Les origines réglementaires de la crise, Ière Partie : La titrisation

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Published : November 06th, 2014
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Nombreux sont ceux qui restent convaincus  que la dernière crise financière a été en grande partie due à un manque de règlementation. Cela a permis aux banques de mener une politique de crédit laxiste sans aucun contrôle étatique. Cette croyance est pourtant sans fondement et  ignore  le niveau de règlementation qui existe sur le marché bancaire. De fait, cette règlementation a incité les banques à prendre des risques pour respecter les nouvelles règles qui leur étaient imposées.

Tout d’abord, le lecteur doit garder à l’esprit que le marché bancaire a la particularité de s’organiser autour d’un prix de base et une offre de liquidité totalement déterminés par la banque centrale (BC). En effet, le taux d’intérêt auquel les banques se financent et les quantités de liquidité mises à leur disposition sont tous les deux fixés par la BC. Toute déviation du taux d’intérêt par le marché au-delà de la fourchette annoncée par la BC entraîne la mise en œuvre d’actions de la part de la BC afin de ramener le taux d’intérêt dans la fourchette annoncée.

Ceci dit, les BC ne se limitent pas à déterminer des taux d’intérêt et l’offre de liquidité pour réguler le marché bancaire. Elles régulent également le risque auquel s’exposent les banques commerciales. Ceci est vrai depuis la crise de 1929 et la création de la BIS (Bank of International Settlements). Jusqu’à la faillite de la banque Herstatt AG en 1974, cette réglementation était le fait de chaque BC nationale.  Cet évènement fatidique signe la création du « Comité de supervision bancaire de Bâle » qui a donné naissance aux fameux accords de Bâle sur les besoins en capital des banques commerciales.

Les accords de Bâle – inspirés des procédures déjà en pratique aux États-Unis depuis le Banking Act de 1933 – établissent aujourd’hui que les banques commerciales doivent maintenir un ratio de capital de 8% -- bientôt 10% selon les accords de Bâle III – par rapport au total de leurs actifs pondérés par leur risque.  Pour simplifier, on peut dire que les actifs de la banque sont catégorisés en quatre grands paniers. Le premier panier inclut les actifs le plus liquides, tels que le cash et les obligations gouvernementales AAA détenus par la banque. Ce premier panier se voit allouer un risque considéré comme nul, à savoir 0%. Il n’est donc pas nécessaire d’accumuler du capital en contrepartie de la détention de ces actifs. Le second panier inclut des actifs émis par les entreprises publics. Le risque de ces actifs est pondéré à 20%. Le troisième panier inclut généralement du crédit hypothécaire, dont le risque est pondéré à 50%. Finalement, le quatrième panier inclut le crédit à la consommation et aux entreprises, tous les deux pondérés à 100%. Le tableau 1 ci-dessous fournit un exemple hypothétique de calcul de ratio de capital pour une banque X.

Tableau 1: Exemple calcul de ratio de capital Bâle I

ACTIFS DE LA BANQUE X

ACTIFS

TOTAL

PONDERATION

TOTAL PONDERE

Cash et T-Bonds

$300M

0%

0

ABS

$800M

20%

$160M

Hypothèques

$1000M

50%

$500M

Crédit à la consommation et aux entreprises

$900M

100%

$900M

TOTAL

$3000M

-

$1560M

Besoins règlementaires en capital selon Bâle III : 10% de $1560M = $156M

Il est intéressant de voir que les catégories de la BIS ne prennent absolument pas en considération les différences de risque qui existent entre les émetteurs de chaque catégorie d’actifs. Ainsi, les titres de dette d’une entreprise aussi solide que Siemens sont considérés comme étant de moindre qualité que les titres de dette grecs. Pire, les titres de dette d’une entreprise moyenne entrent dans la même catégorie que les titres d’une entreprise comme Siemens ou Coca-Cola. Autre problème de cette classification est le système d’incitation qu’elle crée. Plus une banque dispose d’actifs « sûrs », plus elle disposera de capital de base pour créer de nouveaux crédits par le biais du mécanisme du multiplicateur bancaire (voir ici). Par conséquent, la banque aura moins d’incitation à créer du crédit aux entreprises et aux consommateurs et préférera l’endettement public et les autres types d’actifs comme les ABS (Asset-backed securities, dérivés du crédit).

Au delà de ce constat, un problème de taille demeure : la quantité des actifs les plus sûrs sur le marché est  limitée par rapport aux crédits que la banque peut créer ex nihilo. Or, le multiplicateur bancaire permet à la banque de gagner beaucoup plus d’argent que si elle n’en faisait pas usage. Par exemple, si les $300 millions en T-Bonds de la banque X ci-dessus rapportent 5% à la banque et que celle-ci doit en restituer 2% à ses clients, elle touche un spread de 3% sur $300 millions, c’est-à-dire, $9 millions d’euros. Or, si les $900 millions en crédit à la consommation et à la production rendent 4% à la banque et que celle-ci doit payer 2% à ses clients, il lui reste un spread de 2% sur $900 millions, autrement dit, $18 millions. Plus la banque peut créer des crédits, plus elle pourra amplifier ses recettes grâce à ses « économies d’échelle ».

C’est alors que la titrisation fait son apparition. Les banques ne peuvent pas vendre leurs crédits directement sur le marché, car les crédits octroyés par une banque ne constituent pas des titres négociables. Cependant, elle peut titriser ces crédits. Pour ce faire, la banque crée une entreprise, un véhicule spécial d’investissement qui recevra les crédits bancaires à titriser. Le véhicule émettra de nouveaux titres, les fameux ABS (asset-backed securities) dont le rendement est lié à celui des crédits sous-jacents. L’astuce est de transformer un crédit bancaire qui représente un certain risque en un titre négociable moins risqué (credit enhancement). C’est possible  en créant des tranches structurées de telle façon que les tranches supérieures (senior) sont « protégées » par les tranches inférieures (junior), comme décrit dans le schéma ci-dessous.

 

Figure 1 : Processus de titrisation structurée

 

Ainsi, si un véhicule spécial regroupe $900 millions de crédit à la consommation avec un rendement de 10%, il est possible de créer des titres correspondant à ces $900 millions  partitionnés en tranches, disons trois.. Chaque tranche a un sous-jacent équivalent à des crédits de $300 millions, mais elles sont vendues à des prix différents.

La tranche junior sera vendue à $250 millions, ce qui la rend effectivement plus rentable qu’auparavant puisqu’elle rapporte $30 millions d’intérêts pour un coût de $250 millions, autrement dit, un rendement de 12% au lieu de 10%. La tranche mezzanine sera vendue à $350 millions pour un rendement de $30 millions, donc 8,57% de rendement. Finalement, la tranche senior sera vendue à $400 millions pour un rendement toujours de $30 millions, soit 7,5% de rendement. S’il est vrai que les tranches supérieures sont plus chères et moins rentables, elles sont néanmoins plus sûres car tout défaut de paiement du sous-jacent est d’abord absorbé par la tranche inférieure. La tranche senior est couverte par la tranche mezzanine qui l’est par la tranche junior Autrement dit, les détenteurs des tranches mezzanine sont couverts à hauteur de $300 millions par les détenteurs des tranches junior, tandis que les détenteurs des tranches senior sont couverts à hauteur de $600 millions par les deux autres tranches inférieures.

Ce mécanisme de titrisation est fondamental pour comprendre le phénomène d’arbitrage règlementaire et l’incitation institutionnelle à la prise de risque que nous verrons dans notre prochain billet.

 

 

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Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l'analyse économique de l'entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.
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Pauvre et ridicule Nicolas Sarkozy au Sommet de Washington de novembre 2008 qui affirmait le contraire, mais il a été suivi par tous ses semblables, ils nous ont amené unanimement à la crise d'aujourd'hui, insolvable dans le niveau d'endettement ubuesque dont il faudra sortir quand même...mais avec eux, quel drame.
Rappelez-vous, car NS revient demain à la tête de l'UMP en vue de la présidentielle de 2017 pour régler ses comptes personnels avec ceux qui le chatouillent actuellement. La France a un bel avenir.
Mais soyez rassurer braves gens, il restera les impôts, les taxes, les contributions, la TVA, l'ISF, l'impôt sur les plus-values, les DMTO et DMTG et les autres à créer (il avait pensé avec son éminence de l'époque Henri Guaino (secrétaire général de l’Elysée) à imposer le revenu fictif constitué par l'occupation de la résidence principale exempte de dette.(reprise par ses successerus sans succès), ouf mais pour combien de temps?
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CLAUDE F. - 11/28/2014 at 6:30 AM GMT
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