Les dirigeants européens ont la solution
miracle pour faire redémarrer l’économie. Il y a certes le
fameux plan de relance de 120 milliards d’euros qui consiste à créer
plus de dette pour sortir de la crise de la dette (!), mais il y a aussi et surtout
les fameux eurobonds.
Les détails du projet ne sont pas encore finalisés,
mais le principe serait de collectiviser les dettes des États de la
zone euro. Il y aurait par conséquent un assouplissement des
conditions d’emprunt pour les États devant actuellement payer
des taux élevés au prix d’une augmentation des taux pour les
États bénéficiant pour l’instant de taux faibles.
Les États les moins bien gérés pourraient ainsi en
profiter pour se désendetter.
La première objection à ce projet
est éthique : les États surendettés ne le sont pas
devenus par hasard, et ceux qui ont maîtrisé leurs déficits
le doivent à la (relative) rigueur de leur gestion et non à la
chance. Certains ont dû sérieusement serrer les cordons de la
bourse (Finlande, Slovaquie et Estonie) et ne voient pas pourquoi ils
auraient à payer pour ceux qui ont vécu au-dessus de leurs
moyens et qui ont parfois un niveau de vie qui reste plus élevé
que le leur.
La ministre des Finances finlandaise se refuse
ainsi à payer la dette des autres États et déclare
même que « la Finlande ne s'accrochera pas à l'euro
à n'importe quel prix et est prête à tous les
scénarios ». Pour le ministre estonien des Finances : « les
Grecs doivent faire des réformes et réduire leur niveau de vie.
Ils ne l’ont pas encore assez fait. Leur salaire minimum reste deux
fois plus élevé que le nôtre en Estonie. Je ne pense pas
qu’ils le méritent. ».
La création d’eurobonds introduirait en effet
un nouvel aléa moral considérable, formidable incitateur
à une déresponsabilisation croissante. La morale de la fable de
la cigale et de la fourmi s’en retrouverait inversée et, pour
paraphraser l’économiste français Frédéric
Bastiat, l’Europe deviendrait officiellement cette grande fiction
à travers laquelle chaque État s’efforcerait de vivre aux
dépens des autres États (en l’occurrence surtout de
l’Allemagne).
L’efficacité économique
d’une telle mesure est en outre très douteuse. Ces eurobonds ne
constituent en effet pas une nouvelle solution : ils ont
déjà existé par le passé, même s’ils
n’en portaient alors pas le nom. Il suffit pour s’en convaincre
de regarder l’évolution de l’emprunt à 10 ans des
12 fondateurs de la zone euro (la Grèce n’a en fait rejoint les
11 autres pays qu’en 2001 au lieu de 1999, faute de satisfaire aux
critères de Maastricht…) :
Sources :
Eurostat, Reuters
L'étendue
correspond à l'écart entre la valeur la plus
élevée et la moins élevée
Source :
Eurostat
On s’aperçoit qu’en 1999
chacun des États empruntait à des conditions plus ou moins
similaires, exception faite de la Grèce qui attendit 2001 pour voir
ses taux converger avec ceux des autres. Jusqu’au deuxième
semestre de 2008, les conditions d’emprunt de ces États
demeurèrent proches les unes des autres.
On remarque également que les conditions
d’emprunt de l’ensemble des membres de la zone euro sont
restées pendant cette période proche de 10 ans à des
niveaux très inférieurs à ce qu’ils pouvaient
espérer auparavant.
Nous avons donc déjà connu pendant près
de 10 ans une situation analogue à celle que l’on vise à
mettre en place en créant des eurobonds, ce qui ne nous a manifestement pas
empêchés de nous retrouver dans la situation actuelle de
surendettement. S’il y eut certains cas de gestion rigoureuse où
les gouvernements ont profité de la baisse des taux pour se
désendetter (comme en Finlande), plus courant fut le comportement de
passager clandestin. Celui-ci consiste à bénéficier des
avantages de l’union économique sans en respecter les
règles de gestion rigoureuse, et à profiter de la baisse des
taux pour emprunter et dépenser toujours plus. Et lorsque les
investisseurs se sont rendu compte que certains États pouvaient faire
défaut, ils ont revu leurs primes de risque pour prêter aux
membres de la zone euro. On constate ainsi, depuis le deuxième
semestre 2008, une différenciation nette de leurs conditions
d’emprunt :
Sources :
Eurostat, Reuters
Sources :
Eurostat, Reuters
Malgré tout, quoi qu’il advienne du
projet des eurobonds,
la collectivisation des coûts a déjà été engagée
par les États européens par l’entremise du
Mécanisme européen de stabilité qui va intervenir par
l’achat des dettes souveraines sur le marché secondaire. Cet
organisme risque fort d’être un tonneau des Danaïdes puisque
ses membres (dont la France) sont irrévocablement engagés (article
9.3) à honorer sur demande tout appel de fonds dans les sept jours
après réception, faute de quoi les récalcitrants seront
poursuivis en justice.
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