| Voilà ce qui s’appelle faire le grand écart : d’un côté témoins de l’évasion et de l’optimisation fiscale sous ses multiples facettes, les Européens sont de l’autre soumis à la rigueur budgétaire pour vivre aux crochets d’un état dispendieux. La crise politique qui parcourt la région et s’exprime à sa façon dans chaque pays ne va pas en sortir allégée. Car rien ne permet d’attendre un mieux, à lire les prévisions de l’Ifo, l’Insee et l’Istat, les instituts des trois principales puissances économiques de la zone euro. Ils se sont mis à trois pour prévoir une lente reprise permettant péniblement d’atteindre au troisième trimestre 0,2% de croissance pour la zone euro. Si toutefois elle se concrétise, Benoit Coeuré de la BCE avertissant que la reprise est soumise à « des aléas négatifs ». Sur le marché obligataire, les taux restent sages en dépit des événements, résultat des achats des investisseurs japonais qui bénéficient de la manne des liquidités de la Banque du Japon, faisant baisser en-dessous de la barre des 2% les taux français et belge à dix ans. Une telle quantité de liquidités circule qu’il faut trouver où les placer… Ni la bourse, ni même ce marché ne sont désormais des indicateurs fiables de ce qui peut survenir, la nouvelle bulle financière en cours de constitution produisant ses effets. Que l’on considère ses aspects financier et politique, la crise est profonde et souterraine, pour apparaitre brusquement. Qui aurait cru que l’affaire de Chypre prendrait de telles proportions, quelle sera la prochaine au sein de la zone euro ? Dans tous les pays qui bénéficient d’une aide financière, le même scénario s’égrène comme une litanie. Au Portugal, le Conseil constitutionnel repousse des mesures d’austérité déjà budgétisées et accentue une crise politique latente. En Espagne, Eurostat fait corriger des facilités d’écriture qui diminuaient le déficit budgétaire de l’année passée, et le gouvernement doit à nouveau négocier des délais, ceux que les Portugais ont entre-temps obtenus en pure perte. Après une interruption d’un mois, de délicates négociations ont repris en Grèce avec la Troïka, elles portent sur la réduction des effectifs des fonctionnaires et la restructuration des banques (que le gouvernement s’efforce de protéger de l’infamie de la nationalisation, alors qu’elles sont massivement renflouées sur fonds publics). En Italie, l’Etat a joué sans retenue du crédit fournisseur pour plus de 80 milliards d’euros auprès de 200.000 entreprises et va pour moitié les régler avant qu’elles ne s’effondrent. On apprend qu’il n’est pas le seul à agir ainsi. Cela fait suite à un assouplissement des critères européens en matière de décompte des déficits et de la dette, même miracle que celui qui permet de ne pas comptabiliser dans la dette espagnole les fonds destinés à renflouer les banques espagnoles. Mais ces petits arrangements avec le bon Dieu ne règlent rien. Après l’Italie, la France est entrée dans la zone des tempêtes sans ne serait-ce que l’ébauche d’un plan B. Le sort de la Grande-Bretagne est entre les mains de la Banque d’Angleterre, qui hésite, tandis que Mario Draghi reconnait réfléchir à des solutions « selon une perspective à 360 degrés ». Autant dire qu’il cherche tous azimuts des réponses introuvables aux questions qu’il a longuement évoquées lors de sa dernière conférence de presse (lire les questions/réponses, en anglais). La BCE n’a pas tous les jours un programme OMT a sortir de ses tiroirs, constatant aujourd’hui la rupture de son mécanisme de transmission monétaire et que les banques qui procurent en Europe 80% des fonds nécessaires aux entreprises pratiquent la rétention des fonds qui leur sont généreusement accordés… On revient au point de départ : l’état du système bancaire est la question qu’il aurait fallu régler en priorité ! Il n’est peut-être pas trop tard, si l’on considère que la Bundesbank vient de lancer une enquête à propos de la Deutsche Bank. Elle aurait, selon d’anciens employés et non des moindres, planqué la bagatelle de 12 milliards d’euros de perte sous le tapis, lui permettant d’afficher une santé éclatante et d’éviter un « bait-out » (sauvetage gouvernemental). A toutes fins utiles, Mario Draghi vient de demander que les travaux relatifs au projet de directive européenne fixant les règles des « bail-in » soient accélérés, depuis que la porte en est ouverte. Tout en respectant, bien entendu, le principe que chacun est un cas unique. ——
VIENT DE PARAITRE : « LA CRISE N’EST PAS UNE FATALITÉ » – 280 pages, 13 €. | |