Les origines réglementaires de la crise, 2ème Partie : L’arbitrage règlementaire

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Published : November 25th, 2014
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L’arbitrage règlementaire consiste à utiliser des techniques tout à fait légales de planification comptable et financière afin d’éviter ou optimiser le paiement d’impôts, l’adhésion aux règles comptables contraignantes, la divulgation de détention des titres et autres coûts règlementaires. Il ne s’agit pas d’évasion fiscale ou réglementaire, celle-ci étant illégale.

 

Pour ce faire, l’arbitragiste règlementaire exploite un vide entre la substance économique d’une transaction et son interprétation règlementaire.  Ce vide provient de ce que la loi n’arrive pas à bien jauger la complexité d’une transaction économique et ne concerne alors qu’un aspect assez limité de cette transaction. L’arbitragiste va donc procéder à cette transaction en se concentrant sur les aspects non-réglementés tout en évitant les aspects réglementés, ce qui permet de respecter la loi.

 

L’utilisation des niches fiscales et des enveloppes fiscales – par exemple, le livret A, le PEA, l’assurance-vie – sont un bon exemple d’arbitrage règlementaire pratiqué au quotidien par bon nombre des Français. Le choix du statut d’auto entrepreneur plutôt que celui d’une entreprise unipersonnel ou même celui de salarié pour éviter de payer une partie des cotisations sociales en est un autre exemple.

 

L’usage de l’arbitrage règlementaire par les banques pour « optimiser » leur respect des règles de Bâle peut être direct ou indirect. Dans le premier cas, la banque arbitre tout simplement entre les catégories de risque d’actifs qu’elle peut détenir (voir tableau 1 ci-dessous). 

 

Type d’Actif

Risque pondéré

Cash, lettres et obligations des pays OCDE

0%

ABS notés AA ou plus

20%

Hypothèques

50%

Crédit aux entreprises et à la consommation

100%

 

 

Comme expliqué dans mon dernier billet, une banque doit maintenir un ratio de capital de 8% par rapport au montant total de ses actifs pondérés par leur risque. Par conséquent, plus la banque détient des actifs risqués, plus ces 8% représenteront un montant important. Elle arbitre donc entre les différentes catégories de risque en choisissant des actifs considérés moins risqués. Un élément problématique de ces catégories, c’est qu’au sein de chacune d’elles, aucune distinction n’est faite entre les différents actifs. Ainsi, dans la première catégorie à risque zéro, on pouvait retrouver des obligations allemandes avec un rendement annuel de 3% et des obligations grecques avec un rendement annuel de 10%. Le risque réel de ces obligations est évidemment très différent mais était négligé par les catégorisations de Bâle. Dans un  tel cas, la banque n’hésitera pas un seul instant, si elle cherche la rentabilité, à choisir l’obligation grecque. On retrouve cet arbitrage au sein de chaque catégorie d’actifs.

 

Or, le respect des règles permet à la banque d’obtenir un traitement privilégié de la banque centrale en termes de couverture, car il devient très difficile d’un point de vue légal de refuser des liquidités à une banque en péril qui a adhéré à toutes les règles jusqu’au moment de la crise. Du coup, il n’y a aucune réelle incitation pour la banque à choisir l’actif réellement moins risqué et donc moins rentable dans une catégorie si elle peut choisir d’autres actifs « similaires » et plus rentables au sein de cette même catégorie, même s’ils sont plus risqués.

 

Le deuxième cas d’arbitrage règlementaire est plus complexe. Recomposer son portefeuille d’actifs en privilégiant les catégories moins risquées implique une moindre utilisation du levier du crédit bancaire et donc beaucoup moins de recettes pour une banque. Par ailleurs, concentrer son portefeuille d’actifs sur des crédits risqués exige une immobilisation de capitaux propres plus considérable, ce qui limite également la capacité de la banque à créer des crédits supplémentaires.

 

La banque a alors la possibilité de faire usage de la titrisation pour passer les crédits qu’elle souhaite titriser en profits et pertes et réduire ainsi son total d’actifs pondéré au risque. Ceci démobilise des capitaux propres et permet alors à la banque de prendre de nouvelles positions dans son actif.

 

La figure 1 ci-dessous illustre la procédure par un schéma. Je suppose que la Banque A opère en zone euro. Elle doit donc respecter un coefficient de réserves obligatoires de 1%. Le lecteur peut constater qu’avant titrisation, la Banque A possède 5 millions d’euros en cash pour 95 millions d’euros en dépôts, ce qui équivaut à un coefficient de réserves de 5,26%. La Banque A se trouve donc en-dessous de sa capacité maximale de création de crédit. Or, elle ne peut pas exploiter cette marge de manœuvre car ses capitaux propres de 10 millions d’euros correspondent à 10% de son total d’actifs pondérés par le risque (5 millions x 0% + 100 millions x 100% = 100 millions d’euros). Il s’agit là du ratio de capital minimum imposé par les futures règles de Bâle III. Pour assumer de nouvelles positions, la Banque A procède donc à la titrisation de la totalité de ses crédits (un cas extrême, certes, mais illustratif). Elle transfère alors ses crédits regroupés à un véhicule spécial d’investissement, ici un Fonds commun de créances. Ce fonds garde ces crédits à son actif et émet des ABS qu’il vend pour financer l’achat.

 

 

 

Figure 1: Titrisation d'actifs bancaires

 

 

 

 

Après titrisation, la Banque A se trouve avec 105 millions d’euros en cash à sa disposition, tandis que son passif n’a absolument pas changé. La marge de manœuvre de la Banque A est maintenant énorme, mais peu importe la recomposition future de ses actifs, celle-ci doit toujours respecter le ratio de capital de 10%. La Banque A peut choisir, à titre d’exemple, la recomposition illustrée dans la figure 2 ci-dessous.

 

 

 

 

Le lecteur peut constater que le nouveau bilan de la Banque A respecte le coefficient minimum obligatoire de la zone euro ([2 millions / 185 millions] x 100 ≈ 1%) et le ratio de capital de Bâle III ([2 millions x 0%] + [53 millions x 0%] + [50 millions x 20%] + [90 millions x 100%] = 10%).

 

Grâce à la titrisation, la Banque A a quasiment pu doubler son bilan. Il est aussi intéressant de remarquer que même si la Banque A semble « diversifier » l’actif de son bilan, celui-ci reste avant tout composé d’instruments de dettes. La Banque reste donc exposée au risque de défaut. En outre, rien ne garantit que le risque des nouvelles positions prises par la Banque A soit effectivement inférieur au risque qu’elle assumait précédemment, objectif des règles de Bâle. Une lettre OCDE peut être plus risquée qu’un crédit à une entreprise solide avec du collatéral à pourvoir. La catégorisation du risque par la BIS reste donc purement arbitraire avec peu de base empirique.

 

Notons cependant que pour procéder à cette augmentation du bilan, la Banque a dû trouver une ou plusieurs autres banques qui lui ont fourni les liquidités nécessaires via  le Fonds commun de créances. Ces autres banques ont perdu leur capacité à créer du crédit pour acquérir les actifs titrisés de la Banque A. Autrement dit, ce que la Banque A a gagné, les autres l’ont perdu. Le système bancaire dans sa totalité n’a pas vraiment créé plus de crédit.

 

Si la banque centrale se met cependant à racheter des actifs titrisés pour refinancer les banques, alors le système peut créer plus de crédit que ce qu’il ne pouvait le faire originellement. En conclusion, le problème ne provient pas tant de la titrisation, mais de la façon dont on finance cette titrisation.

 

À suivre : complications règlementaires et crise.

 

 

 

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Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l'analyse économique de l'entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.
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