Les graphiques retraçant le cours historique de l’or exprimé en dollars US nous
montrent une ligne horizontale qui s’étend sur la majeure partie du 20ème
siècle. 35$, c’est après tout le cours officiel fixé par le Trésor Américain
à partir de 1934. Avant cette date, le cours de l’or était de 20,67$ pendant
presque un siècle avant que le président Roosevelt ne confisque l’or des
Américains et ne le réévalue à 35$ cette même année.
Le cours de 35$ constituait une part intégrante de l’accord de Bretton Woods
négocié après la seconde guerre mondiale. Bretton Woods spécifiait en effet
un système de parités fixes entre le dollar et les autres monnaies des pays
industrialisés ainsi que la convertibilité du dollar à 35$ l’once pour les
banques centrales. En d’autres termes, chaque dollar valait 0,03 once d’or ou
0, 888671 gramme.
Ceci ne correspondait pas au gold standard classique du 19ème
siècle mais constituait un pseudo étalon-or bricolé par les planificateurs
centraux. La convertibilité ne pouvait être exercée par les individus privés
mais uniquement par les banques centrales et la plupart des monnaies
n’étaient pas convertibles en or ; seul le dollar l’était. Une fois encore,
les graphiques des cours de l’or nous montrent une ligne horizontale à 35$
pendant toute la période de Bretton Woods dans les années 40, 50 et 60.
Le problème de ces lignes horizontales c’est qu’elles sous-entendent que les
autorités monétaires sont effectivement capables de maintenir le prix de l’or
au niveau spécifié et réciproquement, que le pouvoir d’achat du dollar est
constant. Or, ce n’était pas le cas, puisque le prix de l’or sur le marché
différait souvent de ces 35 $ officiels, et parfois de manière significative
et que par ailleurs, le dollar perdait aussi de sa valeur par rapport à la
plupart des biens et ceci, en dépit du fait que cette valeur soit fixée
officiellement par rapport à l’or.
Lorsque je me suis mis à faire des recherches pour un projet personnel
de graphique du cours de l’or, j’ai passé plusieurs semaines à fureter dans
de vieux journaux et magazines afin de trouver des données sur cette période
de l’or à 35 $. J’espère raviver la mémoire du public sur la divergence qui
existait alors entre le prix de l’or sur le marché et le cours officiel, un
couple de données tombé dans l’oubli.
Notre diagramme commence en 1954, date de réouverture du marché de l’or
de Londres qui, avant d’être fermé au début de la seconde guerre mondiale,
avait été le marché le plus actif au monde pour le commerce de l’or. Pendant
les années 50, le cours de l’or a fluctué entre 34,85$ et 35,17$. Les limites
supérieures et inférieures étant fixées par arbitrage et par le risque que
constitue ce dernier. Les banques centrales étrangères, comme stipulé dans
l’accord de Bretton Woods, pouvaient se retourner vers la Réserve Fédérale à
New York et convertir leurs dollars en or ou leur or en dollars pour 35$ plus
8.75 cents de commission. Le coût du transport et de l’assurance de New York
à Londres et vice versa était de 8 à 10 cents par once [1].
Donc, si le cours à Londres descendait au dessous d’à peu près 34.82$, il
convenait pour les banques centrales d’acheter de l’or à Londres, de le faire
transporter à New York et de le vendre ensuite au Trésor Public américain au
prix de 35$ l’once moins 8.75 cents de commission, percevant ainsi un profit
d’arbitrage d’environ 1 cent l’once. A l’inverse, si l’or montait au dessus
de 35.18$ à Londres, il était alors intéressant d’acheter de l’or au Trésor
américain pour 35,0875$, de le transporter par bateau à Londres pour 8 cents
et de l’y revendre pour 35,18$ réalisant un profit d’arbitrage de 1 cent.
Au milieu des années 50, la balance des paiements entre les Etats-Unis et le
reste du monde continua de pencher de manière dramatique en défaveur des USA.
Cela était dû aux dépenses militaires des Etats-Unis en dehors de leur
territoire, aux investissements des sociétés à l’étranger et à l’aide
consentie pour aider à la reconstruction de l’Europe. Le résultat fut une
accumulation continue des réserves des banques centrales européennes et de la
banque centrale japonaise.
1958 fut la première année durant laquelle les banques
centrales exercèrent leur droit de convertibilité pour des montants
significatifs et vendirent leurs dollars contre de l’or. Les réserves d’or
américaines chutèrent de 10%, de 20,312 tonnes (métriques) à 18,290 tonnes
cette année-là, et puis de 5% en 1959, et de 9% en 1960. Au même moment, la
Réserve Fédérale augmentait le nombre de billets en circulation, avec pour
résultat, davantage de dollars couverts par des dépôts en or toujours plus
faibles.
Le gouvernement américain tenta d’empêcher l’or de sortir
en obligeant les banques centrales étrangères à garder leurs dollars et
ensuite, en imposant des limites d’exportation des dollars pour les touristes
américains se rendant à l’étranger, puis aux investissements américains en Europe.
En 1958, le prix de l’or à Londres était plus proche de sa limite supérieure
de 35.18$ que de sa limite inférieure à 34.82$, atteinte en 1957. Les
participants au marché de Londres - dominé de manière croissante par des
foules d’investisseurs privés et de spéculateurs- devenaient de plus en plus
certains que les réserves fondantes d’or des Etats-Unis les obligeraient à
dévaluer fortement le dollar.
En septembre 1960, les Etats Unis firent face au plus grand déclin de leurs
réserves en une seule semaine depuis qu’en 1931 les banques centrales avaient
échangé leurs dollars contre du métal. [2]. Dans le même temps, il devenait
évident que le candidat présidentiel challenger John F. Kennedy gagnerait les
élections prévues en automne. Les promesses faites par Kennedy de baisser les
taux d’intérêt et d’augmenter les dépenses gouvernementales convainquirent
nombre de personnes que les réserves d’or s’amenuiseraient encore davantage.
Le Dow Jones industriel moyen fit un plongeon de 12% de la fin août au 25 octobre,
établissant son record le plus bas depuis 1958.
Dans ce contexte, les prix de l’or à Londres passèrent la barre des 35,20$
pour la première fois en septembre 1960 et le 20 octobre atteignirent les
36$, bien au-delà du plafond résultant de l’arbitrage. La semaine suivante,
une ruée spéculative démarra et le prix explosa, atteignant brièvement les
41$ et terminant son ascension au niveau élevé de 38 $. Avec un marché à
Londres négociant l’or avec une prime impressionnante de plus de 17% au
dessus du cours officiel, les architectes monétaires mondiaux avaient
complètement perdu le contrôle du prix de l’or.
La prime du marché par rapport au cours officiel de l’or n’était pas un
problème si anodin puisqu’elle remettait en question les principes fondamentaux
du système monétaire. Finalement, si une once d’or s’échangeait avec une
prime par rapport au prix officiel supposé du dollar, cela signifiait que ces
mêmes dollars devaient relever un défi quant à leur valeur réelle sur le
marché libre.
«La
prime du marché par rapport au cours officiel de l’or n’était pas un problème
si anodin puisqu’elle remettait en question les principes fondamentaux du
système monétaire».
A la onzième heure, la Réserve Fédérale à New York concluait un accord
informel avec la Banque d’Angleterre pour réapprovisionner ladite banque en
or de manière à ce qu’elle récupère tout l’or qu’elle écoulait sur le marché
dans le but de contenir le prix de l’or et ce, à son entière discrétion. Les
cours commencèrent à baisser dès que la Banque d’Angleterre commença à
vendre. Le dernier acte officiel d’Eisenhower en tant que président en 1960
fut de tenter de supprimer toute autre demande d’or en rendant l’achat d’or
à l’étranger illégal pour les citoyens américains – une extension de l’interdiction
par Roosevelt en 1933 aux Américains de détenir de l’or sur leur territoire.
En mars 1961, le cours de l’or avait été ramené avec une poigne de fer à
35.10$.
Craignant une autre ruée vers l’or en octobre 1961, les banques centrales
occidentales concrétisèrent un plan dans lequel elles mettaient en commun
plusieurs centaines de millions de dollars équivalents or, stock devant
servir à contrôler le prix de l’or sur le marché de Londres. C’est ainsi que
le fameux Gold Pool de Londres vit le jour. Le fond commun devenait un
acheteur d’or actif quand le prix de l’or tombait en dessous des 35.08$
l’once et un vendeur à 35.20$ [3]. Durant son premier test – la semaine de la
Crise des Missiles cubains en octobre 1962- le Pool fournit effectivement la
demande, celle-ci étant plus importante que la ruée qui avait eu lieu en
1960. Les prix ne pouvaient pas aller au-delà des 35.20$. La réputation du
Pool s’affirma : l’or resta offensif et proche des 35.08$ pendant les
années qui suivirent.
En 1963 et 1964, les Etats-Unis ne perdirent que de petits montants de leurs
réserves d’or au profit des autres banques centrales et le London Pool
achetait de l’or pour soutenir son cours plutôt qu’il n’en vendait pour le
contenir. Bretton Woods, le dollar et les 35$ fixés semblaient plus sûrs que
jamais. Mais avec l’incident du Golfe du Tonkin fin 1964, et l’accélération
de la guerre du Vietnam en 1965, les dépenses militaires américaines à
l’étranger explosèrent. Cela faisait partie du projet coûteux de
« Grande Société » du Président Lyndon B. Johnson payé, en partie,
par les émissions de nouvelle monnaie opérées par la Réserve Fédérale pour et
permettant de financer les achats de bons du Trésor du gouvernement.
Le déficit de la balance des paiements augmentait toujours plus vite et les
Etats-Unis perdaient encore plus de leurs réserves or au profit des banques
centrales étrangères surchargées de dollars exerçant leur droit de
convertibilité et également en raison des ventes sur le marché de Londres par
l’intermédiaire du Pool. Les réserves américaines reprirent leur trajectoire
de chute déclinant de 9% en 1965. Au même moment, les spéculateurs achetaient
de l’or en quantités record à Londres forçant le cours au dessus des 35,20 $,
la ligne du Pool étant comme une ligne dans le sable.
Les choses empirèrent encore avec la sortie du Gold Pool de la France au
début de 1967, les tensions au Moyen Orient et l’effondrement de la Livre
Sterling en novembre 1967. L’offensive du Tet au début de 1968 indiquait que
l’engagement des Etats-Unis au Vietnam ne ferait que grandir. Les
spéculateurs achetèrent en masse à Londres pendant la fin de l’année 1967
jusqu’en mars 1968. Le 14 mars, les membres du Pool avaient vendu environ
2,75 milliards de dollars d’or en vue de protéger le plafond de 35,20$ soit
environ 10% des réserves de ses membres depuis la dévaluation de la Livre, et
ils en avaient assez. [4]. Ils demandèrent à la reine d’Angleterre de fermer
le marché de Londres le jour suivant et dissolurent le Gold Pool tant
redouté. Lorsque Londres rouvrit deux semaines plus tard, sans mécanisme de
régulation, les prix grimpèrent immédiatement à 38$ et atteignirent bientôt
les 42$.
Se remémorer cet épisode de l’histoire de l’or met en
évidence les difficultés extrêmes rencontrées par les autorités monétaires
pour contrôler le cours de l’or. La ligne horizontale typique à 35$, visible
sur les graphiques, nous transmet l’illusion que le dollar était un réservoir
de valeur stable. En fait, les prix du marché divergeaient de ces 35$ et, en
1960, très nettement. La tentative de fixer le cours du dollar à 0.888671
gramme et l’or à 35$ l’once – tout ceci alors que le pouvoir d’achat du
dollar avait décliné par rapport à tous les autres biens- était une bataille
perdue d’avance à un coût élevé. Les Etats-Unis et leurs alliés allaient
vendre des quantités énormes d’or à des prix qui n’auraient jamais vu le jour
sur un marché libre. En 2009 et au milieu de sauvetages et renflouement les
plus gigantesques de l’histoire par les banques centrales, que la ruée vers
l’or de 1960 et l’effondrement final du fond commun d’or de Londres (London
Gold Pool) nous rappellent que la planification centrale dans les affaires
monétaires est vouée à l’échec.
John Paul Koning
Lisez la seconde partie de l’article ici
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