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Bien que
l’Union Européenne soit affectée de nombreux
défauts qui la rendent éminemment critiquable, son action
positive en faveur de la liberté d’entreprendre mérite
d’être soulignée.
Au hasard des
missions de journalisme qui me sont confiées, j’ai parfois
l’occasion de tomber sur des épisodes relativement
méconnus de l’histoire européenne. Mais méconnu ne
veut pas nécessairement dire inintéressant.
L’histoire
commence de façon tout à fait banale, dans une région
septentrionale de l’Europe qui fait rarement parler d’elle :
le Danemark. Deux habitants de ce charmant pays, Monsieur Erhvervs
et madame Selskabbstyrelsen, décident de
créer une société nommée Centros.
Jusque là, rien que de très banal.
Mais voilà : échaudés par le coût d’une
telle opération au Danemark, ils décident de créer leur
société au Royaume-Uni, et de lui faire ouvrir une succursale
au Danemark.
La doctrine du
« siège effectif »
L’administration
danoise ne l’entend pas de cette oreille. Le Registre des Entreprises
danois refuse tout bonnement d’inscrire la succursale de Centros, au motif que Centros
Ltd n’est qu’une société écran puisque le
siège effectif de l’ensemble des activités de Centros est le Danemark, et que le couple doit dès
lors fonder sa société au Danemark. Fin de l’histoire. Ou
non. Les deux fondateurs de Centros se rebiffent,
et portent l’affaire devant les tribunaux. Lorsque la Haute Cour de
Justice Danoise, la plus haute juridiction du pays, leur donne tort, ils ne
se découragent pas et portent l’affaire devant la Cour de
Justice Européenne. Les traités européens garantissent
en effet la liberté d’établissement à travers
l’Union, et la doctrine du « siège
effectif », pourtant en vigueur dans de nombreux pays, viole cette
liberté.
Une victoire
aux allures de séisme
Le 9 mars
1999, la Cour rend son jugement :
il est effectivement contraire aux traités européens
qu’un État membre refuse d’enregistrer la succursale
d’une société valablement créée dans un
autre État membre et dans lequel est a élu domicile. Et cela,
poursuit la Cour, même si la succursale en question prend à son
compte l’entièreté des activités de la
société, évitant par la même de se conformer aux
règles, plus coûteuses, de création d’une
entreprise dans le pays même. Pour les partisans de la doctrine du
siège effectif, dont de nombreux États membres, c’est un
sérieux revers, mais, estiment-ils, pas une défaite totale.
Hélas pour eux, et heureusement pour la libre entreprise, la suite
leur donnera tort.
Vous avez dit
« Überseering » ?
Un autre cas,
porté cette fois par des résidents allemands devant la CJE,
portera un coup fatal à la doctrine du siège effectif. Cette
fois, la société – nommée Überseering
– a été créée aux Pays-Bas et a ouvert une
succursale en Allemagne. En litige avec une autre entreprise, sa
requête devant les tribunaux est déclarée irrecevable au
motif qu’elle n’a tout simplement pas la capacité d’ester
en justice : créée aux Pays-Bas, elle n’a pas la
personnalité juridique en Allemagne. Une fois de plus, l’affaire
atterrit devant la CJE, qui donne tort à l’État
allemand. Un troisième arrêt de la CJE,
nommé « Visual
Art », vient porter le coup de grâce à la doctrine du
siège effectif et consacre la liberté d'établissement
des entreprises.
L'Allemagne
s'anglicise
Les
conséquences des ces trois arrêts ne
se font pas attendre : dans plusieurs pays européens, des milliers
d'entrepreneurs optent pour la création d'une « Limited »
anglaise et de sa succursale. Quels pays? Ceux où le coût et le
temps de création d'une entreprise sont les plus élevés.
Des milliers de très petites entreprises allemandes voient notamment
le jour au Royaume-Uni, dont de nombreux salons de coiffure. Au point que
l'Allemagne finit par modifier sa législation afin de rendre les
sociétés allemandes moins coûteuses à créer.
Entre temps, un nouveau secteur économique vient de voir le jour en
Europe: les sociétés spécialisées dans les
formalités de création de « Limited »
et d'ouverture de succursales dans le pays d'origine des créateurs. Un
véritable service « clé sur porte » pour
les entrepreneurs en herbe.
Bémol
italien et grec
Les seuls pays
épargnés par la vague d'anglicisation des nouvelles entreprises
seront ceux où le coût de création d'une entreprise
était déjà suffisamment abordable. À deux
exceptions près: l'Italie et la Grèce. Et pour cause! Les tarifs de création d'une
succursale sont tellement élevés là-bas que la solution
anglaise est aussi coûteuse que la solution domestique. Est-ce une
coïncidence si ces deux pays font aujourd'hui partie du groupe des
« hommes malades » de l'Europe?
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