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S’il est
bien un penseur dont les idées sont revendiquées par divers
courants idéologiques – fussent-ils opposants –
c’est Henry David Thoreau.
D’un
côté, les
libertariens américains du XXe
siècle en font une source d’inspiration majeure, à
l’image de Murray Rothbard, qui le
considère, ni plus, ni moins, comme un de ses « héros
intellectuels ». De l’autre, les écologistes
politiques revendiquent aussi son héritage : ainsi, certains « activistes »
se fondent sur ses idées pour mener à bien des
opérations illégales, telles que la destruction de biens
privés au nom de la protection de la planète.
Il est pour le
moins étrange que, et les libertariens, et
les écologistes politiques admirent tous deux ce penseur : en
effet, en matière environnementale, il existe une forte opposition
entre ces deux courants puisque les premiers croient en l’homme pour
résoudre les difficultés écologiques tout en se
méfiant grandement de l’intervention politique, supposée
créer encore plus de problèmes. Les seconds, quant à
eux, pensent, au contraire, que l’homme est le seul responsable desdits
problèmes et appellent à une régulation étatique
très forte pour les éradiquer. L’un d’entre eux a
donc obligatoirement mésinterprété la pensée
d’Henry David Thoreau en la matière.
Pour bien
analyser cette dernière, il est nécessaire de relire deux de
ses ouvrages majeurs, Walden ou la vie
dans les bois et Désobéissance
civile. Le premier est un genre littéraire inclassable entre le
récit autobiographique et le roman. Thoreau y fait étalage de son
profond amour pour la nature, adoptant un mode de vie primitif et
profondément individualiste.
C’est ce
livre qui explique l’adhésion des écologistes politiques
à ses thèses. Sauf qu’ils oublient que, nulle part dans
l’ouvrage, Thoreau ne prône l’intervention de
l’État pour réguler une activité humaine censément
destructrice de l’environnement. D’abord, parce que ce livre
n’a pas de connotation politique, n’en déplaise aux
écologistes précités. Ensuite, en bon individualiste,
Thoreau y écrit : « Je ne voudrais à aucun prix
voir quiconque adopter ma
façon de vivre ; (…) mais ce que je voudrais voir,
c’est chacun attentif à découvrir et suivre sa propre voie, et non pas à la
place de celle de son père ou celle de sa mère ou celle de son
voisin. ». Puis, Thoreau est anarchiste, ainsi qu’il le
déclarait, en toutes lettres, dans son pamphlet Désobéissance civile : « que le
gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout »,
dépassant, en cela, Jefferson qui était, de son
côté, partisan d’un État minimal.
Enfin, il
serait tout de même utile de rappeler que les écologistes
politiques n’ont pas le monopole du respect de l’environnement et
de l’amour de la nature. Les libéraux se sont, eux aussi,
intéressés aux questions écologiques en y apportant des
solutions différentes de celles proposées par les desdits
écologistes politiques : ils considèrent ainsi que les mécanismes
de propriété privée sont beaucoup plus efficaces que la
régulation étatique. Le meilleur exemple à cet effet est
l’article scientifique de l’écologue américain,
Garrett Harding, intitulé La
tragédie des biens communs, qui montre les dangers de la notion de
bien collectif, tant revendiquée par les écologistes
politiques, et qui mène à une surexploitation des ressources,
les usagers ayant une vision court-termiste et non
durable. Ils sont incités à profiter au maximum des ressources.
Sans être la thèse de l’auteur, il est logique de déduire
de ce texte que c’est l’absence de droits de
propriété qui conduit les individus à être peu
précautionneux des lieux où ils se trouvent.
Dans le film Les insurgés de la terre, nous
voyons des activistes écologiques – admiratifs de Thoreau
– violer les droits de propriété que possèderaient
des sociétés sur des forêts. Selon eux, lesdites entreprises, dans une logique
de profit, abattraient trop précipitamment des arbres qui auraient pu
avoir une longue existence.
Mais,
jusqu’à preuve du contraire, les propos de ces activistes ne
sont pas accompagnés d’arguments solides. D’ailleurs, la
réalité actuelle a tendance à démentir ce constat
pessimiste : les forêts
privées américaines – pour ne citer qu’elles
– sont, par exemple beaucoup plus profitables et bien mieux
gérées que leurs cousines publiques du
Québec où règne un inquiétant climat anomique.
Une
société ou règne le respect
des droits de propriété privée n’a pas nécessairement
d’objectifs contradictoires à la préservation de
l’environnement et des ressources naturelles. En cela, les philosophes
libéraux, contrairement aux écologistes politiques, avides de
régulation étatique, sont les seuls à pouvoir
revendiquer l’héritage d’Henry David Thoreau qui, au vu de
ses écrits, n’aurait sans doute pas apprécié
l’interférence gouvernementale croissante dans les questions
environnementales.
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