Gary Becker et la théorie des choix rationnels

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Published : June 30th, 2014
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Gary Becker a reçu le prix Nobel d’économie en 1992. Il est mort le 3 mai 2014. Il est connu notamment pour ses travaux sur le capital humain, l'analyse économique de la criminalité, de la famille ou de la discrimination. L’idée de Gary Becker fut d’appliquer l’hypothèse de l’homo œconomicus à des domaines non économiques en apparence, comme la criminalité. « Mes recherches utilisent l'approche économique pour analyser des problèmes de société qui se situent hors des préoccupations habituelles des économistes. »


Contrairement à l'analyse marxiste, l'approche économique à laquelle se réfère Becker ne suppose pas que les individus soient uniquement motivés par l'égoïsme et l'appât du gain, ni que leurs actions seraient déterminées de façon rigide par le passé. Il essaye de détacher les économistes de l'hypothèse étroite de l'intérêt personnel. Selon lui, leur comportement est commandé par un ensemble bien plus riche de valeurs et de préférences.


Son hypothèse est que les individus maximisent toujours leur bien-être mais de façon diversifiée, suivant qu'ils sont égoïstes, altruistes, fidèles, rancuniers ou masochistes. Leur comportement est orienté vers le futur, de même qu'il est cohérent à travers le temps. En particulier, ils tentent d'anticiper de leur mieux les conséquences incertaines de leurs actions. Bien sûr, le passé peut exercer une influence durable sur les attitudes et les valeurs, mais ne permet jamais de prédire l’avenir.


La thèse de Becker, c’est que la criminalité augmente lorsque le crime paie. Le criminel se détermine en fonction de la réalité qu’il constate. Or, les taux de crimes impunis, de peines non appliquées et de libérations anticipées sont les véritables signaux qui incitent ou non à l’activité criminelle.


L’économiste a commencé à s'interroger sur le crime dans les années 1960 alors qu’il se rendait à l'Université de Columbia pour la soutenance d'un de ses étudiants. Il était en retard et a dû décider rapidement entre laisser sa voiture dans un parking payant ou risquer une contravention pour l'avoir garée illégalement dans la rue. Il a calculé la probabilité d'avoir une contravention, l'importance de l'amende et le coût d'une place de parking. Il a alors décidé de prendre le risque et de se garer clans la rue. Alors qu’il se dirigeait vers la salle d'examen en marchant le long des bâtiments, il lui vint à l'esprit que les autorités de la ville avaient probablement fait la même analyse. La fréquence des inspections des véhicules en stationnement et l'importance de l'amende imposée aux contrevenants devaient dépendre de leurs estimations des calculs effectués par les contrevenants potentiels comme lui.


Par la suite, il essaya de modéliser le comportement optimal des délinquants et de la police et arriva à la conclusion que le comportement criminel serait une réponse rationnelle à des incitations et des opportunités. La criminalité baisserait ou augmenterait en réponse à ses coûts attendus en termes de probabilité de punition.


Cette théorie[1] s’appuie sur l’hypothèse de la rationalité de l’individu. Un individu n’agit que s’il a de bonnes raisons d’agir. Ainsi, la perspective d’une punition risquée et plus coûteuse que le bénéfice attendu est une bonne raison pour un individu de ne pas commettre d’infractions à la loi.


Dans cette approche, la dissuasion devient le principal levier de la lutte contre la délinquance et la criminalité. Le criminel est un calculateur. Si le crime ne paie pas, si la probabilité de se faire prendre est plus forte que l’appât du gain, le criminel renonce à agir.


On peut certes espérer du système carcéral qu’il rende les hommes meilleurs. Mais la peine est avant tout un mal qui tend à dissuader les criminels. À trop vouloir être indulgent et adoucir les peines, ou leurs conditions d'exécution, on peut finir par inciter les criminels à commettre leurs méfaits. Du fait de l'amenuisement de la réaction judiciaire, la peine peut paraître moins redoutable en regard d'un profit substantiel et immédiat tiré d'un délit ou d'un crime.

La théorie des choix rationnels ouvre une nouvelle perspective dans le traitement de la criminalité : si les comportements criminels sont affectés par l’existence d’une peine ou d’une récompense[2], il devient primordial de mettre en place des politiques publiques qui découragent le crime ou les comportements irresponsables.


En 1982, dans un article de l’Atlantic Monthly, « Broken Windows[3] », deux criminologues, James Q. Wilson et George Kelling, ont démontré qu’une réaction immédiate de la police à la petite délinquance (les fameuses « vitres cassées ») permettait d’enrayer l’engrenage des violences urbaines, encouragées par le laxisme des autorités. À New York, à partir de 1994, Rudolph Giuliani a mis à l’épreuve la théorie de Wilson. Sous son mandant, quatre cent mille personnes ont ainsi été arrêtées par la police, même si la majorité d’entre elles ont été assez vite relâchées.


Les résultats ont été spectaculaires. Dans les cinq ans qui ont suivi, les infractions globales ont diminué de 50 pour cent et les assassinats de 68 pour cent. Alors que la ville connaissait plus de 2 600 meurtres par an dans les années 1990, ce nombre avait chuté à moins de 800 en 1997. Les quartiers ont vu une amélioration encore plus spectaculaire. Entre 1993 et 1997, la criminalité a chuté de 39 pour cent à Harlem, 42 pour cent dans l'est de New York et 45 pour cent dans le Sud du Bronx.


Finalement, l’analyse économique du crime aura certainement contribué à la mise en place de politiques publiques davantage axées sur la dissuasion. Avec l’augmentation des forces de polices, la généralisation des fichiers ADN et les nouvelles méthodes de la police scientifique, le crime a été fortement découragé, la probabilité de se faire prendre étant de plus en plus élevée.


Par ailleurs, à partir des années 1980, le système judiciaire a commencé à devenir plus répressif. Entre 1960 et 1980, la probabilité qu’un criminel aille en prison avait diminué de plus de moitié. Entre 1980 et 1997, ce risque avait doublé. La durée moyenne du temps passé en prison a également commencé à augmenter après 1980 aux États-Unis. Tout ceci peut expliquer la chute vertigineuse des taux de criminalité constatée depuis le milieu des années 1990.


Depuis 25 ans, les évaluations empiriques des effets des conditions carcérales, des taux de condamnation, du niveau de chômage, de l'inégalité des revenus et d'autres variables sur le taux de criminalité sont devenues plus nombreuses. De nombreux économistes aujourd’hui veulent travailler sur des problèmes sociaux plutôt que sur des problèmes qui constituent le domaine traditionnel de l’économie. De même, les spécialistes des questions de société sont souvent attirés par la manière économique de modéliser le comportement en raison du pouvoir analytique de l’hypothèse de rationalité individuelle.


En France, Raymond Boudon a fait connaître cette théorie des choix rationnels et l’a appliquée à de nombreux champs de recherche : en sociologie, en droit, en science politique, en histoire, en anthropologie et en psychologie. Le modèle des choix rationnels offre la base la plus prometteuse, disponible actuellement, pour une approche unifiée de l’analyse du monde social par les chercheurs en sciences sociales. Cette situation est en grande partie le résultat des travaux du pionnier de Gary Becker.

 

 



[1] Cf. Gary Becker (1968). « Crime and Punishment: An Economic Approach ». The Journal of Political Economy 76  (http://www.nber.org/chapters/c3625.pdf). Cf. aussi : Gary S. Becker, The Economics of Life, McGraw-Hill, 1996.

[2] Par exemple, les coûts d’opportunité de la criminalité sont moins élevés pour les moins de 20 ans que pour les autres. Les jeunes sont donc plus enclins à commettre des crimes car leurs salaires sont plus faibles et leur taux de chômage est plus élevé.

[3] J.Q. Wilson et G. Kelling, « Broken Windows » (1982). Cf. aussi : James Q. Wilson, Thinking about Crime, (1975), J. Q. Wilson, R. Herrnstein, Crime and Human Nature (1985).

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Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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