wissenschaft,
p. 299.
3. Cf. Kautsky, Das
Erfurter Programm, 12e éd., Stuttgart, 1914, p. 129.
4. Cf. Engels, Herrn
Dührings Umwältzung der Wissenschaft, p. 298.
5. Cf. Kautsky, Das
Erfurter Programm, p. 129.
6. Ibid., p. 130.
7. Voir plus haut, p. 137.
8. Cf. Bericht der Sozialisierungskommission über die
Frage der Sozialisierung des Kohlenbergbaues vom 31. Juli
1920, mit Anhang: Vorläufiger Bericht vom 15. II. 1919,
2e éd., Berlin, 1920, pp. 32.
9. Ibid., p. 2
(cité par Waltz, p. 21). – Cf Lenz, Agrarlehre
und Agrarpolitik der deutschen Romantik, Berlin,
p. 84. – Cf. des réflexions analogues du prince Aloyse
Liechtenstein, l'un des chefs des socialistes chrétiens autrichiens,
cité par Nitti, Le
socialisme catholique, Paris, 1894, p. 370.
10. Cf. Kautsky, Die
soziale Revolution, II, p. 33.
11. Ibid., II, p. 35.
12. Cf. Bourguin, p. 62.
13. Dans Les
Origines du Socialisme d'État en Allemagne, 2e éd., Paris,
1911, p. 2, Andler insiste sur ce caractère du socialisme
étatiste.
14. Sur Lipara, cf. Poehlmann, t. I, p. 44.
15. Cf. Max Weber, Der
Streit um den Charakter der allgermanischen Sozialverfassung in der deutschen
Literatur des letzen Jahrzehnts (« Jahrbücher für
Nationalökonomie und Statistik », t. XXVIII, 1904, p. 445).
16. Cf. Caesar, De
bello Gallico, IV, 1.
17. Cf. Herbert Spencer, Die
Prinzipie der Soziologie, trad. Vettr, t. III, Stuttgart, 1899, pp. 710.
18. Cf. mon exposé dans Nation,
Staat und Wirtschaft (Trad. fr.: Nation, Économie et État), pp.
115., 143.
19. Wiener (Essai sur les institutions
politiques, religieuses, économiques et sociales de l'Empire des Incas,
Paris, 1874, p. 64, pp. 90.) explique la facilité, avec laquelle
Pizzaro a conquis le Pérou par le fait que le communisme avait
enlevé au peuple toute énergie.
20. Cf. Max Weber, p. 445.
21. Dans les pages précédentes
nous avons toujours parlé de l'Église en général
sans nous arrêter aux différentes confessions. C'est
parfaitement légitime. L'évolution vers le socialisme est
commune à toutes les confessions. En 1891 dans l'encyclique Rerum
novarum, Léon XIII a reconnu que la propriété
privée découlait du droit naturel. En même temps
l'Église a posé un certain nombre de principe moraux pour la
répartition des revenus, qui ne peuvent être mis en pratique que
dans le socialisme d'État. L'encyclique de Pie XI, Quadragesimo
anno, de 1931, repose sur le même fondement. Dans le protestantisme
allemand l'idée du socialisme chrétien est si intimement
liée au socialisme d'État, qu'il est presque impossible de les
différencier l'un de l'autre.
22. Sur le caractère du socialisme de
guerre et ses effets, cf. mon exposé dans Nation,
Staat und Wirtschaft, p. 140.
23. Cf. Denkschrift des Reichswirtschaftsministeriums,
reproduit par Wissel, p. 106.
24. Cf. ibid., p. 116.
25. « Les partisans des corporations
condamnent la propriété industrielle privée et se
montrent favorables à la propriété publique. Bien
entendu, cela ne signifie pas qu'ils désirent voir l'industrie
administrée bureaucratiquement par des organismes d'État. Ils
tendent à établir le contrôle de l'industrie par des
Corporations nationales comprenant tout le personnel de l'industrie. Mais ils
ne souhaitent pas que la propriété d'une industrie quelconque
passe aux ouvriers qui y travaillent. Leur but est d'établir la
démocratie industrielle en remettant l'administration entre les mains
des ouvriers, mais en même temps, à éliminer le profit en
plaçant la propriété entre les mains du public. Ainsi,
les ouvriers, dans une corporation, ne travailleront pas pour un profit: les
prix des produits et, indirectement du moins, le niveau des salaires seront
assujettis au contrôle public dans une industrielle entre ouvriers et
public; en conséquence, il est nettement séparé des
propositions vulgairement décrites comme « syndicalistes ».
La conception essentielle du corporatisme national réside dans la
notion d'un auto-gouvernement industriel et de démocratie. Ses
partisans estiment que les principes démocratiques sont
intégralement applicables aussi bien dans le domaine de l'industrie
que dans celui de la politique. » (Cf.
Cole, Chaos
and order in Industry, Londres, 1920, pp. 58).
26. Cf. Cole, Self-Government
in Industry, 5e éd., Londres, 1920, pp. 235.; Schuster, Zum
englischen Gildensozialismus (Jahrbücher für Nationalökonomie und
Statistik, t. CXV, p. 487.).
27.
Cf. Cole, Self-Government, p. 255.
28. « Il n'y a pas besoin de
réfléchir longuement pour se rendre compte de la
différence qu'il y a entre creuser des fossés et décider
où ces fossés doivent être creusés, entre cuire du
pain et décider combien de pain doit être cuit, entre
bâtir des maisons et décider où elles doivent être
bâties. On pourrait allonger la liste. L'intensité du
zèle démocratique n'arrivera pas à faire
disparaître ces différences. le socialisme corporatif,
placé en face de ces faits, dit qu'il doit y avoir des organisations
centrales et locales chargées de contrôler aussi cette partie
importante de la vie sociale, qui est en dehors du domaine de la production.
Un architecte, même s'il ne désirait que construire des maisons,
vit tout de même, comme citoyen, dans un autre milieu et sait les
limites de son horizon technique. C'est qu'il n'est pas seulement producteur.
Il est aussi citoyen. » Cole
et Mellor, Gildensozialismus (trad.
allemande de The
Meaning of Industrial Freedom), Cologne, 1921, pp. 36.
29. Tawney (The Acquisitive Society,
Londres, 1921, p. 122), trouve qu'un avantage du système corporatif
pour l'ouvrier est de mettre fin à « the odious and
degrading system under which he is thrown aside, like unused material,
whenever his services do not happen to be required ». C'est
pourtant là que se montre le défaut essentiel du système
recommandé. Si l'on a besoin de peu de travaux de construction, parce
qu'il y a assez de constructions, et qu'on doive quand même bâtir
pour occuper les ouvriers du bâtiment, qui ne veulent point passer dans
d'autres branches de la production où l'on a besoin d'ouvriers, c'est
là de l'économie peu ménagère et dépensière.
Le système capitaliste, dans ce cas, contraint à changer de
métier. Du point de vue de l'intérêt
général, c'est précisément un de ses
mérites, quoiqu'il en puisse résulter quelque
désavantage pour les intérêts particuliers de quelques
petits groupements.
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Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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