Rousseau vs Hobbes : le vrai duel de la présidentielle ?

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Published : April 12th, 2012
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En ce mois d’avril, Philosophie magazine consacre un dossier à l’élection présidentielle. L’idée centrale de ce dossier ne manque pas d’intérêt : « Rousseau contre Hobbes, le vrai duel de la présidentielle ».


L’image de couverture est bien trouvée. Et surtout, à la lecture du contenu du dossier, on est frappé par la justesse des analyses. Hobbes était convaincu que « l'homme est un loup pour l'homme » et a donc imaginé un État-Léviathan, qui fasse peur aux hommes, pour éviter le retour à « la guerre de tous contre tous », qui caractérise l’état de nature. Rousseau, de son côté, défendait au contraire une bonté naturelle originelle, corrompue par la société et appelée à être réactivée par un « contrat social ». Or, il est bien vrai que Nicolas Sarkozy est proche de la philosophie autoritaire de Hobbes, là où François Hollande rejoint l'aspiration égalitariste de Rousseau. Vu sous cet angle, le débat, en apparence atone, de la présidentielle prend un relief tout à fait inattendu. On peut même aller plus loin, c’est toute la droite française qui est hobbesienne, tandis que la gauche est rousseauiste.





Pourtant il y a quelque chose qui cloche dans tout cela. Un fait qui échappe complètement à l’analyse de Philosophie Magazine et qui mérite une attention toute particulière. Loin d’être l’affrontement de deux visions opposées de la politique, l’opposition entre Hobbes et Rousseau propose en fait  deux versions peu différentes d’un même dogme : celui de l’étatisme ou de l’État comme fin et non comme moyen. L’un défend la souveraineté absolue du Prince, l’autre la souveraineté absolue de la volonté générale, c’est-à-dire du législateur. On ne trouvera ni chez Hobbes, ni chez Rousseau, une philosophie du gouvernement limité, ni même une philosophie de la protection des droits individuels, en particulier du droit de propriété. La vision de Hegel au XIXe siècle, s’inscrira d’ailleurs dans l’héritage classique de Hobbes et de Rousseau en ce sens qu’il maintiendra la suprématie quasi divine de l’État et du politique sur la sphère « inférieure » de la vie économique et sociale.


Le philosophe J.F. Kervégan (professeur à Paris I), spécialiste des penseurs du contrat social, écrit justement : « Comme Hobbes, Rousseau pense que l’unité d’une société ne peut être que politique, et cette conviction se traduit par la position éminente du « souverain » ; simplement, chez lui, le souverain est et ne peut être que la « volonté générale », et non plus celle d’un homme ou d’une assemblée ; la structure de la théorie hobbesienne de la souveraineté est maintenue, seul change l’identité du sujet auquel celle-ci est attribuée. » (Ce qui fait société : le politique, l’économie, le droit ? Conférence à l'AJEF, le 14 octobre 2009)


Le fait que la souveraineté réside dans une volonté ou bien qu’elle réside dans le peuple ne fait pas une grande différence si cette souveraineté n’est pas d’abord limitée, faisait déjà remarquer Benjamin Constant après la Révolution française. « Prions l’autorité de rester dans ses limites, nous nous chargeons de notre bonheur », écrivait-il. Et il ajoutait : « la souveraineté n’existe que de manière limitée et relative ».


La philosophie politique de Constant se fonde sur une conviction fondamentale : « il y a une partie de l’existence humaine qui est de droit hors de toute compétence sociale » (entendre ici : compétence politique). Constant rejoint ainsi Smith, Locke et les physiocrates français, pour qui la société peut s’auto-organiser et s’autoréguler, dans le cadre de la concurrence et du droit naturel de propriété. Les penseurs du libre marché au XXe siècle, comme Mises et Hayek notamment, contesteront à leur tour le modèle constructiviste et artificialiste de Hobbes et de Rousseau.


On le voit donc, l’opposition entre Hobbes et Rousseau, entre Sarkozy et Hollande est une fausse opposition idéologique, qui trompe les électeurs. L’analyse de la vie politique française depuis plus de quarante ans nous le confirme : la droite et la gauche convergent de plus en plus vers un centre mou, à la fois étatiste et corporatiste, conservateur et progressiste, renonçant de plus en plus à tout ce qui pouvait encore les distinguer. La droite a renoncé au libre marché au profit d’un interventionnisme moralisateur (« moraliser le capitalisme » comme on dit) et d’une politique fiscale collectiviste. De son côté, la gauche a renoncé aux dogmes de la planification collectiviste et de la lutte des classes et se veut pragmatique. Bref, à droite comme à gauche, on rejette les doctrines, qualifiées d’ « idéologies » et on accepte tous les compromis.


Résultat : la « droiche » ! Ce mouvement historique correspond en fait à l’avènement de ce qu’on appelle la social-démocratie : État-providence, justice sociale, prélèvements obligatoires, assistanat, multiculturalisme… c’est le prix de la paix sociale. Au programme donc : immobilisme et statu quo. Surtout ne changeons rien au système. Et la différence entre droite et gauche n’est en fait qu’une affaire de dosage, de nuances, car les deux principaux partis sont des clones (voir mon article : Peut-on sortir du statu quo des grands partis politiques ?).


La ligne de clivage qui séparait jadis la droite et la gauche s’est donc déplacée. Ou passe-t-elle désormais ? Le véritable duel, le seul qui soit digne de ce nom, est celui qui oppose les défenseurs de l’individu et de la société aux défenseurs de l’État, ceux qui font confiance dans la capacité des individus à s’organiser librement par eux-mêmes et ceux qui pensent que l’État est la fin de l’Histoire. C’est l’individualisme responsable et la philosophie du libre marché contre le collectivisme social-démocrate.


Malheureusement, ce libéralisme-là n’existe plus dans le paysage politique français, comme il existe encore aux États-Unis avec Ron Paul. Au XIXe siècle, il était porté en France dans le débat intellectuel et politique par Say, Constant et Bastiat, notamment. Mais les Français ont la mémoire courte et il faut leur rappeler que le libéralisme n’est pas une spécificité anglo-saxonne et qu’il existe bien en France une tradition libérale qui remonte à Turgot et à Quesnay (Voir le travail de l’Institut Coppet pour promouvoir l’école libérale française).


Un François Bayrou peut-il aujourd’hui incarner ce courant, comme l’affirme Philosophie Magazine qui le classe comme un digne représentant de la philosophie de Locke ? Il est permis d’en douter, vu son approbation à toutes les mesures collectivistes votées depuis vingt ans. On est bien loin d’un Ron Paul. Alternative libérale avait su incarner cet espoir en 2006-2008, comme Alain Madelin à son époque. Aujourd’hui, l’espoir renaît avec la vraie-fausse candidature de Frédéric Bastiat (bastiat2012.fr), portée par une génération d’étudiants qui a découvert Ron Paul et a compris où se trouvait la véritable alternative. Soutenons cette initiative, même modeste, qui mérite en France un bel avenir.


 

 

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Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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"État-providence, justice sociale, prélèvements obligatoires, assistanat, multiculturalisme". Non: le multiculturalisme est une verrue récente rajoutée par lâcheté à l'issue de décennies d'incurie migratoire.
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D'autant que j'ai toujours entendu de la part des amis socialo/communistes que l'homme est MAUVAIS et que c'est pour cela qu'il faut le diriger serré par une administration qui étant malheureusement humaine, tombe vite dans le travers reproché aux hommes ! Donc pas de solution au problème !
Le libéralisme quant à lui pencherait pour un équilibre du à la lutte inévitable de l'individu (abusif) avec la masse communautaire. J'y crois un peu plus.
La solution pourrait être le siège éjectable pour tout employé de l'état (politique et fonctionnaire) qui ne respecterait pas la volonté du peuple (par référendums).

Dans le cas particulier de la France, l'explication de sa dérive provient de la terreur engendrée par mai 68 pour toute autorité ; et ce n'est pas parce que ses principaux acteurs sont arrivés au pouvoir que cela a changé car ils ont peur d'eux-mêmes jeunes et le reporte sur les jeunes d'aujourd'hui ! Les tenir par le chaumage, les études longues et abrutissantes et un matraquage continuel par les médias, est ce que nous pouvons constater journellement.
Je vais faire une confidence : avant de partir pour le "maintien de l'ordre" en Algérie, j'ai du, comme EOR frais, recevoir un traitement anti-intox. j'en garde encore des séquelles ce qui me met à l'abri du matraquage; mais je dois reconnaître qu'il me faut de temps à autre me reprendre en main pour ne pas céder aux champs des sirènes, qu'elles soient de droite ou de gauche , Marine ou Mélenchon, les deux n'ayant pas tout faux et proposant des solutions , certes radicales et bien rétrogrades, mais cohérentes, face au point où nous en sommes !!!
Le reste étant composé de ventres-mous ou incompréhensibles dans leurs propositions donc finalement peu alléchants !
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