Henri Poincaré, le grand mathématicien, est l'un de ceux qui ont beaucoup
écrit sur ce qu'il fallait penser des mathématiques et des logiques de
certains mathématiciens, quand il ne mettait pas l'accent sur les discours de
prétendus philosophes.
Dans Science
et Méthode, il a insisté sur la différence à faire entre choix des
méthodes et méthode des choix, une différence tantôt méprisée, tantôt mal
comprise par beaucoup.
Avant de choisir un fait avec méthode, il convient de choisir une méthode.
1. Le savant et la science.
Point de départ de Poincaré: le savant manque de temps, n'a pas le temps de
regarder tout ce qu'il lui faut regarder.
Il doit donc faire des choix et le choix est pour lui un coût d'opportunité
des quantités que la situation où il se trouve lui offre et son choix
d'action lui donne.
En termes économiques actuels, cela revient à dire que le savant doit avoir
conscience du coût d'opportunité qu'en particulier son temps - quantité -
restreint lui occasionne. Peu importe le "sacrifice" à quoi
certains économistes font allusion.
Poincaré ne connaissait pas ce mot récent de "coût d'opportunité".
Malgré cela, le coût d'opportunité explique l'importance que Poincaré lui
accordait sans y mettre le doigt, mais aussi à la notion d'économie de pensée
qui s'en déduisait et qu'il a reprise à Ernst Mach à diverses occasions.
Pour cette raison par exemple, selon Mach ou Poincaré, importe le
"mot" qui économise de la pensée.
Il convient de mettre de côté les mots qui envahissent la lecture, loin
d'économiser la pensée.
Curieusement, la plupart des économistes qui font référence au coût
d'opportunité de l'action humaine laissent de côté la loi de l'économie et, a
fortiori, la loi de l'économie de pensée.
Choix des méthodes et méthode de choix se posent à tout savant, y compris à
l'économiste.
Les principes de la méthode ne sont pas sans analogie. Il ne s'agit pas
d'établir des ressemblances et des différences, mais de retrouver les
similitudes cachées sous les divergences apparentes. Poincaré y a
beaucoup insisté.
Cela est possible car le monde est harmonieux et le souci du beau et celui de
l'utilité conduisent au même choix de méthode.
Soit dit en passant, c'est Poincaré qui parle en 1908, ce n'est pas Bastiat
de 1850 comme certains pourraient le penser.
2. Histoire et présent.
En ce qui concerne les mathématiques, la vraie méthode était, selon Poincaré,
d'étudier leur histoire et leur état présent.
Mais souvent le mathématicien est en butte au physicien ou à l'ingénieur qui
lui demandent de donner une réponse à leur question, i.e. l'état
présent...
Il en est de même de l'économie politique.
En général, les deux éléments sont malheureusement disjoints.
Il y a ceux qui vous parlent de l'histoire et s'en félicitent et ceux qui
s'intéressent à l'état présent sous telle ou telle méthode.
Dans l'état présent, il y a en particulier ceux qui, à dessein ou non, se
font forts d'appliquer telle ou telle mathématique dont ils seraient bien en
peine d'expliquer le choix.
Il y a aussi ceux qui développent des arithmétiques ou des algèbres, bref des
comptabilités plus ou moins nationales.
S'agissant de l'histoire, il y a les "indécrottables" qui
prétendent analyser des faits d'hier avec des mots d'aujourd'hui ou bien des
faits d'aujourd'hui avec des mots d'hier...
Relativement à la méthode des choix, il n'est plus question de la méthode de
l'équilibre économique aujourd'hui, mais de celle de la croissance comme si
celle-ci ne procédait pas de celle-là et n'était pas beaucoup plus récente.
3. Les modèles de croissance "en cour".
Quels sont, aujourd'hui, les modèles de croissance "en cour"?
Le silence sur la question est aujourd'hui complet.
Je ne parlerai pas des propos de Madame
Lagarde dans le cadre du Fonds monétaire international.
Je préfère rester en France...
Tout porte à croire que, par exemple, I.N.S.E.E., Banque de France, ministère
des finances, organisations de la sécurité sociale, etc. semblent avoir leur
propre modèle, leur propre scénario de modèle de croissance, leurs abaques.
Et, à partir des résultats dont ils ne donnent guère d'éléments, ils peuvent
pérorer, repris en cela par les médiats.
A la différence des résultats ponctuels d'autres modèles ou scénarios de
modèles, les abaques développent de vastes résultats qui dépendent des
éléments retenus et dont, là encore, personne ne connaît le point de départ.
4. Les régimes de retraites.
Edifiants sont ainsi les rapports du Conseil
d'orientation des retraites (C.O.R.) qui, depuis des années, vous
proposent des ... abaques et, en particulier le douzième du nom de janvier
2013.
L’abaque associé aux projections est véritablement le graphique préféré par
le C.O.R. et guère employé ailleurs...
Il vise
- à illustrer la diversité des choix possibles pour assurer, à un horizon
donné, l’équilibre financier du système de retraite et
- à fournir des ordres de grandeur des efforts nécessaires pour y parvenir.
Dans un texte de décembre 2003, Alain Desrosières parlait des objets
frontières de la comptabilité nationale au terme d'une étude sur "La naissance d'un
nouveau langage statistique entre1940 et 1960"
.
Avec les travaux du C.O.R., ce ne sont plus ces objets frontières qui sont à
mettre en premier lieu, mais des droites géométriques, voire des plans
géométriques du genre
"Le point A représente les conditions de l’équilibre du système de
retraite en 2050, compte tenu
- de l’âge effectif moyen de départ à la retraite et
- du niveau des pensions atteints en 2050 dans les projections du Cor.
L’équilibre financier du système de retraites supposerait ainsi
- une hausse du taux de cotisation de 3,7 points en 2050, pour
- un recul de l’âge effectif moyen de départ de 2 ans et
- une baisse de 23% du taux de remplacement.
La droite BC représente les autres combinaisons possibles entre hausse des
cotisations et baisse du taux de remplacement, toujours pour un décalage de
l’âge effectif moyen de départ de 2 ans en 2030 :
- en B, tout l’ajustement porte sur le taux de remplacement ;
- en C, tout l’ajustement se fait par le taux de cotisation."
Mais on ne sait d'où provient tout cela, tant au sens propre qu'au sens figuré.
Comment, dans ces conditions, faire évoluer les régimes obligatoires de
retraite en France?
Après les deux textes récents de Jacques Garello dans Le Figaro du
14 mars et de Pascal Salin dans
ce texte, je ne saurais trop vous conseiller de (re)lire ce texte
de mai 2009 et les textes y afférant, en particulier les textes suivis de
"Futur
des retraites et retraites du futur".